top of page
  • Clément Visbecq

GAFA : quand les politiques veulent reprendre le contrôle


« Je n’ai pas la réponse à cette question, mais mes équipes vous recontacteront pour donner davantage de détails ». Brève, la réponse a le don de sortir celui qui la formule de nombreuses passes délicates. À n’en pas douter, bien que frustrant les personnes pour qui les réponses avaient le plus d’intérêt – les utilisateurs –, Mark Zuckerberg a beaucoup appris de ceux qui l’interrogeaient. Si le cadre n’est, ici, pas mentionné, il est pourtant connu de tous. Sous le feu des critiques depuis le déclenchement de l’affaire Cambridge Analytica, le PDG et fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, était invité mardi 10 avril à répondre aux questions du Congrès des États-Unis. Il faut dire que le scandale est de taille : les données de 87 millions d’utilisateurs du réseau social auraient été récupérées, à leur insu, par une société spécialisée dans l’influence politique. Des données ensuite utilisées dans le cadre de la campagne présidentielle de Donald Trump. Pas étonnant donc de voir le Congrès américain se saisir du dossier. Et ce, d’autant plus que le réseau social fort de 2 milliards de membres n’est pas le seul dans la tourmente : les géants du numérique sont montrés du doigt pour violation de la vie privée et pour évasion fiscale.

The Prime Minister, Shri Narendra Modi and the Facebook Chairman and CEO, Mr. Mark Zuckerberg at Townhall Q&A session, at Facebook HQ, in San Jose, California on September 27, 2015.
Prime Minister's Office, Government of India / Wikimedia Commons

Mark Zuckerberg et le Premier ministre Narendra Modi en 2015

En Europe comme aux États-Unis, citoyens et responsables politiques organisent la riposte.

« Ce n’est pas parce que ces compagnies [Google, Amazon, Facebook et Apple] ont fait des choses fantastiques pour nous et que nous pouvons les considérer comme des innovations formidables que nous devons cacher leur côté obscur ». Deux mois après le début de l’affaire Cambridge Analytica, les mots de Franklin Foer, journaliste à The Atlantic et auteur de World without mind, n’ont jamais semblé aussi justes. Il faut dire que les quatre entreprises de l’internet font figure d’entreprises diaboliques tant en termes de protection des données que d’évasion fiscale. Un rapport de l’eurodéputé socialiste Paul Tang souligne d’ailleurs que Google paie hors de l’Union européenne des impôts représentant 9% de son chiffre d’affaires. Une proportion qui tombe à 0,82% dans l’UE. Au total, l’Union européenne aurait perdu plus de 5 milliards d’euros en impôts de Google et Facebook sur la période 2013-2015.

Quant à la protection de nos données et à la violation de notre vie privée, il suffit de se pencher sur le modèle économique de Facebook pour comprendre l’inquiétude – tardive – des politiques et des citoyens. La stratégie des dirigeants de Facebook consiste à pousser ses utilisateurs à partager des informations personnelles puis à les épier pour pouvoir les abreuver de publications qui les garderont actifs sur le site et, en même temps, de publicités ciblées. C’est à travers ce modèle que les mots de Mark Zuckerberg, courant 2010, prennent tout leur sens : « l’intimité n’est plus une norme sociale ». Pour Franklin Foer, pas surprenant donc, si à l’égard de cette indifférence idéologique à la vie privée, « Facebook n’a aucun scrupule à donner accès aux données de ses utilisateurs ». D’ailleurs, Cambridge Analytica n’est pas le premier scandale auquel doit faire face le réseau social. Au début des années 2010, l’entreprise avait ouvert la porte des données de ses utilisateurs à des développeurs d’applications tiers.

Reprendre le contrôle

Avisé, Franklin Foer porte un regard critique sur les lois américaines en matière de protection des données. L’interrogation qui découle de sa réflexion est légitime : « tout au long de leur histoire, les Américains ont demandé à l’État de les protéger [de l’exploitation de leur vie privée]. La loi empêche les établissements financiers de profiter de la faiblesse ou de l’ignorance de ses clients et interdit le commerce de leurs données bancaires. Lorsque les industriels de l’agroalimentaire ont truffé leurs produits de substances infectes, l’État les a obligés à donner la liste complète des ingrédients. Lorsque nous avons créé les systèmes de transport, l’État a imposé des limitations de vitesse et la ceinture de sécurité. [Pourquoi ne pas] appliquer notre modèle historique à notre nouveau monde ? ». Dans ce mouvement de régulation et de reprise du contrôle, la solution semble venir de Bruxelles et de l’Union européenne, en témoigne l’entrée en vigueur du « règlement général sur la protection des données » le 25 mai. Le corpus de loi crée un cadre légal unique pour l’ensemble des États membres, obligeant les entreprises du web à dire clairement ce qu’elles comptent faire des données personnelles qu’elles collectent. Le RGPD donne également plus de pouvoirs aux citoyens, leur permettant, notamment, d’effacer leurs données.

Biljana Jovanovic / Pixabay

Quant à la fiscalité, Bruxelles initie là encore le mouvement. Pour mieux taxer les mastodontes que sont Facebook, Google, Apple et Amazon, la Commission européenne prévoit de fixer un taux d’imposition à 3%. Les propositions de la Commission sont issues d’un plus vaste mouvement porté par l’OCDE, visant à réformer la taxation d’un secteur d’activité qui échappe largement à l’impôt et aux Trésors publics nationaux. Outre un taux à 3%, la Commission européenne et son commissaire aux Affaires économiques et financières, Pierre Moscovici, comptent mettre en place un impôt provisoire sur les activités numériques – recettes publicitaires, frais payés par les utilisateurs de services, gains générés par la vente des données personnelles à des tiers – aujourd’hui non taxées. Selon le Financial Times, si elles sont votées, ces mesures pourraient rapporter un peu plus de 4 milliards d’euros à l’Union européenne. Cependant, le conditionnel est de mise, puisque ces mesures nécessitent l’accord de l’ensemble des États membres de l’Union européenne. Or, la situation actuelle profite aux Etats membres complaisant avec les GAFA. À cet égard, l’Irlande, dont le taux d’imposition sur les sociétés est le plus faible de l’UE (12,5%), accorde à Apple un ruiling fiscal conduisant à rendre quasiment non-imposable sur son territoire « l’essentiel des revenus tirés de la vente de produits ». À tel point qu’en 2014, l’entreprise dirigée par Tim Cook s’était vue appliquer un taux d’imposition effectif sur ses bénéfices européens de 0,005%.

Loin d’être épargnés par l’Union européenne, les géants de l’Internet subissent également les foudres de la commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager. Entre 2004 et 2013, le géant américain Microsoft a été condamné par trois fois, dont deux pour abus de position dominante et une fois pour n’avoir pas respecté une première décision. En 2008, l’entreprise avait en effet été condamnée à verser 899 millions d’euros – finalement ramenés à 860 millions d’euros – pour n’avoir pas changé ses pratiques anticoncurrentielles. Une somme qui peut paraître importante, mais qui reste dérisoire aux côtés de 2,43 milliards d’euros réclamés à Google. En juin 2017, la commissaire danoise avait sanctionné l’entreprise dirigée par Sundar Pichai pour avoir favorisé son service de comparaison de prix sur son moteur de recherche. Un montant alors justifié par « l’ampleur et la durée » de l’abus, alors que Google Shopping est présent dans 13 pays de l’Union européenne regroupant plus de 400 millions de citoyens.

Aux Etats-Unis où les répercussions des derniers scandales liés aux géants du numérique sont les plus importantes – en termes d’utilisateurs –, responsables politiques et citoyens tentent d’apporter des solutions. Toutefois, la colère l’a emporté sur la réflexion et la proposition de loi la plus aboutie et la plus largement soutenue au Congrès reste incomplète. Cette dernière ne règlementerait que les publicités politiques sur l’Internet, n’abordant pas les questions de protection des données personnelles et du pouvoir des entreprises du web. Nul doute que d’autres propositions viendront s’ajouter à celle précédemment évoquée : droit d’effacer ses données personnelles des sites Internet – comme en Europe –, création d’une agence de protection des données, etc.

Réinventer les GAFA

La question de la domination des géants comme Facebook ou Apple mérite, elle aussi, d’être posée. L’hebdomadaire britannique The Economist franchit le pas et affirme que celle-ci « n’est bonne ni pour le consommateur ni pour la concurrence ». Pas étonnant donc si des économistes américains ont récemment demandé un démantèlement d’entreprises comme Google et Amazon. Pour ces derniers, les données sont aujourd’hui essentielles pour l’économie et les géants technologiques jouissent d’un monopole comparable à celui de la Standard Oil autrefois – le magazine Courrier Internationale rappelle que Google et Facebook ont capté l’année dernière les deux tiers des dépenses publicitaires en ligne aux Etats-Unis et que 75% des ventes de livre sur Internet ont été réalisées par Amazon. Pour ces économistes, la pensée d’Adam Smith n’est pas dépassée. Une puissance excessive est mauvaise, en ce sens où elle entrave le progrès : les entreprises solidement établies peuvent chasser du marché des concurrents potentiels, même si ces derniers proposent quelque chose de nouveau et de mieux. Toutefois, l’idée de briser les monopoles n’est pas si simple à appliquer. La législation antitrust américaine ne le permet que si des entreprises profitent de leur taille pour nuire aux consommateurs. Et si The Economist l’affirme, dans les faits, les choses sont plus complexes : Google et Facebook sont gratuits – même si, en réalité, on accepte que notre activité soit surveillée – alors que Amazon propose des livres à moindre tarif.

Si les débats quant au monopole de ces mastodontes vont bon train, d’autres propositions, plus ou moins radicales, surgissent et tentent de réinventer les réseaux sociaux. L’une d’entre-elles serait de nationaliser Facebook. L’argumentaire se résume à la question suivante : qui d’autre que l’État démocratique a la légitimité pour fixer les règles en matière d’expression et de gestion des données pour la société tout entière ? En attendant de savoir si Facebook sera nationalisé ou non, il est toujours possible pour l’utilisateur de boycotter le réseau social. Et, là encore, la décision n’est pas simple…

Sources :

Dossier du Courrier International intitulé « Internet : reprendre le contrôle » avec des articles de :

  • Larry Elliott : Briser les monopoles, The Guardian (25 mars 2018).

  • Franklin Foer : Mettre au pas les géants du web, The Atlantic (21 mars 2018).

Dossier du Monde sur le scandale Facebook publié sur le site Internet en mars 2018.

Article des Échos intitulé « Abus de position dominante : les plus grosses amendes de la Commission européenne » et publié le 24 janvier 2018.

Dépêche de Reuters publiée le 13 septembre 2017.

Article de la revue OFIS intitulé « Fiscalité des GAFA : vers une taxe européenne assise sur le chiffre d’affaires des géants du numérique ? » et publié en novembre 2017.

Sources images :


SUIVEZ-NOUS
NE MANQUEZ RIEN

Inscrivez-vous à notre liste de diffusion

Ne manquez aucune actualité

PUBLICATIONS  RÉCENTES
NOS PARTENAIRES
Capture d’écran 2020-02-20 à 13.48.22.
Afnu_PNG.png
Le 1.jpg
3e7906_e4660d5d5210471dba1cd0648ae8768f~
emlyon forever.png
Logo Nemrod.png
logoteli.jpg
  • Facebook
  • Instagram
  • Twitter
  • Youtube
bottom of page