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  • Pierre-Louis Bordereau

Vers une crise financière mondiale ?


NASDAQ MarketSite TV studio
Luis Villa del Campo / Times Square - NASDAQ / Creative Commons Attribution 2.0 Generic


Après plusieurs semaines de critiques, d’attentes et surtout d’impatiences, la BCE (Banque Centrale Européenne) a enfin annoncé, le 21 juillet dernier, la hausse de ses taux directeurs de 50 points de base, soit 0,5%. Mais alors que le marché obligataire n’a fait que croître ces dernières années, au point de peser près de 270.000 milliards de dollars, une telle mesure ne fait que confirmer notre entrée dans une nouvelle réalité économique, celui d’une crise financière et mondiale qui semble partie pour durer.

Le retour de la dette ?


La dernière décision de la BCE vise à endiguer l’inflation galopante (entre 6,5 et 7% pour la France et au moins 7,6% pour la moyenne européenne sur l’année) qui touche actuellement le continent. Néanmoins une telle mesure risque de mettre en danger certaines économies de la zone euro, fortement endettées, et qui profitaient jusqu’alors de la planche à billets européenne et des taux d’intérêts extrêmement bas. Aujourd'hui, seule l’Allemagne profite encore de taux d’emprunts assez faibles (1,67%) et ses perspectives de financement de sa dette sur les marchés restent plus qu’encourageantes. Il faut dire que le pays n’a eu recours au déficit public que partiellement ces dernières années (alors qu’il s’institutionnalisait dans une grande partie de l’Europe) et que son besoin de refinancement est, de fait, également plus faible.


Il faut bien comprendre que la dette des Etats n’est généralement pas destinée à être remboursée de la même façon que la dette d’un ménage vis-à-vis de sa banque par exemple. Les Etats peuvent choisir de faire « rouler leur dette » : cela signifie qu’ils empruntent sur les marchés en échange d’une reconnaissance de dette. Une fois que cette reconnaissance arrive à échéance, et qu’il faut la rembourser, l’Etat emprunte à un autre acheteur pour rembourser sa première dette après avoir réglé des intérêts, et ainsi de suite. On comprend rapidement qu’en période de taux faibles, voire négatif comme ce fut le cas pendant quelques temps, il est facile de faire rouler sa dette car les intérêts sont minimes et faciles à payer.

Mais avec une remontée des taux, nécessaire pour lutter contre l’inflation, le risque que certains Etat ne puissent plus assumer le coût du refinancement de leur dette augmente. Des Etats comme la Grèce ou l’Italie, déjà fortement endettés à respectivement 150% et 193% de leur PIB doivent dès le départ emprunter plus qu’une Allemagne endettée à 69%, et leur taux bondissent également. Dans ces conditions, financer la dette devient très coûteux et graine un peu plus le budget de ces Etats déjà fortement déficitaires.


Source : Données Insee


Dans ce contexte, la hausse des taux par la BCE atteindra certainement son objectif, celui de lutter contre l’inflation. Mais ensuite ? Cette remontée ne sera sûrement pas suffisante pour endiguer totalement la flambée des prix, également liée à des facteurs mondiaux (chaînes d’approvisionnement, guerre en Ukraine...). La croissance continuelle des taux risquer alors de propager une nouvelle crise de la dette en Europe, dix ans après le sauvetage de la Grèce. Or, si celle-ci apparaît de nouveau menacée, il ne faut pas croire que seuls les pays du sud de l'Europe comme l'Italie et l'Espagne seraient touchés. En effet, aujourd'hui, même des pays comme la France ou la Belgique présentent un endettement supérieur à 100% de leur PIB et ne sauraient être épargnés.


Mais d'un autre côté, une inaction de la BCE et une inflation non maitrisée entrainera toujours plus de mesures aux échelles nationales pour tenter de protéger les populations et leur pouvoir d’achat, et donc une hausse des dépenses. Sans compter que l’image de l’Union Européenne en sortirait grandement affaiblie avec des institutions décrédibilisées au niveau européen comme mondial.


Sources : "General Government gross debt", FMI WEO d'avril 2022, avec prévisions WEO d'octobre 2019 en pointillés (Graphique de gauche) ; "General Government balance", FMI WEO d'avril 2022 (Graphique de droite)


L'augmentation du coût de la dette

Sources : Insee jusqu'en 2021 puis calculs BDF sur fond gris


François Villeroy de Galhau, le directeur de la Banque de France, résumait ainsi le 10 mai 2022 que « la dette a maintenant un coût », à une époque où la règle des 60% d’endettement et des 3% de déficit des traités européens n’a plus aucun sens et que l’Europe, et le monde avec elle, n’a jamais été aussi endettée.

Et les autres ?


On a également beaucoup parlé de la chute de l’euro face au dollar, ou de la chute de l’euro tout simplement. Cette chute aura des conséquences directes : cela rend en premier lieu encore un peu plus difficile le remboursement de nos dettes. Mais notre énergie nous coûtera, elle aussi, plus chère, couplée à une hausse naturelle des prix en raison de la guerre en Ukraine. Par exemple, la réouverture du Nord Stream I qui se fera finalement à 20% de ses capacités, contre 40% précédemment annoncé, maintient le risque de perturbation sur un marché de l’énergie déjà très complexe et où les pays européens ne sont plus certains de pouvoir constituer des réserves d’hydrocarbures pour l’hiver.

Le rouble, quant à lui, constitue la surprise de ces derniers mois sur le marché des devises étrangères puisque la devise de Moscou a été l’une des plus performantes. Comment expliquer cette surperformance alors même que le pays est visé par des sanctions occidentales et qu’il a été, dès les premiers jours de la guerre, exclu du système SWIFT, sans lequel échanger avec l’étranger devient très limité ? Cette surperformance est explicable en deux points.

Evoquons, d’abord la hausse des prix de l’énergie, et plus précisément la hausse des prix du gaz et du pétrole. Cette hausse a débuté bien avant la guerre en Ukraine avec, notamment, la reprise de l’économie mondiale post covid-19 et la diminution progressive des rendements ayant poussé les investisseurs à faire pression sur les producteurs afin de produire moins. Mais, la transition écologique a également participé de cette hausse des prix en présentant le gaz comme une énergie de transition, moins polluante. Enfin la guerre en Ukraine a fini d'envenimer la situation en compliquant le processus d'approvisionnement de l’Europe et du monde. Le Vieux Continent importait en effet plus d’un tiers de son gaz et de son pétrole de Russie, qui joue, aujourd’hui, sur l'arme énergétique pour miner le soutien des Occidentaux à Zelenski et l’Ukraine.

Quant à la deuxième raison de la résilience du rouble, elle semble plus politique ; le Kremlin ayant pris soin de contrôler les capitaux russes afin de les conserver dans le pays et de limiter les fuites de capitaux vers l’étranger.


Variation du prix des énergies / Index Mundi, CC BY-NC-ND


Pour autant, le rouble peut-il continuer ainsi, alors même que la guerre et les sanctions semblent parties pour durer. La Chine a déjà marqué une pause dans ses investissements en Russie liés au projet des routes de la soie ( « One Belt, One Road »), ne pouvant plus envisager de relier l’Europe en passant par la Russie. Autre exemple de difficultés à venir pour l’économie russe : la production d’hydrocarbures. L’OPEP ou des pays comme l’Angola profitent aujourd’hui de la hausse des prix - qui pourrait toutefois prendre fin plus tôt que prévue si l’Arabie Saoudite s’engageait à augmenter sa production pour soutenir la demande mondiale. Or, au-delà de ces scénarios à court-terme, la hausse des prix de l’énergie durera forcément moins longtemps que le divorce énergétique opéré entre la Russie et l’Union Européenne. Par ailleurs, la décision russe de limiter l’usage de Nord Stream à 20% pénalise également fortement le pays. En effet, l'importation de GNL, « gaz naturel liquéfié » requiert de nombreuses infrastructures spécifiques (gazoducs, terminaux portuaires adaptés...) dont la majorité sont situées sur le vieux continent. Difficile, donc, pour la Russie de trouver un marché de substitution. Certes, la Chine a augmenté ses importations de gaz russe, mais cette hausse aura une limite et l’empire du milieu ne prendra aucunement le risque de se retrouver dans une position de dépendance trop forte vis-à-vis de l’ogre russe.



Dans ce contexte, le grand gagnant de cette crise est finalement le dollar, malgré la forte inflation qui sévit aux Etats-Unis et les difficultés rencontrées par la FED pour la maitriser. En réalité, si l’euro a fortement baissé face au dollar, au point d’atteindre à nouveau la parité dollar-euro, voire de passer en dessous, ce n'est pas seulement la faute aux incertitudes économiques qui règnent en Europe. Cette baisse est effectivement structurelle, le dollar restant par défaut une monnaie refuge en cas de crise financière et économique : 90% des opérations de change dans le monde concernent des dollars. De plus, la FED a été la première à organiser la remontée des taux d’intérêts, dès le mois de juin. Cette hausse a entraîné une hausse de la demande du dollar et donc une hausse de sa valeur.

Avant de conclure, il faudrait rappeler que l’Europe n’est pas la seule exposée au risque de la dette, et qu’elle est peut-être la mieux armée parmi les Etats qui y sont sensibles. La dette des pays pauvres est très souvent libellée en dollars, et la hausse du dollar va asséner un nouveau poids pour ces économies déjà en difficulté. Des Etats dont la monnaie se déprécie fortement sont aussi exposés aux risques : Turquie ou Argentine devront ainsi redoubler de vigilance pour échapper ou sortir du piège de la dette. Le Sri Lanka, devenu aujourd’hui incapable de payer ses créanciers, est un bon exemple des risques possibles.




Il conviendrait également de rappeler que la dette n’est pas uniquement étatique, comme nous le montrent les difficultés du géants chinois Evergrande, alors que son PDG vient d’être remercié. Le risque pour l’économie chinoise est réel, alors que le groupe affiche un endettement de 300 milliards de dollars et emploie 200.000 personnes et indirectement 3.8 millions de personnes supplémentaires. Plus qu’Evergrande, c’est tout le système immobilier chinois qui est en crise, dans un secteur où la dette est courante pour financer les constructions, les livraisons sont retardées, tout cela sous la supervision d’un PCC de plus en plus favorable à la réduction de leur endettement pour réduire les risques. La situation chinoise, si elle reste plus enviable que celle des Européens pour le moment (dette sur PIB à 70% en 2020), n’a pas forcément de belles perspectives devant elle.

Li Keqiang, Premier Ministre chinois, annonçait ainsi que les défis économiques actuels sont « plus grands que lorsque la pandémie a durement frappé en 2020 ». La dette, privée comme publique, est en hausse et menace la croissance du pays, déjà mise à mal par les confinements stricts à répétition choisis par Xi Jinping. La reprise de la consommation reste donc faible, alors même que la demande extérieure se contracte et diminue les revenus commerciaux chinois. Pourtant le pays ne semble pas vouloir démordre de sa politique agressive face au covid, même si le pire semble maintenant derrière eux avec presque 90% de sa population vaccinée. Après des décennies de croissance insolente, la Chine doit donc, aujourd’hui, se préparer à atterrir.



Sources :


  • « La soutenabilité de la dette française, entre hausse des taux et règles européennes », discours de François Villeroy de Gilhau, 10 mai 2022

  • « Pourquoi le dollar est trop fort pour l’économie mondiale », Courrier International, 18 juillet 2022

  • « Gazoduc. La Russie diminue à nouveau ses livraisons de gaz à l’Europe », Courrier International, 26 juillet 2022

  • Insee

  • « Le gouvernement chinois au chevet d’une économie sous cloche », Frédéric Schaeffer, 15 juin 2022, Les Échos.



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