top of page
  • Marie Hervouet

Taïwan : l’île capable de bloquer l’économie mondiale


Semi-conducteur
Ranjat M / Pixabay

Taïwan. Ce pays se retrouve régulièrement à la une de l’actualité internationale, en raison des velléités expansionnistes de son voisin chinois. Dernier événement majeur en date : les déclarations d’Emmanuel Macron qui ont fait polémique lors de son voyage en Chine du 4 au 6 avril 2023 et les exercices militaires menés par la Chine autour de l'île peu de temps après. Ce que l’on sait moins, c’est qu’une invasion chinoise de Taïwan aurait des répercussions sur l’économie globale. Présentation d’une île atypique.


Taïwan, leader en matière de semi-conducteurs

Les semi-conducteurs, ces précieux composants

Les semi-conducteurs sont omniprésents dans notre quotidien. A commencer par les smartphones. Une vingtaine de semi-conducteurs sont ainsi nécessaires pour la circulation et le stockage de l’information, sans oublier le graphisme. La production de puces électroniques est une production d’avenir, avec le développement continu des outils informatiques et l’essor de l’intelligence artificielle. D’autres secteurs, auxquels on pense moins, sont également dépendants de ces composants, à l’instar du secteur automobile. La dépendance croissante vis-à-vis des semi-conducteurs a été révélée au grand jour avec la pénurie de ces composants en 2021. Cette pénurie a contraint les constructeurs automobiles à réduire leur production, à l’image de Renault. Le constructeur automobile français a chiffré la perte de production à 500 000 véhicules pour l’année 2021. La raison de cette pénurie ? Une demande en hausse, en partie en raison du télétravail, et une offre perturbée par la pandémie de la Covid-19.


Etonnamment, c’est une petite île de 23 millions d’habitants, dont la superficie est deux fois inférieure à celle de la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui s’affirme comme le leader du secteur, avec 59% de la production mondiale. Taïwan se taille donc la part du lion dans ce domaine, dans lequel Etats-Unis et Europe font pâle figure, ne représentant respectivement que 12% et 10% de la production mondiale de semi-conducteurs. Cette domination taïwanaise en la matière est majoritairement due à l’essor de TSMC.


​Point sur TSMC, l’entreprise phare des semi-conducteurs


Ce nom est méconnu du grand public. Et pourtant, Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC) est valorisée à hauteur de 540 milliards de dollars, se positionnant ainsi comme la dixième entreprise la plus valorisée au monde et la première en Asie. L’entreprise fabrique à elle seule presque 50% des semi-conducteurs du globe et reste la plus avancée technologiquement dans le domaine. A l’heure actuelle, 24% des semi-conducteurs utilisés dans le monde sont issus de ses usines. Plus encore, 92% des puces les plus avancées utilisées en 2019 dans le monde sont issues de ses usines, selon un rapport du Boston Consulting Group.


Cette emprise du marché des semi-conducteurs par une entreprise taïwanaise n’est en rien dû à un hasard. Elle est le résultat du volontarisme politique du gouvernement taïwanais dans les années 1970. Conscient que l’île est trop exigüe pour développer l’industrie lourde, le gouvernement mise alors sur la filière des semi-conducteurs. Filière alors presque inexistante mais prometteuse. Cette stratégie se concrétise avec la création d’un centre de R&D, l’Industrial Technology Research Institute (Itri) en 1973.


En 1985, l’ingénieur Morris Chang, alors vice-président responsable de la partie semi-conducteurs chez Texas Instruments, accepte la proposition du Premier ministre taïwanais de diriger l’Itri. Il convainc le gouvernement de créer un sous-traitant prenant en charge la fonderie des puces, étape coûteuse du processus de fabrication. C’est chose faite en 1987 avec la naissance de la Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC).


TSMC s’insère dans une filière très complexe où se côtoient fabricants de dispositifs intégrés (IDM), les sociétés sans usine de fabrication et autres fonderies. Les sociétés sans usines de fabrication se concentrent uniquement sur la conception, les fonderies ne s'occupent, elles, que de la fabrication. Les IDM, quant à elles, font les deux (conception et fabrication).



Source : Shinhan Investment Corp


Bien que dominant, le mastodonte taïwanais n’est cependant pas en position de monopole. En effet, Samsung, son principal concurrent avec 15% des parts de marché (2020), s’est lancé dans ce secteur d’activité en 2005, en vue de le talonner d’ici 2030. D’un point de vue technologique, seules ces deux entreprises sont en mesure de proposer des puces de 5 nanomètres (production lancée en 2022 pour les puces de 3 nanomètres).

Une dangereuse concentration

Si TSMC a installé ou envisage d’installer des usines à l’étranger (Etats-Unis, Japon), il n’en demeure pas moins que l’entreprise conserve 90% de sa production et ses usines les plus modernes à Taïwan. Une telle stratégie met le monde sous tension. En effet, cela signifie que près de la moitié de la production de puces dans le monde est le fait d’une seule société située sur une petite île, soumise aux aléas climatiques (typhons) et aux tensions sino-américaines.


Les Etats-Unis, la Chine et l’Europe, autres acteurs majeurs de la chaîne de valeur des semi-conducteurs, cherchent donc à développer leur propre production de semi-conducteurs. Toutefois, rattraper le retard en matière de semi-conducteurs n’est pas chose aisée puisque, selon AMD, concepteur et vendeur de microprocesseurs, « il faut des années de recherche et développement pour concevoir, développer, produire, commercialiser une gamme de semi-conducteurs ».


Côté américain, la figure de proue du secteur, Intel, accuse un retard croissant sur son concurrent taïwanais. Intel n’est toujours pas parvenu à graver des puces de 7 nanomètres, tandis que TSMC est en mesure de proposer des puces de 5 nanomètres, de 3 nanomètres depuis l’année dernière (début de la production en septembre 2022) et prévoit des puces de 2 nanomètres en 2025. Ce retard est tel que l’inventeur du micro-processeur songe à confier une partie de sa production de ses processeurs à un concurrent. Le décrochage d’Intel est le symbole d’une Amérique en perte de vitesse dans la production de semi-conducteurs. Selon la Semiconductor Industry Association, le lobby qui défend les industriels américains du secteur, la part des Etats-Unis dans la production mondiale des puces est passée de 37 % en 1990 à 12 % aujourd'hui. Le gouvernement américain cherche donc à inverser la tendance à grand renfort de subventions. Le Chips and Science Act, promulgué en août 2022, prévoit ainsi une enveloppé de 280 milliards de dollars d’aides, un tiers de cette somme étant destiné aux entreprises de semi-conducteurs, le reste à la recherche et développement. Outre les subventions, Washington tente de convaincre les géants asiatiques du secteur de construire des usines sur le sol américain. A titre d’exemple, TSMC a investi 40 milliards de dollars dans un site de production en Arizona, qui devrait être opérationnel fin 2023. De même, Samsung a l’intention de construire une usine au Texas, opérationnelle fin 2024.


Pour ce qui est de la Chine, les semi-conducteurs sont son véritable talon d’Achille, puisqu’en 2021 elle a importé en valeur plus de 430 milliards de dollars de puces, dont 36% en provenance de Taïwan. Grande consommatrice de ces puces, la Chine vise l’autosuffisance à hauteur de 70% d’ici 2025, contre 15% à ce jour. Malgré ce faible pourcentage, il convient de noter les progrès réalisés. En effet, les ventes des entreprises chinoises de semi-conducteurs sont passées de 13 milliards de dollars en 2015 (3,8 % du marché mondial) à 39,8 milliards de dollars en 2020, soit un taux de croissance annuel sans précédent de 30,6 % (9 % du marché mondial). Ces progrès quantitatifs cachent toutefois sa grande faiblesse sur le plan qualitatif, celle de produire des semi-conducteurs de haut de gamme.


Consciente de sa dépendance à l’Asie, l’Europe cherche également à investir dans la filière et entend multiplier par quatre sa production de puces électroniques d’ici 2030 pour atteindre 20% de parts de marché mondial (9% aujourd’hui). C’est l’objectif du « Chips Act », loi européenne sur les semi-conducteurs », qui prévoit une enveloppe de 43 milliards d’euros. Cette ambition affichée de l’UE laisse certains dubitatifs. Ainsi, Mathieu Duchâtel, directeur du programme Asie à l’Institut Montaigne, affirme que « Le Chips Act européen crée un régime d’exception. Mais à la fin, c’est la direction générale de la concurrence de l’UE qui approuve ou pas les aides proposées par les Etats membres pour attirer les investissements, ce qui pose la question de la lourdeur bureaucratique. On fonctionne au ralenti, par rapport à l’exécutif américain ou au METI [le ministère de l’économie, du commerce et de l’industrie japonais] ».


Taïwan, point de passage stratégique du commerce international

Shoshui / https://en.wikipedia.org/wiki/en:Creative_Commons / https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/deed.en

Outre les semi-conducteurs, Taïwan est stratégique en raison de son positionnement géographique. Le détroit de Taïwan, qui sépare l’île de la Chine, est le lieu de passage privilégié des navires qui transportent des marchandises des usines chinoises vers les ports européens et américains. Selon les calculs de Bloomberg, « environ 48 % des 5.400 porte-conteneurs en opération dans le monde » y ont navigué en 2022. « La voie navigable représente 88 % du trafic » des plus gros cargos, assure même l'agence économique.


Se passer du détroit de Taïwan est possible mais comporte des risques. Les navires seraient en effet contraints de naviguer entre Taïwan et les Philippines, une zone régulièrement frappée par des typhons.



Taïwan, au cœur des tensions sino-américaines


« Taiwan est devenu du fait de son avance technologique un enjeu géostratégique de la guerre commerciale sino-américaine, écrit dans une note Alain Berder, chef du service économique au Bureau français de Taipei. Taiwan attire la convoitise des grands acteurs mondiaux des technologies qui souhaitent attirer ses groupes, en particulier TSMC, sur leur territoire. »


Alliée américaine et profondément dépendante de la Chine économiquement, Taïwan est tiraillée entre les deux grandes puissances. L’entreprise TSMC illustre à merveille cette double dépendance puisque Etats-Unis et Chine représentent à eux deux 84 % de son chiffre d'affaires.


Guerre technologique sino-américaine

La rivalité sino-américaine a des répercussions directes pour Taïwan. Les Etats-Unis, qui s’évertuent à priver la Chine des puces plus avancées, mènent une politique restrictive en matière d’exportations, affectant Taïwan. Le département du Commerce américain a ainsi annoncé en octobre 2022 deux règlements à ce sujet « pour protéger la sécurité nationale américaine et les intérêts de politique étrangère ». En d’autres termes, il s’agit d’interdire aux entreprises américaines d’exporter des semi-conducteurs à la Chine, à moins d’obtenir une licence d’exportation, afin de maintenir un avantage technologique et d’éviter les usages militaires liés à la détention de puces de dernière génération (amélioration des armes de destruction massive et des systèmes d’information militaires). Ces règlements s’appliquent aux entreprises américaines mais aussi aux entreprises étrangères, dont celles de Taïwan, en raison du privilège d’extra-territorialité. Celles-ci doivent alors obtenir une licence d’exportation pour pouvoir vendre des puces à la Chine. Toujours dans l’optique d’écarter la Chine de la course technologique et de sécuriser leur approvisionnement en puces, les Etats-Unis appellent également de leurs vœux la formation d’une alliance pour les semi-conducteurs, nommée « Chip 4 », regroupant à leurs côtés Taïwan, la Corée du Sud et le Japon.


Une dépendance à la Chine indéniable

Interrogé sur le plan « Chip 4 » de Washington, Chen Chern-chyi, le vice-ministre taïwanais de l'Economie se montre sceptique : « Je ne vois franchement pas comment nous pourrions nous découpler, à court terme, de la Chine. Ce n'est pas réaliste ». En effet, la Chine reste le premier partenaire commercial de Taïwan. La Chine continentale (Hong Kong incluse) est à la fois son premier client avec 40% des exportations, loin devant les Etats-Unis (12%), l’Europe (9%) et le Japon (7%) et son premier fournisseur avec 19,6% des importations, devant ces mêmes pays qui représentent respectivement 12,4%, 12,6% et 17,6% des importations taïwanaises.



Ce tour d’horizon de l’île de Taïwan révèle le rôle capital qu’elle joue au sein de la mondialisation. Son avance technologique en matière de semi-conducteurs et son positionnement géographique en font une île stratégique, à tel point que « l'impact d'une guerre à Taïwan serait bien plus violent sur le plan économique que la guerre en Ukraine, prévient Bernard Keppenne, économiste en chef à la banque CBC. Ce serait le pire des scénarios que l'on puisse envisager aujourd'hui. »


Sources :

  • « Économie : la bataille des semi-conducteurs à Taïwan, un enjeu de pouvoir », franceinfo, 14 août 2022

  • Balenieri Raphaël, « Semi-conducteurs : TSMC, ce géant taiwanais qui peut paralyser le monde », Les Echos, 26 mars 2021

  • « Guerre technologique : 10 points sur les semi-conducteurs », Le Grand Continent, 8 novembre 2022

  • Dumoulin Sébastien, « La course chinoise à l'indépendance technologique bute sur les puces », Les Echos, 8 mai 2022

  • Dèbes Florian, « En Chine, les semi-conducteurs restent un gros point de faiblesse », Les Echos, 18 octobre 2022

  • « Pénurie de semi-conducteurs : le pic est derrière nous, mais il y aura encore «plusieurs trimestres» de crise, selon Thierry Breton », Le Parisien, 14 novembre 2021

  • Marie-Courtois Théo, « Le détroit de Taïwan, un axe indispensable du commerce mondial », Les Echos, 3 août 2022

  • Rousseau Yann, « Les géants asiatiques des puces prisonniers de la guerre sino-américaine de la tech », Les Echos, 10 octobre 2022

  • Godeluck Solveig, « Washington prive la Chine de ses puces les plus avancées », Les Echos, 10 octobre 2022

  • Balenieri Raphaël, « Les semi-conducteurs, nouveau « pétrole » d'une économie mondiale en tension », Les Echos, 12 mars 2021

  • Leplâtre Simon, Leparmentier Arnaud et Mesmer Philippe, « Entre les Etats-Unis et la Chine, la guerre des semi-conducteurs fait rage », Le Monde, 6 janvier 2023

SUIVEZ-NOUS
NE MANQUEZ RIEN

Inscrivez-vous à notre liste de diffusion

Ne manquez aucune actualité

PUBLICATIONS  RÉCENTES
NOS PARTENAIRES
Capture d’écran 2020-02-20 à 13.48.22.
Afnu_PNG.png
Le 1.jpg
3e7906_e4660d5d5210471dba1cd0648ae8768f~
emlyon forever.png
Logo Nemrod.png
logoteli.jpg
  • Facebook
  • Instagram
  • Twitter
  • Youtube
bottom of page