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  • Pablo Menguy

L'Erythrée seule au monde. Vraiment ?


Asmara, Erythrée
mulugeta wolde / Unsplash

L’Érythrée est l'un des états les plus fermés au monde. Souvent comparé à la Corée du Nord, il est entre les mains du dictateur Issayas Afeworki depuis son indépendance en 1993.

En 2015, les Érythréens étaient les plus nombreux après les Syriens à fuir leur pays. Un an plus tard, la commission d'enquête des Nations Unies accusait le régime de crime contre l'humanité.

Un régime militaire répressif ; le même dirigeant depuis 1993 ; une économie en mauvaise santé (173e au classement mondial du PIB par habitant); une forte émigration. Tous ces facteurs pourraient laisser penser que le régime érythréen est au bord de l'implosion. Et pourtant non. Il apparaît, au contraire, étonnamment stable. Cette stabilité s'ancre dans trois politiques principales : une politique interne dynamisée par une exacerbation du nationalisme, une politique migratoire habilement ficelée, et, enfin, une recherche de nouveaux parrains s'illustrant par un rapprochement diplomatique avec les pays du Golfe.

Un nationalisme exacerbé.

L’Érythrée n'a pas toujours été ce qu'elle est aujourd'hui. Dans les années 1990, après trente années de guerre contre l’Éthiopie voisine (1961-1991), le pays incarne l'espoir d'un nouveau mode de gouvernance pour les régimes africains. Il se rêve davantage démocratique. Mais cette aspiration s'effondre vite. Après une nouvelle guerre contre l’Éthiopie en 2001, Issayas Afeworki se transforme en tyran. Le régime se referme sur lui même.

L’Érythrée présente en effet tous les aspects d'un régime totalitaire. Les faits et gestes de la population sont dictés par le régime, qui se sert de la peur pour asseoir son pouvoir. Cette peur, distillée par l'armée, maintient un climat de méfiance généralisée. S'il n'est même pas question de parler de liberté de la presse (le pays est d'ailleurs avant dernier au classement de Reporter sans frontières), une moindre parole déplacée peut conduire à la prison.

Le régime est un adepte de l'adage « diviser pour mieux régner ». La population est en effet encouragée à dénoncer le moindre acte de contestation. En encourageant la délation, l'armée incite les habitants à se méfier les uns des autres. Certaines villes créent même leurs propres milices, comme les « Demhit », à Asmara, la capitale. Elles ont pour rôle de traquer les

« traîtres » du régimes. Ainsi, le maintien d'un climat de suspicion généralisé permet d'étouffer tout risque de contestation du régime.

L'armée joue aussi beaucoup sur le thème du complot. L'idée que le monde entier (et surtout l’Éthiopie) en voudrait aux Érythréens et chercheraient à faire tomber le régime est largement entretenue.

Le meilleur exemple pour comprendre cet embrigadement est le service national à vie. Chaque Érythréen, homme et femme confondus, effectue à partir de 17 ans un service militaire de 18 mois dans le camp de Sawa. Les conditions y sont extrêmement rudes. L'armée choisit ensuite la profession (soldat, boulanger...) de chaque habitant jusqu'à ses cinquante ans.

Migrants bien utiles.

Ce service national est sans doute l'une des principales causes de la fuite des Érythréens. En

2015, au plus fort de la crise, l'agence Frontex estimait que 5 000 personnes quittaient le pays chaque mois. Ces dernières étaient parquées dans des camps en Éthiopie ou en Ouganda. D'autres choisissaient de traverser le désert libyen pour atteindre l'Union européenne (UE).

Aujourd'hui, Issayas Afeworki a bien compris les bénéfices qu'il pouvait tirer de cette émigration.

Tout d'abord, il mise sur la diaspora qui représente un cinquième des sept millions d'habitants. Cette dernière doit envoyer régulièrement des devises (2% du revenu mensuel) au pays, sous peine de voir la famille restée sur place menacée.

Depuis quelques années, le régime s'adonne à une deuxième stratégie pour tirer avantage de ce phénomène migratoire : le chantage. En effet, le pays touche des fonds de la communauté internationale et notamment de l'UE pour « mieux » contrôler ses migrants. Le 28 novembre

2014 était signé le Protocole de Khartoum entre l'UE et six pays d'Afrique subsaharienne. Via cette « coopération », l’Érythrée aurait bénéficié de 320 millions d'euros pour améliorer ses institutions, et entre autres, mieux contrôler ses frontières. Le pays toucherait également 200 millions d'euros, provenant du Fond européen pour le développement (FED). Car l'UE ne souhaite pas voir ce régime s’effondrer, en dépit des quelques remontrances molles émises à son égard. Dans un Afrique du Nord-Est en proie aux guerres civiles, un régime stable convient aux européens. D'un point de vue pragmatique du moins. De même pour l’Éthiopie qui redoute un nouvel État failli à ses frontières.

Recherche parrain en urgence.

Le régime sait qu'il ne survivra pas éternellement sans alliés solides. Le manque d’alternative crédible joue en sa faveur, mais pour combien de temps ? Le Soudan, la Chine ou encore l'Italie sont ses principaux partenaires commerciaux, mais il y a peu de chances qu'ils soutiennent Issayas Afeworki si ce dernier se retrouve en difficulté. Tout comme la Corée du Nord s'abrite derrière son « parrain » chinois, l’Érythrée cherche un nouvel allié pour se légitimer sur la scène internationale, sortir de l'ombre et ne plus être seulement assimilée qu'à la crise migratoire. C'est ainsi qu'en 2016, les Émirats arabes unies ont construit leur première base militaire à Assab, au nord du pays. L'objectif ? Acquérir une position stratégique dans la guerre au Yémen contre les rebelles houtistes. M. Afeworki a, quant à lui, un double intérêt à voir s'installer une base militaire émiratie sur son territoire. L’Érythrée se place ainsi sous la protection d'une coalition riche et puissante, qui lui assure une relative légitimité diplomatique. La « location » du port garantit également une source de revenus pour le pays.

Un avenir plus qu'incertain

Un nationalisme exacerbé, une instrumentalisation des migrants et une alliance diplomatique efficace : voilà ce qui assure la stabilité du pays. Pour le moment du moins. Car ces politiques économiques et diplomatiques, si efficaces soient-elles aujourd'hui, ne le seront pas forcément demain. Les difficultés à prévoir sont nombreuses. Le patriotisme, qui unissait la jeunesse dans les années 1990 après trente ans de guerre, n'a plus beaucoup d'effets aujourd'hui. Les jeunes ne sont contraints que par la peur d’être envoyés dans des camps de travail comme celui d'Adi Abeito.

Quant à l'UE, elle ne versera pas éternellement des fonds pour que le pays « renforce ses institutions ». L'éventualité que l’Éthiopie renverse le régime pour y placer un gouvernement plus favorable à Addis-Abeba est également à prendre en compte. L'attentat du 14 octobre en Somalie, qui a fait plus de 350 morts, a remis sur le devant de la scène le groupe islamiste des Chebab. Or, l’Érythrée est accusée de financer ce groupe. Cela pourrait entraîner de nouvelles sanctions de la communauté internationale envers Asmara, ce qui affaiblirait davantage le pays.

Enfin, les difficultés que rencontre la coalition des pays du Golfe dans la guerre au Yémen, la crise interne Qatar-Arabie Saoudite ainsi que la baisse des cours du pétrole fragilisent les États du Golfe, censés être les nouveaux alliés diplomatiques de l’Érythrée.

Le 31 octobre dernier une manifestation contre la fermeture d'une école islamique se serait conclue dans un bain de sang à Asmara. La police aurait tiré sur la foule. Un événement révélateur des tensions croissantes en Érythrée et une répression brutale qui est peut-être la preuve que la peur est en train de changer de camp.

 

Rencontres :

Léonard Vincent, journaliste spécialisé sur l’Érythrée

Souleymane, Érythréen en exil à Tours depuis le 8 septembre 2015

Ouvrages :

Érythrée, un naufrage totalitaire, Franck Gouéry, Presses universitaires de France, Paris,

2015, 344 pages

Érythrée, entre splendeur et isolement, Franck Gouéry, Non Lieu, Paris, 2015

Les Érythréens, Léonard Vincent, Rivages, Paris, 2012

Sites internet:

Cette liste n'est pas exhaustive puisque toutes les informations ont été recroisées entre plusieurs sites.

Classement Reporter sans Frontières : https://rsf.org/fr/classement

Aussi un PDF ici avec l'exemple de la Suisse

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