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  • Anne Rimbaud

La réunification de la Corée, une chimère ?


Korean leaders Kim Jong Un and Moon Jae-In shakes each other's hands during the 2018 inter-Korean summit
Cheong wadae / Blue House / Wikimedia Commons

Divisée au niveau du 38ème parallèle, la Corée est déchirée entre le Nord communiste et le Sud libéral depuis l’armistice de Panmunjeom en 1953. Alors que le mur de Berlin est un vestige de la guerre froide, la DMZ (Demilitarized Zone), marquant la séparation entre le Nord et le Sud, est encore bien présente et témoigne de tensions continuelles.

La haine comme outil de propagande au Nord, la lassitude au Sud

En Corée du Nord, les pèlerinages obligatoires au musée Sinchon – musée des atrocités de la guerre commises par les Américains – en disent long sur l’état d’esprit des Nord-Coréens après avoir subi ce que d'aucuns considèrent comme un lavage de cerveau pendant plusieurs années. L’anti-américanisme est nourri de faits datant de la guerre de Corée (1950-1953) : des milliers de Nord-Coréens sont morts, massacrés par les troupes américaines, les mères séparées de leurs nouveaux nés et nourris avec de la gasoline… Soutien des Etats-Unis, la Corée du Sud est alors perçue comme prête à soutenir une puissance étrangère contre ses propres compatriotes.

Les descendants de Kim Il Sung ont maintenu leur contrôle en partie en instillant la croyance selon laquelle les autres nations conspiraient pour la destruction de la Corée du Nord, avec le soutien des Etats-Unis, conduisant ce peuple à ne compter que sur ses propres forces (idéologie du « juche »), menant ainsi le pays à une quasi-autarcie. Dans les années 90, la famine aurait causé plus d’un million de morts, faute de commerce de denrées. Encore aujourd’hui, 67% de la population active travaille dans le secteur agricole (ONU, données sur l'alimentation et l'agriculture). La communication, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur, reste très largement limitée et contrôlée : 15% des Nord-Coréens possèdent un abonnement de téléphone portable (ONU, données sur les télécommunications - 2017).

Au Sud, l’opinion semble évoluer et considérer la Corée du Nord comme un voisin gênant dont il faut supporter les provocations. Ce phénomène est notamment dû au vieillissement de la population : de moins en moins de citoyens sud-coréens ont de la famille au Nord et les liens entre les deux pays se distendent progressivement. Pour les jeunes notamment, la Corée du Nord n’est plus un sujet de préoccupation majeur, du moins loin derrière les études et l’économie. En effet, les jeunes Sud-Coréens continuent de vivre, sans se soucier des menaces de Kim Jong-Un. A force de chercher à intimider le Sud sans jamais porter de coup fatal, la crainte qu’inspirait le dictateur a peu à peu diminué. Toutefois, n’oublions pas que le service militaire pour les hommes sud-coréens est toujours en vigueur – 22 mois en moyenne.

Un film marquant, Joint Security Area

De nombreux films et documentaires ont été tournés sur les relations intercoréennes. Parmi eux, Joint Security Area du réalisateur Park Chan-Wook se détache. Il raconte l’amitié entre deux soldats du Sud et deux soldats du Nord, tiraillés entre leur devoir d’obéir aux ordres et de rester fidèles à leur patrie respective, et la volonté de préserver leur amitié.

Des menaces continues

Cependant, même beaucoup de bonne volonté ne mettra pas fin à des années de guerre, comme en témoigne la mise en place du THAAD. Le THAAD (Terminal High Altitude Area Defense) est un système de défense conçu par l’armée américaine destiné à arrêter les missiles balistiques menaçant le territoire. Mis en place en 2017 face à la recrudescence des menaces de Kim, le programme a suscité une vague de colère au Nord et en Chine – qui a même boycotté des produits sud-coréens à l’occasion. Même en étant une arme à vocation défensive, il est la preuve d’un manque de confiance chronique, en dépit des rapprochements des dernières années.

Les Jeux Olympiques de 2018, une avancée symbolique

En 2018, les Jeux Olympiques d’hiver organisés à Pyeongchang en Corée du Sud sont pour beaucoup un symbole fort de la collaboration croissante des deux Corées. En effet, pour la première fois depuis leur séparation, les délégations olympiques du Nord et du Sud défilent ensemble sous la bannière « Korea ». Une équipe mixte en hockey sur gazon féminin constitue également une réussite pour le CIO (Comité International Olympique) pour qui le sport est un premier pas vers une coopération accrue.

Des athlètes nord et sud-coréens, réunis sous le drapeau de Corée réunifiée
Des athlètes nord et sud-coréens, réunis sous le drapeau de Corée réunifiée /Korea.net / flickr

Moon Jae-In, l’homme qui voulait la paix

En dépit de l’échec du sommet de Hanoï (février 2019) organisé par Moon entre Donald Trump et Kim Jong Un, le président sud-coréen incarne la volonté de paix durable entre les deux Corées et il plaide pour des relations apaisées entre son homologue nord-coréen et Donald Trump. Alors que les deux derniers sont restés campés sur leurs positions, le médiateur Moon apparaît comme le grand perdant des négociations face à l’absence de compromis trouvé.

En dépit de la médiatisation de chaque rencontre entre les trois leaders, la dénucléarisation totale est une condition sine qua non à tout traité de paix véritable. En effet, la politique étrangère du sud, nommée « politique du rayon de soleil » (1998-2008) avait déjà pour but d’entretenir des relations diplomatiques plus étroites avec le Nord, via une aide humanitaire et économique. Face au refus du Nord de faire des compromis, la politique est considérée comme un échec et arrêtée.

Il semble de plus en plus évident qu’aucun accord de paix ne pourra être trouvé pour la péninsule avant que la Corée du Nord n’ait entamé un processus de détente nucléaire. Or, il s’agit là du principal moyen de pression de Kim Jong-Un sur la communauté internationale. L’ancien directeur du Renseignement national sous Obama, James Clapper, le souligne, « La bombe est leur ticket de survie. Je ne vois pas comment ils pourraient l'abandonner ».

Certains experts mentionnent également les leçons tirées de l’expérience des Printemps Arabes, en particulier celle du colonel Kadhafi. « Le leader libyen a commis l'erreur fatale de faire confiance aux Occidentaux en abandonnant son programme d'armes de destruction massive en échange d'une réintégration dans le concert des nations. Il a été payé en retour par les missiles de Sarkozy et d'Obama, qui ont entraîné sa chute » (Le Point).

Mais un revirement stratégique n’est pas à écarter depuis la nomination le 23 janvier 2020 de Ri Son-gwon comme ministre des affaires étrangères, qui présidait déjà une commission pour la réunification pacifique du pays.

Et si la réunification avait lieu…

Imaginons un instant les conséquences d’une réunification. Il est probable que la Chine et la Corée du Sud devraient faire face à de larges vagues d’immigration. Elles devraient aider les réfugiés à trouver un travail, une maison, leur fournir une protection minimale et nourrir des milliers de Nord-Coréens affamés, fuyant des conditions de vie difficiles. Cela voudrait aussi dire reconstruire le pays, créer des infrastructures, des moyens de transports… dans un pays qui n’a pas évolué pendant plusieurs décennies.

Une question subsiste alors : qui paiera la note ? La Corée du Sud n’est pas en mesure de payer pour toutes ces infrastructures – malgré un PIB par habitant 26 fois supérieur à son voisin du Nord – et l’ONU n’interviendrait pas, en raison d’un veto probable des Etats-Unis. Le Congrès, républicain, refuserait de payer pour des citoyens non-américains alors que le risque nucléaire serait écarté, et Donald Trump a déjà montré sa méfiance à l’égard des accords multilatéraux.

L’exemple de la réunification des deux Allemagnes illustre la difficulté de l’exercice. Après 30 ans et des transferts massifs, les Länder de l’est sont toujours en retard sur ceux de l’ouest, alors même que la différence initiale était moins marquée qu’entre les deux Corées.

Par ailleurs, à qui profiterait réellement une réunification coréenne ? Bien sûr, elle constituerait un succès formidable pour toutes les institutions internationales, mais chez les citoyens des pays frontaliers dont les impôts paieraient une partie des dépenses des réfugiés, l’enthousiasme de la réunification serait surement de courte durée. Les seules personnes souffrant véritablement de la tyrannie de Kim sont les citoyens sur lesquels il exerce son pouvoir dans une prison à ciel ouvert. Ainsi les seuls véritables bénéficiaires de celle-ci seraient les citoyens nord-coréens, qui ne seraient plus soumis au joug de leur dictateur communiste.

Une deuxième possibilité est à considérer : une réunification tardive après que la Corée du Nord a rattrapé une partie de son retard économique. En effet, si les pressions économiques dues à l’embargo sur le pays devenaient insupportables, il se peut que Kim se retrouve contraint d’opérer un virage libéral, à l’image de la Chine de Deng Xiao Ping dans les années 1970, en sortant au fur et à mesure de son autarcie et en prônant le protectionnisme patriotique. Pour des entreprises cherchant à délocaliser leur production, la main d’œuvre très peu chère des Nord-Coréens serait une option à envisager. Cette possibilité a l’avantage d’être gagnante à la fois pour les entreprises et les citoyens qui recevraient un salaire et pourraient rester dans leur pays. Une fois l’économie nord-coréenne redressée, même dans une moindre mesure, une réunification serait davantage plausible.

Par ailleurs, dans l’éventualité où la Corée du Nord ne serait plus une menace pour le Nord, le THAAD et la présence de près de 30 000 GI dans la péninsule n’aurait plus lieu d’être. Or, cette présence militaire permet aujourd’hui de prévenir une menace coréenne mais également de ne pas laisser la Chine maître de l’Asie. Sans la Corée du Nord, les Etats-Unis perdent un ennemi mais également une raison de rester présent en Asie, laissant le champ libre à l’Empire du milieu.

Enfin, notons que la réunification de la Corée pourrait tout aussi bien ne pas être aussi radicale qu’une fusion totale du Nord et du Sud. En effet, celle-ci ne sonne pas nécessairement le glas de la Corée du Nord en tant qu’Etat. Ainsi, un accord semblable à celui existant entre la Chine continentale et Hong Kong du « one country, two systems » est également à considérer.

Sources :

Time – The negociator

Time – The Dictator’s playbook

https://en.wikipedia.org/wiki/China–South_Korea_relations#Terminal_High_Altitude_Area_Defense

http://www.lefigaro.fr/international/2019/02/28/01003-20190228ARTFIG00220-sommet-de-hanoi-kim-et-trump-dans-l-impasse-nucleaire.php

https://international.franceolympique.com/international/actus/5157-les-missions-du-cio-.html

https://fr.wikipedia.org/wiki/Corée_du_Nord_aux_Jeux_olympiques_d%27hiver_de_2018

https://fr.wikipedia.org/wiki/Armistice_de_Panmunjeom

https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/04/28/corees-la-longue-route-du-rapprochement_5291952_3232.html

https://fr.yna.co.kr/view/AFR20200123003100884

https://www.nouvelobs.com/monde/20111219.OBS7096/la-coree-du-nord-en-chiffres.html

https://www.lalibre.be/dernieres-depeches/afp/la-coree-du-nord-en-cinq-chiffres-cle-5c7530597b50a607240b26cd

https://www.lepoint.fr/phebe/phebe-ce-qu-on-ne-dit-pas-sur-la-coree-du-nord-16-11-2019-2347820_3590.php

https://www.lepoint.fr/monde/coree-du-nord-ce-que-veut-vraiment-kim-jon-un-15-09-2017-2157135_24.php


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