top of page
  • Marie Hervouet

Ukraine, Haut-Karabakh, Palestine… bientôt Taïwan ?


Armée taïwanaise
ricky9950 / Pixabay

L’Ukraine, le Haut-Karabakh et dernièrement la Palestine… Différents points chauds de la planète se sont embrasés au cours des derniers mois et années. Et Taïwan pourrait bien être la prochaine sur la liste.



Des manœuvres d’intimidation constante


La volonté du régime de Xi Jinping de prendre le contrôle de Taïwan, considérée comme une « province rebelle », est une véritable obsession. Trois objectifs sous-tendent cette obsession de longue date. Premièrement, la Chine en contrôlant Taïwan, non seulement briserait la ceinture formée de bases américaines qui l’enserre (Japon, Corée du Sud, Philippines), mais aurait également accès à des eaux profondes. Ses façades maritimes en mer de Chine méridionale et orientale ne lui offrent pas d’eaux suffisamment profondes pour y faire plonger des sous-marins lanceurs d’engins. Certes, la Chine possède une base sur l’île de Hainan, dans le sud du pays, avec un accès aux eaux profondes. Toutefois, cet accès limité n’est en rien comparable à l’accès direct aux eaux profondes de l’océan Pacifique qu'offre la façade maritime orientale de Taïwan. Economiquement parlant ensuite, contrôler Taïwan permettrait de faire main basse sur une industrie hautement stratégique et dont la Chine est très dépendante : les semi-conducteurs. En 2021, elle a importé en valeur plus de 430 milliards de dollars de puces, dont 36 % en provenance de Taïwan. Enfin, au-delà de ces intérêts stratégiques et économiques, le régime de Pékin veut absorber Taïwan pour parfaire l’unité de la Chine, minée par la « rébellion » de celle qu’elle considère comme sa 23e province.


Cependant, un changement pacifique du statu quo ne risque guère d’advenir. En effet, seuls 6 % des Taïwanais appellent de leurs vœux une réunification avec la Chine, tandis que les trois quarts se disent prêts à défendre l’île en cas de guerre. A défaut de pouvoir compter sur un plébiscite, Pékin exerce tour à tour pressions politiques, économiques et militaires en vue de ramener « l’île rebelle » sous son giron.


Pressions politiques et économiques mises à part, ce sont surtout les intimidations d’ordre militaire qui retiennent l’attention. Les incursions d’avions de guerre et de navires de guerre aux alentours de Taïwan se sont en effet multipliées au cours des dernières années.



Nombre mensuel d'avions chinois ayant pénétré la zone d'identification aérienne de Taïwan, de septembre 2020 à avril 2023

Toute action taïwanaise, perçue comme une contestation de l'autorité de Pékin, est suivie de représailles. Cet été, la venue de William Lai, vice-président et favori de l’élection présidentielle taïwanaise de 2024, aux Etats-Unis a ainsi provoqué l’ire de Pékin. Le régime chinois a affirmé que William Lai était un « fauteur de troubles » et qu’il fallait s’attendre à de « sévères mises en garde à la collusion des séparatistes 'indépendantistes de Taïwan' avec des éléments étrangers et à leurs provocations ». Ces « sévères mises en garde » se sont matérialisées par des manœuvres militaires de la marine et de l'armée de l'air autour de l’île : 42 incursions d’avions militaires et 8 navires militaires.


Plus récemment, le ministère de la Défense de Taïwan a détecté, les 17 et 18 septembre 2023, 103 avions militaires chinois, parmi lesquels 40 ont franchi la ligne médiane – démarcation officieuse non reconnue par la Chine – et ont pénétré la zone d’identification de la défense aérienne (ADIZ[1]). A cette menace aérienne s’est ajoutée l’intimidation en mer, avec neuf navires de guerre repérés au même moment.


Plus que de simples intimidations, ces manœuvres militaires ont également valeur d’entraînement en vue d’une invasion future. D’après Chine nouvelle, ces exercices ont pour but de tester la capacité des navires et avions chinois « à prendre le contrôle des espaces aériens et maritimes » et à combattre « dans des conditions réelles ».



Etat des lieux de la défense chinoise


« La Chine consacre des milliards de dollars à la transformation de l’APL en une force de combat de niveau mondial. » Nicolas Mazzucchi, expert de la marine française

La Chine ne se contente pas d'intimider Taïwan, loin de là. Le régime de Pékin déploie maints efforts pour bâtir une armée d'envergure mondiale, en mesure de dissuader les Etats-Unis de défendre Taïwan.


La comparaison entre les armées chinoise et taïwanaise est d'ailleurs vertigineuse, la Chine surpassant largement les capacités de Taïwan, tant sur le plan humain (rapport de 1 à 10) que matériel.

Au-delà de la simple comparaison avec Taïwan, la Chine possède une des armées les plus puissantes du monde, à jeu presque égal avec les ex-superpuissances américaine et russe. Toutefois, la Chine ne veut guère se contenter du statut de troisième puissance militaire. Le régime de Pékin veut bâtir la première armée du monde, surpassant les Etats-Unis, à l’horizon de 2049. « Faire rapidement de l'Armée populaire une armée de premier rang mondial constitue une exigence stratégique de l'édification intégrale d'un pays socialiste moderne », a encore martelé Xi Jinping lors du 20e congrès du Parti de l'automne 2022.





Puissance nucléaire

Bombardier Xian H-6
Bombardier Xian H-6 / Ministry of Defence of the Russian Federation / http://мультимедиа.минобороны.рф/multimedia/photo/gallery.htm?id=59128@cmsPhotoGallery / Mil.ru / Creative Commons Attribution 4.0 International

La Chine est d’abord la seule puissance avec les Etats-Unis et la Russie à posséder une triade nucléaire[2], à savoir un arsenal permettant de lancer une arme nucléaire selon trois moyens différents : une force de sous-marins stratégiques lance-engins ; des engins tirés depuis des camions et d’autres enfouis dans des silos ; une capacité de tirer des bombes nucléaires tactiques à partir de bombardiers.


Toutefois, la force nucléaire chinoise accuse encore un certain retard vis-à-vis de la Russie et des Etats-Unis. De fait, selon les estimations établies, les Chinois ne disposent guère plus de 300 têtes nucléaires, un chiffre équivalent à ce que détient l’armée française mais bien inférieur aux 5 977 et 5 428 têtes nucléaires détenues respectivement par les Russes et par les Américains. Le régime chinois cherche cependant à combler ce retard, suscitant l’inquiétude du département d’Etat américain : à la suite d’images satellites commerciales, 120 silos susceptibles d’accueillir le nouveau missile Dong Feng-41 capable d’atteindre le territoire des Etats-Unis ont été construits. A ceci s’ajoute la crainte de voir la Chine quintupler le nombre de ses armes nucléaires pour être en possession d’un arsenal de 1 500 têtes nucléaires.


Toujours est-il que l’arme nucléaire demeure le fer de lance d’une politique de dissuasion stratégique, destinée à n’avoir aucune utilité opérationnelle. Il en est tout autrement pour les armées conventionnelles.



La première marine du monde

Fujian
Fujian, premier porte-avions de conception nationale, symbolise la montée en puissance de la marine chinoise. 大清帝国 / Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International

« En trente ans, l’évolution est spectaculaire, on a vu la marine chinoise basculer d’une force essentiellement côtière et sans grande allonge logistique à une marine hauturière qu’on appelle de « premier rang ». Cela veut dire qu’elle rejoint les marines aux capacités dites transocéaniques, avec les Etats-Unis, la France, la Russie, le Royaume-Uni et bientôt l’Inde. » Nicolas Mazzuchi

Jugée obsolète il y a quelques décennies, la marine chinoise s’est fortement renouvelée et connaît un développement spectaculaire. A titre d’exemple, tous les quatre ans, le tonnage de la force navale chinoise augmente d’un volume égal à celui de toute la marine française. La construction continue de navires lui permet ainsi de se hisser depuis 2019 au rang de première marine mondiale, en termes de nombre de navires – 348 selon un rapport du Congrès américain de 2021, contre 296 navires pour l’US Navy.


Au-delà de l’augmentation du tonnage, la capacité de projection chinoise repose également sur la stratégie d’implantation de bases et d’escales entre son territoire et le Moyen-Orient, également nommée la stratégie du « collier de perles ». Cette stratégie, qui vise à sécuriser ses approvisionnements énergétiques, repose sur le rachat, la construction ou la location d’installations portuaires et aériennes allant des ports chinois jusqu’au Moyen-Orient, via le détroit d’Ormuz, et les côtes d’Afrique de l’Est, via le détroit de Bab el-Mandeb. Au-delà de l’enjeu énergétique, le positionnement des forces navales chinoises le long de ce « collier de perles » « pourrait aider l’APL à projeter sa puissance à de plus grandes distances du territoire chinois » (China Military Power publié par la Defense Intelligence Agency, 2019).


Un dernier élément a particulièrement retenu l’attention de Marc Julienne, chercheur de l’Ifri. Il s’agit de l’infanterie de marine, ou corps des marines, spécialisée dans les opérations amphibies[3]. Ce corps de l’armée connaît un développement considérable, étant passé de 10 000 hommes en 2017 à 40 000 aujourd’hui. Marc Julienne affirme que « cette inflation démontre la volonté chinoise de se doter d’une vraie capacité de projection de forces ».


La marine chinoise n’est toutefois pas dépourvue de faiblesses. Certes, la Chine a dépassé les Etats-Unis en termes de nombre de navires. Cependant, elle ne dispose que trois porte-avions nucléaires, contre douze pour l’armée américaine.


Les limites de l’armée de l’air

Xian Y-20 at the 2014 Zhuhai Air Show
wc / http://www.airliners.net/photo/China---Air/Xian-Y-20/2542712/L/ / Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International

Troisième force aérienne du monde avec 2 800 appareils, l’évolution de l’armée de l’air n’impressionne pas autant que celle de la marine chinoise. D’aucuns pointent ses lacunes et émettent des réserves sur sa capacité à mener à bien des opérations lointaines. L’APL manque en effet cruellement d’avions logistiques, ne disposant que de 70 avions de transport lourds et 60 de taille moyenne pour 3 000 avions de combat. A titre de comparaison, l’US Air Force compte près de 300 avions de transport superlourds (exemple du Xi’an Y-20, cf. image) et de 526 avions ravitailleurs. Ces avions logistiques sont indispensables. A titre d’exemple, lors du déploiement de Rafale français en Asie-Pacifique en juin 2023, les dix avions de chasse étaient accompagnés de neuf avions de transport (cinq ravitailleurs en vol A330 MRTT Phénix et quatre avions-cargos A400M Atlas). C’est pourquoi, en l’absence de tout soutien extérieur et de l’insuffisance d’avions logistiques, Pékin ne peut conduire que des opérations limitées dès lors que son armée de l’air s’éloigne de ses bases.


Doutes sur la capacité opérationnelle


Au-delà des limites de l’armée de l’air chinoise, les plus grandes réserves émises par les spécialistes concernent la capacité opérationnelle de l’APL, à l’instar de Marc Julienne (Ifri) : « Les forces chinoises n’ont aucune expérience des opérations extérieures et ne mènent pas d’opérations en coalition. Les spécialistes ne cessent de s’interroger sur l’interopérabilité des forces chinoises entre elles. De quoi sont-elles capables ? Ont-elles progressé ? Nous ne le savons pas. Nous voyons bien que les exercices avec la Russie s’accélèrent, mais ils demeurent de faible envergure… ». La Chine n’a en effet plus mené de guerre depuis le conflit avec le Vietnam en 1979. Il est donc difficile de juger la valeur de l’infanterie, si formée soit-elle. Il apparaît également difficile de juger la capacité opérationnelle des équipements de l’APL, qui n’ont pas encore été éprouvés au combat.



Prospectives


Drapeaux des Etats-Unis, de Taïwan et de la Chine
HUNG CHIN LIU / Getty Images / Canva

« La question n’est plus de savoir si Pékin attaquera mais quand » Michael Studeman, patron du renseignement maritime américain.


Les élections taïwanaises


A court terme, le régime de Pékin cherche avant tout à influencer le résultat des prochaines élections taïwanaises de janvier 2024, comme l’explique le directeur des études internationales à l’Institut Montaigne, Mathieu Duchâtel : « La priorité est de changer le statu quo dans le détroit de Taïwan. Pour l’instant, la Chine cherche à influencer le résultat des élections présidentielle et législatives taïwanaises de janvier 2024. Après le scrutin, on doit s’attendre à une accentuation des pressions vis-à-vis de Taïwan. Une crise militaire est possible. L’escalade vers la guerre n’est pas le scénario le plus probable, mais il ne peut être exclu. »


Quoi qu’il en coûte


Certains estiment que la Chine n’attaquera pas Taïwan, de peur d’être lourdement sanctionnée sur le plan économique par les Occidentaux. L’invasion russe de l’Ukraine contredit cette conviction. Certes, la Chine de Xi Jinping n’est pas la Russie de Vladimir Poutine. Toutefois, Bruno Tertrais, directeur adjoint de la fondation pour la recherche stratégique, écarte la force dissuasive des sanctions économiques en affirmant que « ceux qui se rassurent en pensant qu'une telle crise ne serait pas dans l'intérêt de Pékin oublient que l'histoire est truffée d'erreurs de calcul et de conflits où les passions l'ont emporté sur les intérêts mercantiles. Autre illusion dangereuse, croire qu'on connaît mieux que l'adversaire ses propres intérêts. »


2024, 2027, 2049


En partant du principe que la Chine attaquera Taïwan, il s’agit de tenter d’estimer l’échéance d’une telle confrontation. Deux dates majeures sont souvent avancées : 2027 et 2049. Ces dates marquent respectivement le centenaire de la constitution de l’Armée populaire de libération chinoise et le centenaire de la République populaire de Chine. Il est donc vraisemblable que le régime de Pékin souhaite réintégrer l’île avant de fêter l’un de ces anniversaires. La CIA estime pour sa part que l’APL s’entraîne en vue d’être prête à intervenir voire à envahir Taïwan en 2027.


Une autre échéance est avancée : 2024. Échéance très proche et moins réaliste. 2024 serait une opportunité chinoise dans l’hypothèse où Joe Biden ne serait pas reconduit dans ses fonctions en novembre 2024, devenant alors un président dit « lame duck ». Ce statut particulier pose la question de la légitimité lorsqu’une décision d’une telle gravité est prise, une décision comparable à celle de 1941.


Une victoire américaine à la Pyrrhus ?


L’invasion chinoise de Taïwan conduira avec une forte probabilité à l’implication de plusieurs acteurs au premier rang desquels figurent les Etats-Unis au vu des intérêts stratégiques américains dans l’Asie-Pacifique. La perspective d’un affrontement armé entre la Chine et les Etats-Unis est donc étudiée de près outre-Atlantique. Ce sujet est même devenu « une discussion banale au sein de la communauté de la sécurité nationale américaine », selon l’un des groupes de réflexion les plus réputés aux Etats-Unis, le Center for Strategic and International Studies (CSIS). Divers scénarios militaires sont alors envisagés par les chercheurs du CSIS, qui écartent toutefois deux hypothèses : l’usage de l’arme nucléaire par l’un des belligérants et une attaque américaine d’envergure en Chine continentale. Le rapport se concentre sur l’étude d’un conflit consécutif à la tentative d’un débarquement chinois. Les estimations sont sans appel : 22 des 24 scénarios imaginés prévoient une victoire de la coalition formée par les Etats-Unis, Taïwan et le Japon.


Ces scénarios prédisent-ils une victoire éclatante des Etats-Unis ? Une victoire oui, mais à quel prix ? Selon le scénario privilégié, des dizaines de milliers de GI seraient tués. Or, selon le rapport, les Etats-Unis éprouveraient plus de difficultés que la Chine à se relever d’une hécatombe dans son armée. Les pertes matérielles seraient ensuite plus difficilement résorbables, les Etats-Unis n’ayant que deux chantiers navals pour ses plus gros navires contre dix-neuf pour la Chine (Jerry Hendrix, chercheur de l’institut Sagamore d’Indianapolis).


Le rapport du CSIS aboutit alors à une conclusion pour le moins contradictoire : les Etats-Unis n’ont aucun intérêt à mener une guerre qu’ils ont pourtant toutes les chances de remporter. Par conséquent, le CSIS préconise la dissuasion.





Le conflit entre la Chine et Taïwan semble alors inéluctable. Inéluctable, vraiment ? La présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen, refuse de s’y résoudre. Si la présidente œuvre pour la modernisation de l’armée taïwanaise et pour la révision de la stratégie de défense, elle tient toutefois à affirmer que « la guerre n’est pas une option ». Cette phrase s’apparente à une réponse aux faucons américains et chinois, convaincus de l’inéluctabilité d’un conflit dans le détroit de Taïwan, en 2027 ou 2049. Tsai Ing-wen refuse de se résoudre à une telle prédiction funeste, sachant pertinemment qu’un tel conflit – quelle que soit l’issue – dans le détroit serait dévastateur matériellement et humainement tant pour Taïwan que pour la Chine, les Etats-Unis et le reste du monde.





Notes :


[1] Zone différente de l’espace aérien d’un pays, l’ADIZ est une zone dans laquelle tout appareil étranger est censé s’annoncer aux autorités aériennes locales.


[2] La triade nucléaire représente les trois vecteurs, c'est-à-dire les trois moyens différents de lancer une arme nucléaire : aérien, terrestre et maritime. Certains pays comme les États-Unis, la Russie ou la Chine, disposent des trois vecteurs. La France n'utilise que les sous-marins et les avions.


[3] Opération militaire comprenant une composante navale suivie d'une composante terrestre. Il s'agit généralement d'un débarquement suivi d'une invasion terrestre par les troupes débarquées sur le sol adverse depuis des navires de débarquement.



Sources :



SUIVEZ-NOUS
NE MANQUEZ RIEN

Inscrivez-vous à notre liste de diffusion

Ne manquez aucune actualité

PUBLICATIONS  RÉCENTES
NOS PARTENAIRES
Capture d’écran 2020-02-20 à 13.48.22.
Afnu_PNG.png
Le 1.jpg
3e7906_e4660d5d5210471dba1cd0648ae8768f~
emlyon forever.png
Logo Nemrod.png
logoteli.jpg
  • Facebook
  • Instagram
  • Twitter
  • Youtube
bottom of page