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  • Célestin MAUPAS

Elections historiques en Roumanie : « cette année, Santa Klaus est venu plus tôt que d’habitude. »


Drapeau de la Roumanie
aboodi vesakaran / Unsplash

Le 16 novembre 2014 se tenait en Roumanie le deuxième tour des élections présidentielles. A cette occasion, le candidat libéral Klaus Iohannis, 55 ans, a remporté le scrutin avec 55 % des voix. Un évènement relayé au-delà des frontières du pays qui contribue à donner une image de la Roumanie, qui jusqu’ici était l’objet de bien des fantasmes et d’idées reçues.

L'interviewée : née à Bucarest. Cristina CALARASANU est psychologue et possède son propre cabinet au cœur de la capitale. Spécialisée dans la thérapie familiale, elle mobilise à travers son métier une connaissance intime de la société roumaine. Dernièrement, Cristina assure que l’ensemble de ses patients lui a beaucoup parlé des élections, jusqu’aux enfants, de jeunes familles, qui disaient vouloir voter contre le candidat V. Ponta, alors premier ministre . Elle qui a vu Bucarest se transformer de 1981 à nos jours, nous livre son regard sur ce récent coup de théâtre politique et déjà historique.

Diplo-mates.com : En France, de nombreux articles ont relaté les récentes élections en Roumanie. Comment la presse locale a-t-elle traité l’arrivée inattendue de ce nouveau président ?

C. CALARASANU : Il y a eu un très grand bouleversement au sein de la presse locale parce que les élections ont eu un scénario inattendu. Il y a d’abord eu un candidat favori, le premier ministre V. Ponta, dont tout le monde pensait qu’il serait élu, bien qu’il ne soit pas très apprécié. Et puis pendant l’entre-deux-tours, nous avons assisté à deux confrontations télévisées entre les protagonistes où l’on a eu l’impression que le candidat de droite (ndlr : K. Iohannis) sortait perdant, mal préparé et sur la défensive. Mais, à la suite de cela, tout le monde a commencé à faire preuve d’une certaine sympathie à son égard. On a été dans une forme de campagne immédiate, sympathique envers le candidat libéral et menée en partie sur les réseaux sociaux. La presse a alors dû réviser sa position. Peu à peu cette dernière a commencé à émettre une hypothèse : et si K. Iohannis l’emportait ?

Le phénomène le plus intéressant s’est produit le jour J. Au matin, le candidat du PNL (ndlr : V. Ponta) était donné gagnant. Puis, à midi, beaucoup était en train de réévaluer la situation, dont la presse. Quand la soirée est arrivée, on se préparait pour la surprise. Il y avait des bruits, des échos, provenant notamment de l’étranger où la diaspora roumaine avait fait le choix du candidat libéral. Il y a alors eu un mouvement intense dans la rue. Des manifestations étaient prévues pour protester contre la victoire du candidat Ponta, mais, au final, les gens sont sortis pour fêter la victoire de K. Iohannis. Le lendemain, on a été préoccupé en attendant le résultat officiel, car on avait peur que cela ne soit qu’une illusion sociale. Mais le candidat libéral l’a bien emporté et qui plus est avec une avance de 10%.

D : Entre les deux tours, on a vu une partie du peuple roumain manifester, quelles étaient les revendications ?

C.C : La tranche jeune de la population pensait que les jeux étaient faits. Il existe en Roumanie un sentiment de résignation, ces manifestants se préparaient à revendiquer la liberté, le droit démocratique de pouvoir choisir, de contester. Ils croyaient en eux pour influencer le résultat. Au premier tour V. Ponta est sorti avec 10% de votes en plus que son adversaire, cela ressemblait à une simple procédure. Mais les manifestations ont été le reflet d’un mouvement social qui remettait en question le résultat annoncé. Ce n’est pas si surprenant, car à Bucarest le peuple s’exprime désormais librement, sans la crainte d’être arrêté ou d’être persécuté. Les rassemblements ont eu lieu au km 0, place de la révolution. Les manifestants ne prétendaient pas contester un résultat officiel mais bien s’exprimer et faire entendre leur mécontentement. Ici, la jeune génération n’accepte plus de rester sans rien faire.

Il y a eu par ailleurs eu un phénomène très intéressant venu de l’étranger. Les étrangers qui n’ont pas pu voter au premier tour ont communiqué avec leurs familles. Le lien affectif s’est vu exacerbé. A travers le pays, un message venu de l’extérieur a commencé à circuler : « s’il te plait, si je ne peux pas voter, vote pour moi ». Et la conséquence fut grande avec une participation autour de 65%, la plus importante depuis bien longtemps.

"IL EXISTE EN ROUMANIE UN SENTIMENT DE RESIGNATION"

D : Les médias ont relayé des tentatives de manœuvres de la part de V. Ponta pour empêcher la diaspora de voter. Comment les roumains interprètent-ils cela ?

C. C : Je ne sais pas s’il s’agit de manœuvres, il y a une sorte d’idée que ceux qui ont le pouvoir empêchent les autres de s’exprimer librement. En tout cas il y a eu une très mauvaise organisation car on n’attendait pas autant de participants. Et c’est ce constat qui a été médiatisé. En Roumanie, les étrangers sont quasiment devenus des héros. Pour la première fois, les roumains de l’étranger ont été pris en compte, c’est la première fois qu’ils se sont désignés comme faisant partie du pays. Leur message était fort et ils ont fait le choix de s’exprimer. Cela ressemble à une unification car en Roumanie il existe une rupture entre ceux qui partent et ceux qui restent. C’est une forme de guérison.

D : Comment expliquer la forte mobilisation à la fois en Roumanie et à l’étranger ?

C. C : Les sociologues après les élections ont tenté d’analyser ce phénomène. J’ai deux hypothèses. L’une, c’est une sorte d’empathie pour le candidat de droite, qui a commencé sa campagne en tant qu’indépendant avant de rejoindre le PNL. C’est une personne qui ne vient pas de la capitale, il vient de Sibiu, où il est maire de la ville. C’est une personne modeste, professeur de physique. Il a été très

attaqué pendant la campagne. L’autre candidat a essayé de l’interpeler sur l’origine de sa culture, en laissant se faire entendre qu’il n’était pas assez roumain au vu de ses origines allemandes. Il est né en Roumanie, s’est marié en Roumanie et ses parents ont fui avant la révolution. Des questions assez violentes lui ont été posées comme « Connaissez-vous l’hymne nationale ? Est-ce que vous allez à l’église ? ». Je pense qu’il y a eu une grande partie du peuple qui a ressenti de l’empathie pour K. Iohannis et qui a voulu le défendre. Les gens ont été très impressionnés par sa capacité à ne pas riposter. A aucun moment il ne s’est laissé emporter face aux attaques.

L’autre hypothèse c’est l’hypothèse d’un changement brutale. Même si nous sommes 25 années après la révolution, les choses n’ont pas changé. Bien sûr il y a eu la liberté et la démocratie, mais la structure, elle, est la même. Les personnes se sont dit, soit on continue dans la même lignée soit on opte pour un changement brutal. Le nouveau président est très différent, il est d’origine étrangère, protestant, dans un pays orthodoxe. Il parle très peu, alors que les roumains, latins, ont la réputation d’être très bavards. Il parle peu certes mais il est concret. Il donne une sorte d’image de justice. A la suite de sa victoire, le peuple a apprécié son intervention lors de sa première allocution. C’est un changement qu’on a choisi de faire même si cela est brutal. Après les résultats, le premier ministre a parlé à la télé et est parti en congé car quelque chose de terrible s’est passé pour lui. Cela nous rappelle qu’on peut mettre en place un mouvement, qui n’est pas une violence en soit mais qui est une violence de vie, un changement de cap. Même si nous étions déjà dans l’UE, nous en sommes désormais plus près qu’avant et c’est une décision forte en termes de trajectoire.

D : Beaucoup d’espoirs semblent avoir été placé en Klaus Iohannis, quelles sont les attentes de ceux qui ont voté pour lui ?

C. C : C’est une question difficile parce qu’il est très idéalisé. En ce moment en Roumanie, il y a l’exposition nationale du livre annuelle. C’est un grand évènement et il y a lancé son livre, une autobiographie. Ce lancement était prévu même en cas de défaite. Mais victoire il y eu et ce sont 25000 personnes qui sont venu le voir. Tout le monde lui disait, « Mr le président, je crois en vous, je crois beaucoup en vous. C’est une grande pression, cela peut le porter mais peut aussi le fragiliser. On attend son investiture qui aura lieu en décembre. Les citoyens vont commencer à suivre très attentivement ses pas, ses décisions, sa façon de construire les relations. C’est vrai qu’il a réussi à rapidement donner une bonne image. Il a parlé immédiatement avec A. Merkel qui a assuré qu’elle allait soutenir le pays.

Autre point, on a eu l’anniversaire du roi Michel dernièrement. Il y a une partie de peuple qui soutient encore la monarchie, comme une envie nostalgique d’un retour à l’époque des rois. K. Iohannis était là, il a communiqué avec le roi, il a laissé entendre qu’il y aurait une place pour la royauté, là où l’ancien président rejetait catégoriquement une telle idée. Les gens se sentent donc rassurés par ces débuts. Il existe de grandes attentes sur ce président, qui pourra faire de grandes choses s’il réussit. Le cas échéant, les reproches pourraient rapidement être terribles. Plus qu’un président, c’est un homme investi avec espoir.

On a même fait une blague en Roumanie : cette année, Santa Klaus est venu plus tôt que d’habitude.

D : la cohabitation entre le nouveau président et V. Ponta qui est amené à conserver son poste de premier ministre ne risque-t-elle pas de freiner les intentions de Klaus Iohannis ?

C. C : C’est une question conflictuelle. Tout le monde se le demande. Comment cela va se passer entre le président et son ancien opposant. Le premier ministre a laissé entendre qu’il voulait coopérer. Mais le nouveau président a demandé à ce que le premier ministre et son parti se retirent et laissent ainsi les autres gouverner. Donc il lui demande de démissionner. On ne sait pas ce qu’il va se passer car V.Ponta est un homme qui ne laisse pas facilement le pouvoir et ne quitte pas ses fonctions. Toutefois, il connaît une période critique où il ne sait pas s’il doit continuer ou s’arrêter. Il craint d’être mis en dehors de la vie politique en cas de démission. C’est un homme très jeune qui est monté rapidement dans la hiérarchie politique du pays et il connaît aujourd’hui un terrible revers. La Roumanie a connu de nombreuses tensions entre ses premiers ministres et ses présidents. Si on recommence avec cela ce sera compliqué. La Roumanie est un pays où le président n’a pas de pouvoir exécutif ce qui rend la question de la relation avec le chef du gouvernement cruciale.


D : Durant l’été 2012, la Roumanie a traversé une période d’instabilité politique qui a abouti sur un référendum au sujet de la destitution du président Traian Basescu. Le mandat du futur président ne risque-t-il pas lui aussi d’être perturbé ?

C. C : Je pense que les choses sont différentes. En 2012 il y a eu un mouvement populaire qui a été orienté contre la personne du président. L’accent avait été mis sur la personne et non sur la fonction. T. Basescu était très dénigré et certains en ont profité pour essayer d’obtenir sa démission. Cette période a été perçue comme une attaque contre la stabilité du pays et son progrès. Je ne crois pas que nous soyons dans la même situation. J’ai l’impression que désormais, le président va tenter de constituer un groupe de longue durée pour mettre en place des projets de long terme. La victoire a été inattendue, et le contexte est donc très différent. Dans une telle situation on doit penser autrement en proposant des projets créatifs, en construisant, en inventant... V. Ponta avait déjà un projet, le même que son gouvernement actuel. Mais K. Iohannis essaiera de construire quelque chose de nouveau. Il a promis de lutter pour la justice et contre la corruption. Il a promis de former une équipe impénétrable. J’ai l’espoir d’une période stable à venir, qui s’inscrira dans la continuité.

« LA DEMOCRATIE C’EST AVOIR DES DROITS, DES LIBERTES, MAIS AUSSI DES RESPONSABILITES »

D : Pour certains, cette élection a un impact semblable à la chute du régime de Ceausescu. Est-il censé de faire parallèle entre ces deux évènements ?

C. C : Oui. On a beaucoup évoqué cela en Roumanie. C’est comme une révolution mais cette fois ce n’est pas une révolution dans le chaos, dans la violence et le meurtre. C’est une révolution où la manière de procédé a été plus mûre. En 1989 on était dans le désespoir. Il y avait le péril, le danger d’être emprisonné, de subir la tyrannie, c’était une lutte pour survivre. Ce fut une période noire de l’histoire de la Roumanie. Là, ce fut différent. Il ne s’agissait pas de survivre mais de bien vivre, et c’est une différence fondamentale. On n’a pas lutté pour sauver sa vie mais pour faire en sorte de pouvoir mieux vivre. Pour moi c’est un signe qu’on est plus mûres et qu’on arrive à comprendre ce que la démocratie signifie : avoir des droits, des libertés mais aussi avoir des responsabilités parce que même si le communisme est tombé et Ceausescu a été tué, le pays est resté passif. A l’intérieur comme à l’extérieur on a décidé pour nous. On décidait du bien pour le pays. Maintenant nous avons décidé qu’on pouvait choisir seuls ce que nous voulions vivre. C’est une autre révolution.

La Roumanie a toujours été au milieu, entre l’Europe de l’ouest et l’Europe du sud-est. Perçu comme un pays pauvre, corrompu, etc. Nous avons eu le choix entre nous rapprocher de la Russie ou nous décider à aller en direction de l’Europe, sa civilisation et son organisation. Il n’a pas été simple d’emprunter ce passage sans provoquer de conflit avec la Russie. La Roumanie a fait le choix de ne plus être un ancien pays communiste mais bien un pays Européen. Cela va être difficile mais pour la première on s’est séparés de pays comme la Bulgarie ou la Moldavie. Ce changement est une source formidable d’enthousiasme dans le pays."

Interview réalisée à Lyon, le 23 novembre 2014, par Célestin MAUPAS


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