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  • Marie Hervouet

Royaume-Uni : 2022, nouvelle annus horribilis

L’actualité outre-Manche est particulièrement mouvementée dernièrement, marquée notamment par la démission subite de Liz Truss, après seulement 45 jours passés au 10 Downing Street – une première dans l’histoire britannique. Cet événement est symptomatique d’une année 2022 extrêmement compliquée pour le Royaume-Uni. Certes, nombre de difficultés qu’affronte le Royaume-Uni sont communes aux autres pays européens : la Covid-19, l’inflation et la guerre en Ukraine. Cependant, les Britanniques ont également dû faire face à des problèmes propres, entre succession de crises politiques, politiques fiscales hasardeuses et dégradation de la situation sociale et ce, sans compter la disparition de leur chef d’Etat depuis 70 ans, la reine Elisabeth II. A bien des égards, 2022 s’apparente à une annus horribilis[1] pour nos voisins d’outre-Manche. Retour sur cette année difficile.


Cabine téléphonique au Royaume-Uni
Jack Finnigan / Unsplash


Chamboulements au 10 Downing Street


Avant Liz Truss, Boris Johnson a également été contraint de remettre sa démission. La démission de Boris Johnson est le résultat d’un désaveu croissant au sein de la population et du parti conservateur. Porté aux nues par ses pairs en raison d’une victoire historique aux législatives de 2019, il perd progressivement, à partir de 2021, ses soutiens en raison de multiples scandales. Son implication dans l’affaire Owen Paterson, et plus encore le Partygate, ces fêtes organisées à Downing Street pendant la pandémie, ont fortement déplu aux Britanniques. Il s’accroche tant bien que mal au pouvoir jusqu’au 7 juillet, date à laquelle il remet sa démission, cédant à la pression de ses alliés et des membres de son gouvernement. Ces derniers ont appelé leur Premier ministre à démissionner et nombreux sont ceux qui ont choisi de démissionner de leur poste de ministre pour signifier leur désapprobation, dont des figures de premier plan comme Rishi Sunak, alors ministre des Finances.


Boris Johnson parti, la bataille fait rage au sein du parti conservateur pour désigner un successeur. C’est finalement Liz Truss qui remporte face à Rishi Sunak et devient Première ministre le 6 septembre. Elle conçoit, dans la pure tradition tchatchérienne, une relance de l’économie par des baisses d’impôts. Néanmoins, son plan de relance annoncé le 23 septembre, le « mini-budget » est critiqué par le FMI et désavoué par les marchés financiers. Liz Truss et Kwasi Kwarteng, alors ministre des Finances, décident de revenir sur certaines mesures en vue de rassurer les marchés. Insuffisant. Liz Truss opère alors un changement de ministre des Finances en nommant Jeremy Hunt, qui décide quant à lui d’annuler presque la totalité des mesures envisagées dans le plan de relance. Face à cette perte soudaine d’autorité, Liz Truss prend la décision de démissionner le 20 octobre, au terme seulement de 45 jours au pouvoir. Son mandat marquera l’histoire comme étant le plus court de l’histoire britannique. Rishi Sunak lui succède en devenant Premier ministre le 25 octobre.


Cette valse de Premiers ministres, quatre changements de chefs de gouvernement en six ans, est le signe d’une telle instabilité politique que le Daily Telegraph compare le Royaume-Uni à l’Italie.


Une économie dans la tourmente

Tout comme les autres économies européennes, l’économie britannique a subi de plein fouet les conséquences de crises externes comme la pandémie et la guerre en Ukraine (ruptures d’approvisionnement, crise énergétique, etc.). C’est donc en vue de relancer l’économie atone que le duo d’alors, formé de Liz Truss et Kwasi Kwarteng, présente au Parlement le « mini-budget ».


Présenté par Kwasi Kwarteng le 23 septembre, le plan est fondé sur des baisses massives des impôts (45 milliards de livres soit 50,5 milliards d’euros) : abaissement des contributions sociales, de la taxe sur les transactions immobilières, du taux maximal d’impôt sur le revenu de 45 à 40%, l’abandon de hausses prévues concernant l’impôt sur les sociétés, etc. Ces réductions d’impôts s’accompagnent d’un gel des factures d’énergie sur deux ans pour un coût estimé à « environ 150 milliards de livres » (168 milliards d’euros). Quant à la baisse des rentrées fiscales, elle s’élèverait aux alentours des 30 milliards de livres (34 milliards d’euros), selon CNN. Pour financer ce plan, le gouvernement britannique prévoit alors d’emprunter davantage. En baissant de façon drastique les impôts, le gouvernement fait le pari d’une croissance stimulée permettant de combler le manque à gagner des baisses d’impôts.


Cependant, loin de produire l’effet escompté, l’annonce du « mini-budget » a provoqué un vent de panique sur les marchés financiers avec une monnaie en chute libre et une hausse des taux sur le marché des obligations d’Etat. Le manque de logique est reproché dans ce plan. En effet, une telle politique fiscale n’aura à court-terme comme effet qu’une augmentation de la consommation, au moment où précisément la Banque d’Angleterre hausse ses taux d’intérêt pour inciter les Britanniques, dans ce contexte inflationniste, à moins consommer. The Daily Telegraph résume ainsi la situation : « Aux yeux des économistes, c’est un peu comme un conducteur qui appuierait en même temps sur l’accélérateur et sur la pédale de frein ». La perspective d’une inflation accrue explique le comportement des investisseurs qui ont délaissé la livre. L’affaiblissement de la livre, qui a chuté de 16% au cours de l’année 2022, alimente à son tour l’inflation, en renchérissant les importations. Parallèlement, la hausse des taux sur le marché obligataire signifie qu’il coûte plus cher d’emprunter.


Comme évoqué précédemment, le gouvernement britannique fut contraint de rétropédaler en vue de rassurer les marchés. Jeremy Hunt, a fait savoir que « presque toutes les mesures fiscales » annoncées par son prédécesseur allaient être annulées et que le plafonnement des factures d'énergie pour les ménages allait être limité à six mois, contre deux ans initialement. De plus, un nouveau plan budgétaire devrait selon toute vraisemblance être annoncé le 17 novembre par le ministre des Finances. Au regard des déclarations du nouveau Premier ministre, Rishi Sunak, un retour aux politiques d’austérité est à prévoir. Ce dernier a évoqué des « décisions difficiles » indispensables pour « réparer les erreurs » de Liz Truss. A titre d’exemple, Sunak et Hunt n’ont pas renouvelé l’engagement des gouvernements précédents de revaloriser les pensions de retraite au rythme de l’inflation et le projet de porter à 3% du PIB les dépenses en matière de défense d’ici 2030 est remis en question.


Des perspectives peu réjouissantes



L’inflation galopante, enregistrée à 10,1% au mois de juillet, le plus haut chiffre depuis quarante ans, a des conséquences désastreuses sur le plan social. Les Britanniques éprouvent des difficultés croissantes à payer leurs factures d’énergie et une part croissante d’entre eux affluent vers les banques alimentaires. Selon l’équivalent de l’Insee, l’Office for National Statistics, entre avril et juin, les salaires ont subi une baisse de 3% en valeur réelle. L’ONS note également au second trimestre une hausse de 13,4% par rapport au premier trimestre de personnes de plus de 65 ans, théoriquement à la retraite, ayant repris le chemin du travail ou à la recherche d’un emploi.


Si l’année 2022 fut éprouvante, 2023 ne présage rien de meilleur. Les prévisions de croissance indiquent des taux nuls ou négatifs. L’OCDE table par exemple sur une croissance de 0%, plaçant le Royaume-Uni en bas du classement des prévisions de croissance du G20, devant l’Allemagne (- 0,7%) et la Russie (- 4,5%). Quant à l’inflation, elle pourrait atteindre 15% en 2023. L’évolution de la situation internationale – le conflit en Ukraine – influera grandement sur la trajectoire économique du Royaume-Uni. Cependant, l’économie britannique doit et devra également faire face aux conséquences du Brexit (le Royaume-Uni a quitté le marché unique le 1er janvier 2021), camouflées par la pandémie et la crise énergétique, mais qui sont bien réelles. La perte du statut de première place boursière d’Europe de la City, désormais devancée par Paris, en est une.


Notes :


[1] "Annus horribilis" (année horrible en latin) est une expression utilisée par la reine d'Angleterre pour décrire l'année 1992 : 1992 is not a year on which I shall look back with undiluted pleasure (...) it has turned out to be an 'Annus Horribilis'.” (1992 n’est pas une année que je me remémorerai avec plaisir, elle restera comme une annus horribilis).


Sources :


  • Mitchell Sasha, « Royaume-Uni. Dos au mur, la Première ministre britannique Liz Truss démissionne », Courrier international, 20 octobre 2022

  • Mason Rowena, Elgot Jessica et Stewart Heather, « Boris Johnson to resign as Tory leader but hopes to stay as PM until autumn », The Guardian, 7 juillet 2022

  • Feuerstein Ingrid, « Le Premier ministre britannique Boris Johnson annonce sa démission », Les Echos, 7 juillet 2022

  • Feuerstein Ingrid, « Partygate : le rapport Gray accable Boris Johnson », Les Echos, 25 mai 2022

  • Elliott Larry, « UK inflation could reach 15% by start of 2023, experts say », The Guardian, 3 août 2022

  • « Crises. L’italianisation du Royaume-Uni ne fait plus aucun doute », Courrier international, 17 octobre 2022

  • « Crises. Au Royaume-Uni, un mini-budget aux maxi-baisses d’impôts pour créer un choc de croissance », Courrier international, 23 septembre 2022

  • Mitchell Sasha, « Décryptage. Comment expliquer l’effondrement spectaculaire de la livre sterling au Royaume-Uni », Courrier international, 27 septembre 2022

  • « UK Economic Outlook », PwC, 7 septembre 2022

  • Mitchell Sasha, « Inflation. Le Royaume-Uni face au spectre d’une “catastrophe sociale” », Courrier international, 7 septembre 2022

  • « Travail. Les salaires britanniques dévorés par l’inflation », Courrier international, 17 août 2022

  • Panteix Céline, « Londres détrônée par Paris, nouvelle plus grande place boursière d’Europe », Les Echos investir, 14 novembre 2022


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