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  • Pierre-Louis Bordereau

Reste-t-il une place pour la France en Afrique de l'Ouest ?


A French officer discussing with a Malian soldier during the joint Franco-Malian Opération Éclipse (Opération Barkhane / Mali War)
Éric B., Armée française / Page Facebook de l'Armée de Terre / Licence Ouverte 2.0

En juillet 2023, c’était le Niger qui décidait de contester son président et qui voit l’instauration d’un régime militaire de transition. Un mois plus tard, c’est le chef de la garde présidentielle gabonaise qui renverse le président Ali Bongo, qui sort vainqueur d’une troisième élection de suite, lui-même ayant succédé à son propre père. Le Niger est aujourd’hui en crise avec la France, sur fond de menaces d’opérations militaires pour rétablir le président déchu et de menaces envers les représentants du corps diplomatique français à Niamey. La place de la France dans la région, historique en tant qu’ancienne nation coloniale, celle qui se considérait comme la mère de ces jeunes nations lors de la décolonisation, est aujourd’hui menacée de toutes parts : montée de Wagner, retour du djihadisme, revenons sur les dynamiques politiques qui menacent la position française dans cette région d’avenir.



Une France qui était déjà en recul


Le recul de l’influence en Afrique de l’Ouest n’est pas nouveau, et les discours de haine anti-français lors de grandes manifestations ne sont finalement que pour la première fois entièrement mis à la lumière du jour. Ce discours anti-français est avant tout structuré autour de trois grandes idées. Le franc CFA d’abord, toujours perçu comme un outil de contrôle malgré les réformes dont il a fait l’objet et malgré son efficacité en termes de stabilité macro-économique : il a ainsi permis aux pays l’utilisant de gérer la crise du Covid-19 bien mieux que le reste de leurs voisins, avec des croissances positives pour l’UEMOA et la CEMAC de respectivement 0,3% en 2021 contre -1,7% pour le reste de l’Afrique subsaharienne. L’aide publique au développement est aussi mal perçue par les populations et les élites sahéliennes : elle est vue comme humiliante et comme un soutien aux régimes avant d’être un soutien aux populations. Enfin la présence de bases militaires et l’interventionnisme français dans la région est souvent jugé comme une politique néocoloniale, même quand ces interventions découlent d’une demande des pays concernés.


La France a cependant une grande utilité pour les dirigeants sahéliens qui se trouvent en difficulté : elle est un bouc émissaire parfait. Ainsi, la France “pille les ressources”, “soutient le terrorisme”, “choisit les présidents” et “manipule la CEDEAO”. Si ces discours ne sont en soi pas nouveaux, ils ont pour la première fois imprégné toutes les couches des sociétés sahéliennes alors qu’ils n’étaient avant cantonnés qu’aux élites intellectuelles. Le “complot français” constitue donc une ressource de premier choix pour les dirigeants. Exemple phare de son utilisation, en 2014 certains acteurs politiques et médias camerounais accusent la France d’avoir entraîné, formé et armé les djihadistes locaux afin de pouvoir ensuite justifier une intervention. Ironie, le Nigéria connaît à la même époque des rumeurs similaires sur la formation et l’équipement de ces mêmes troupes djihadistes…mais par les Américains !


Le complot français est aussi bien utile afin de permettre de justifier les dérives anti-démocratiques de certains présidents: Idriss Déby Itno, président du Tchad, affirme en 2017 que la France est intervenue pour changer la constitution tchadienne quelques années auparavant afin de forcer Idriss Déby Itno a entamer un troisième mandat alors qu’il aurait selon ses dires souhaité s’arrêter à seulement deux mandats (il meurt finalement en 2021, quelques mois après avoir été réélu pour un sixième mandat consécutif). L’opposition de ces dirigeants anti-démocratiques utilise aussi régulièrement ce complot français, et accuse les dirigeants de n’être finalement que des marionnettes contrôlées par Paris.



La France n’est plus seule dans son ancien pré carré


Les dernières décennies ont vu un recul français au profit de nouveaux acteurs, plus dynamiques et plus agressifs dans leur manière de gérer leur relation avec les pouvoirs sahéliens. La Russie s’est ainsi imposée au travers du groupe de mercenaires Wagner dans plusieurs pays africains : Libye, Soudan, Mozambique, Madagascar, Zimbabwe et surtout dans l'Afrique francophone : République Centrafricaine, Burkina Faso, Mali, Guinée-Bissau et en Guinée. Wagner s’est particulièrement servi du sentiment anti-français pour s’implanter, et l’a exacerbé en prenant le contrôle du secteur de l’information, souvent marchandisé. Il existe aussi une convergence d’intérêts russes et africains, du moins de ces nouveaux régimes politiques. Ces derniers peuvent détourner l’attention de leur population sur la “responsabilité” française pour la dégradation de la situation, et se maintiennent au pouvoir par la protection de la société Wagner, supposée également combattre le terrorisme sahélien. Moscou y gagne une déstabilisation de la région, et donc un détournement des moyens occidentaux vers celle-ci pour la stabiliser, des moyens et une attention détournés de l’Ukraine. Plus prosaïquement, les Russes et la République du Congo ont par exemple approfondi leurs relations : création d’une chambre de commerce russo-congolaise, négociation de livraison d’armes et délégations parlementaires russes visitant le pays.



Soldats français zombie attaquant le Mali, clip de propagande Wagner
Soldats français zombies attaquant le Mali, clip de propagande Wagner

WAGNER en Afrique après la mort de Prigojine


Avec la mort du chef de la compagnie Wagner, le gouvernement risque vraisemblablement de renforcer son influence et son contrôle sur le groupe. Jusqu’à aujourd’hui le Kremlin a pu s’éloigner des actes commis par le groupe, mais celui-ci affiche aujourd’hui une trop insolente réussite pour prendre le risque de le perdre. La Russie a également besoin de continuer à s’approvisionner en ressources naturelles via la compagnie en Afrique, avec une économie russe qui souffre de plus en plus de son isolement.


Mais une transition du commandement sera compliquée : si les premiers mercenaires avaient rejoint Prigojine pour la solde, il a ensuite joui d’une importante popularité et il existe au sein du groupe une forte loyauté pour l’homme et pour les idées qu’il représentait, notamment un nationalisme russe extrêmement belliqueux.


Les risques d’un dérapage sont donc importants : en 2018 un affrontement entre des forces américaines et des mercenaires de Wagner avait éclaté en Syrie pour le contrôle d’un important gisement de pétrole. Si le même affrontement venait à se reproduire ailleurs, le gouvernement russe serait alors directement impliqué et le risque géopolitique n’en est donc que plus grand.


La Chine est finalement la concurrente la plus discrète à laquelle la France fait face dans la région. Le pays a toujours affirmé vouloir avant tout faire des affaires dans la région, et il ne déroge pas à sa position initiale. La Chine cherche avant tout à conserver ses accords commerciaux et d’exploitations de zones minières et ne s’oppose donc jamais aux putschistes. Le seul écart à cette politique au Sahel est la proposition chinoise d’agir en tant que médiateur au Niger, dans la continuité de sa réussite diplomatique à rapprocher l’Iran et l’Arabie Saoudite. En tant que premier partenaire commercial de la région, la Chine cherche à minimiser les frictions et à réduire le risque au maximum pour ses investissements et les Chinois présents dans ces pays. Enfin, contrairement aux aides au développement françaises ou européennes, l'utilisation des aides chinoises est strictement encadrée en obligeant les Etats à dépenser l’argent uniquement auprès de sociétés chinoises, employant des Chinois, ne permettant donc qu’un bénéfice moindre pour l’économie locale, l’argent n’étant pas injecté localement, voire quittant parfois le pays quand la Chine perçoit des intérêts sur les prêts. Néanmoins le pays ne s’oppose pas à l’influence politique française dans la région, d’autant plus que ce n’est pas la zone d’Afrique où la Chine investit le plus. La concurrence est alors avant tout commerciale entre la France/l’UE et la Chine.




Barkhane : échec affiché, raison d’un départ français ?


L’opération Barkhane au Sahel s’est terminée le 9 septembre 2022, sur décision du président français Emmanuel Macron après un coup d’Etat au Mali en 2021. Cette opération est régulièrement accusée dans les discours anti-français d’avoir servi de bras armé à l’ingérence française dans la région et aurait permis aux armées françaises de commettre de nombreuses exactions dans la région. Pour comprendre s’il existe toujours un avenir pour la France dans la région, il faut d’abord revenir sur cette opération militaire de huit années, qui aura structuré les relations régionales pendant près d’une décennie et dont la fin brutale risque de créer un vide.


Lorsque la France lance l’opération Barkhane, à la suite des opérations Serval et Epervier demandées par le Mali, il existe plusieurs objectifs stratégiques français : empêcher la réussite diplomatique des djihadistes au Sahel et former les armées malienne, nigérienne puis sahéliennes à la lutte anti-terroriste. Cette mission a rapidement été mise dans l’impasse suite à l’incurie de la classe politique sahélienne, sans pour autant retirer ou nier les erreurs françaises d’appréciations, d’analyse et de communication. L’opération semble pourtant réussir sur plusieurs plans : à partir de 2018 c’est la fin des attentats de grande ampleur dans les capitales sahéliennes, Al Qaïda échoue à s’installer en Libye et les capacités de recrutement des cellules djihadistes font face à une baisse structurelle. Néanmoins il existe un raté, celui de ne pas avoir su prévoir que cette insurrection réussisse à se transformer en une insurrection locale de grande ampleur au nom de l’islam.



Christophe BARAST, Armée française / Page Facebook de l'Armée de Terre / Licence Ouverte 2.0

Il existe aussi un fossé, notamment au Mali, entre les armées locales et l’armée française. Les forces politiques maliennes considèrent que les forces françaises “gèrent” le nord du pays et vont donc choisir de s’occuper de la présence djihadiste au sud du pays. Néanmoins, l’armée malienne opère mal, avec des exactions contre les populations civiles et le financement et l’équipement de milices privées qui s’autonomisent du pouvoir malien. Les autorités françaises sont prises au piège des dynamiques politiques internes de leurs partenaires. Aucune définition commune de l’ennemi terroriste n’est établie ce qui gêne les opérations et la coordination. Les élites politiques sahéliennes se montrent incapables de prendre conscience de l’urgence de revoir leurs pratiques de gouvernance et perpétuent le tribalisme politique en favorisant leurs ethnies. Enfin, les mauvaises pratiques des armées sahéliennes ont un rôle déterminant en tant que moteur de nouvelles insurrections. Les responsables politiques français et sahéliens sous-estiment aussi l’incroyable difficulté à articuler une lutte armée à une action politique, sociale et économique afin d’empêcher les cellules djihadistes de réapparaître là où elles ont été vaincues.


Barkhane est donc un échec, né du manque de prévision des autorités françaises et d’un manque de réforme des actions politiques des partenaires sahéliens. L’armée malienne finira ainsi par s’engager dans un coup d’Etat pour protéger son image et rejeter la faute sur l’armée française. Si l’opération est en soi un échec (nécessité de quitter la zone, terrorisme toujours présent, partenaires rejetant la coopération), la France n’en ressort pour autant pas comme les Etats-Unis de l’Irak ou de l’Afghanistan. Le reste de la région reste attachée à maintenir de bonnes relations avec le pays et certains pays sahéliens sont restés de farouches alliés de la France, comme le Tchad surnommé “la Prusse africaine” pour son armée moderne et efficace.



Quelle suite pour la France en Afrique de l’Ouest ?


Il faut d’abord, comme dans chaque situation de crise, garder son calme et ne pas surréagir: il n’y aujourd’hui aucun rival proposant une alternative politique de long terme à celle proposée par la France. La Chine souhaite se limiter au commerce pour l’instant et la Russie adopte avant tout un rôle d’agitateur, sans proposer une structure politique derrière. Ces coups d’Etats ne signifient d’ailleurs pas non plus une perte d'influence pour la France, et certains semblent parfois légitimes. Le coup d’Etat au Gabon est intervenu après la réélection d’Ali Bongo à un troisième mandat, élections que tout le monde savaient truquées. Le coup d’Etat apparaît alors comme légitime, d’autant plus que les militaires ont déjà nommé un premier ministre pour organiser la transition, l’opposant Raymond Ndong Sima, ancien ministre de l’agriculture en 2009 et ancien premier ministre d’Ali Bongo entre 2012 et 2014. C’est un des rares politiques gabonais à s’être publiquement opposé aux soutiens d’Ali Bongo, ce qui le forcera à quitter son poste. Le Comité pour la Transition et la Restauration des Institutions (CTRI) qu’il dirige désormais devrait bientôt nommer un gouvernement. Mais pour l’instant le pays semble connaître un état de grâce avec secteur privé et une société civile satisfaits du choix. De plus, le Gabon a réaffirmé sa relation avec la France, qui a pour l’instant suspendu sa coopération militaire avec le pays en attendant de voir l’évolution des choses.


Au contraire, le Mali, le Burkina Faso et le Niger sont des Etats qui ont mis fin à des mandats de présidents légitimement élus. Le risque dans ces Etats est une dégradation de la sécurité intérieure, entre des troupes sahéliennes qui continuent de lutter contre le djihadisme avec des exactions, et sans le soutien des forces françaises mais épaulées par les forces de Wagner. Or, celles-ci sont connues pour leur violence, dont elles ont fait preuve plus d’une fois, notamment en Ukraine. La jeunesse de ces Etats est la première victime d’un coup d’Etat qu’elle accueille pourtant maintenant comme un soulagement, car ses perspectives ne cessent de s’assombrir : pas d’emplois, pas de perspectives économiques et une situation intérieure se détériorant rapidement.

Il faut cependant éviter d’évoquer une opération militaire au Niger. Déjà car celle-ci n’a aucune chance d’aboutir : les Etats régionaux ont assez de soucis intérieurs pour vouloir se créer un nouveau problème avec un conflit à leurs portes. Ensuite car la France ne pourrait que pâtir d’une opération militaire spéciale avec pour visée l’instauration d’un régime démocratique : les Américains s’y sont essayés en Irak et en Afghanistan avec les réussites que l’on connaît.


Il faut maintenant chercher à apaiser les relations avec ces Etats, et viser à plus de transparence et de coopération avec le reste de la région pour qui le risque terroriste ne disparaît pas. Cette région est d’ailleurs largement sympathique à la France, avec notamment des réussites démocratiques comme au Sénégal ou en Côte d’Ivoire. La France doit aussi se repositionner dans une lutte contre la désinformation, qu’elle soit d’origine russe ou sahélienne. Il faut que le Sahel devienne un véritable sujet géopolitique pensé au-delà du spectre militaire en France. Il faut aussi que la France s’entoure de ses alliés et partenaires européens dans la région, car les dirigeants politiques français n’ont aujourd’hui ni les moyens ni l’envie, ni la légitimité de contrôler, pacifier et de démocratiser l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest. Le Sahel est une région clé dont la stabilité garantit à long-terme la stabilité européenne. La France doit donc repenser sa stratégie sahélienne et plus largement sa stratégie africaine autour de partenariats communs, clairs et transparents.



Sources:

  • Afrique: comprendre les coups d’Etat - Une leçon de Géopolitique, Le dessous des cartes, Arte, 08.09.2023

  • Mali. Opération Barkhane : les raisons d’un échec, L’Humanité, Pierre Barbancey, 18.02.2022

  • Barkhane: échec, réussite ou bilan nuancé, Institut Montaigne, Jonathan Guiffard,17.03.2023

  • La France n’a plus de marge de manoeuvre aujourd’hui dans le Sahel, Le Point Afrique, Antoine Glaser, 01.08.2023

  • Thématiques, acteurs et fonctions du discours anti-français en Afrique francophone, Études de l’Ifri, IFRI, Thierry Vircoulon, Alain Antil et François Giovalucchi, juin 2023.

  • La Chine veut jouer les médiateurs au Niger, La Tribune, 05.09.2023.

  • En Afrique, Moscou devra assumer “le risque géopolitique” d’une gestion directe de Wagner, Courrier International, 26.08.2023.

  • Pourquoi la France doit renouveler sa relation avec l’Afrique, L’Opinion, Louis Aliot, 20.08.2023.

  • La stratégie de Wagner en Afrique, New African, Laurent Soucaille, 24.02.2023.



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