Le Maroc : une puissance africaine qui tire les ficelles du monde multipolaire ?
Le Maroc est considéré aujourd’hui comme une puissance économique, politique, régionale et continentale. Sur le plan économique africain, le Maroc se classe 5e puissance économique derrière l'Afrique du Sud, le Nigeria, l'Égypte et l'Algérie. Ce pays Maghrébin dispose d’une économie diversifiée. En effet, ses exportations se composent principalement de l’automobile, du phosphate et de l’agroalimentaire. La force économique marocaine s’est bien manifestée pendant la crise sanitaire où des masques 100% marocains ont pu être produits grâce à la reconversion de plus de 20 usines de textile.
L’amélioration des capacités productives du Maroc pendant la crise sanitaire lui a permis de profiter de la situation en envoyant des aides à des pays qui étaient, avant l’émergence du Covid-19, neutres par rapport à la question du Sahara occidental. En effet, dans le cadre de la crise sanitaire, le Maroc a mis en place des mesures d’assistance extérieure vis-à-vis de 15 États africains pour les aider à combattre la pandémie. S’il acquiert au passage un statut de producteur mondial de masques, ce soutien du Maroc n’est toutefois pas sans surprise puisque le pays mène, depuis plusieurs années, diverses politiques pour tenter de se rapprocher de ses voisins continentaux. Une des raisons de cette réconciliation est la volonté d’une reconnaissance continentale de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental par l’Union africaine (UA), qui s’avère être un véritable pilier de la politique étrangère du Maroc. En effet, la puissance émergente réclame depuis 45 ans cette ancienne colonie espagnole auprès de l’Organisation des Nations Unies (ONU), sans succès.
Le cercle d’influence du Maroc va au-delà de la région d’Afrique de l’Ouest. Depuis quelques années, Mohamed VI, le roi du Maroc, fait des visites annuelles aux quatre coins du continent. Parmi les objectifs poursuivis, on observe une volonté d’affaiblir l’Algérie, rival du Maroc et grand financier du Polisario, ainsi que d’accroître le statut de puissance du Maroc au sein du continent et de l’UA. Si la Tanzanie appuie le Polisario depuis 1978, elle a changé d’attitude en adoptant une posture de neutralité vis-à-vis de la question du Sahara occidental en 2016, à la suite des efforts diplomatiques marocains. Une aide médicale fut d'ailleurs acheminée, en juin dernier, en Tanzanie, permettant ainsi aux deux pays africains de renforcer la solidité de leurs liens. L’État marocain usa donc du « soft power des masques » comme moyen diplomatique. À cet effet, Adil Mesbahi déclare : « le “ soft power des masques ”, c’est transformer le besoin mondial en masques de protection, en opportunité. Opportunité commerciale, mais également pour gagner en notoriété, à l’échelle régionale, voire mondiale ». Par conséquent, le Maroc utiliserait le contexte du coronavirus pour améliorer sa notoriété sur la scène africaine et dans l'optique d'obtenir l'appui des pays africains afin d’intégrer le Sahara occidental au sein de ses frontières.
Il mérite d’être noté que cette stratégie a également été utilisée par la Chine au sein du continent. En effet, Frédéric Bobin et Joan Tilouine affirment que : « en multipliant les dons d’équipements médicaux, la Chine renforce son ancrage stratégique en Afrique ». À titre d’exemple, l’État chinois a considérablement aidé l’Éthiopie, le pays d’origine du Docteur Tedros Adhanom Ghebreyesus, l’actuel Directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé. À titre de comparaison, l’aide chinoise en mars concernait six millions de masques pour 54 États africains, alors que le Maroc en offrait huit millions pour 15 États. Plusieurs observations existent pour analyser cette émergence du Maroc. Si certains estiment qu’il y a, ces dernières années, une compétition hégémonique entre le Royaume du Maroc et la République de Chine en Afrique, d’autres y voient un partenariat clé entre les deux. Alors que la Chine est traditionnellement en faveur des intérêts de l’Algérie, un changement profond et rapide pourrait s’effectuer à l’ère post-Covid. Un potentiel partenariat avec la grande puissance chinoise pourrait alors faire avancer le dossier du Sahara occidental au profit du Maroc.
Un autre événement permettant de renforcer la place du Maroc sur la scène politique internationale fut la normalisation des relations avec Israël. Et même si Israël avait déjà signé des accords de normalisation avec le Bahreïn, les UAE…cet accord avec le Maroc a une valeur inestimable auprès de nombreux Israéliens. Les relations entre la population juive d’Israël et le Maroc sont bien plus profondes que celles entamées par ladite population avec d’autres pays. En effet, on estime que 800 000 Israéliens sont originaires du Maroc sur une population totale d'environ 6,2 millions d'individus. Ce qui s’explique par le fait que, depuis l’aube de l’humanité, la population juive a pu vivre en paix à côté de la population musulmane au Maroc, et ce, même quand le gouvernement de Vichy a essayé d’appliquer des lois de séparation raciale dans le pays. Le Sultan Mohammed 5 avait montré sa forte opposition, ce qui lui avait donné l’image d’un protecteur des juifs. Cette image s’est gravée dans la mémoire collective des Juifs du pays qui ont même pris l’initiative, en 1985, de planter une forêt à son nom dans les monts de Jérusalem. Bref, la conclusion des accords entre le Maroc et Israël ne s’inscrit pas dans un processus purement politique mais plutôt culturel et historique car une partie des Israéliens se sent aussi marocaine.
En outre, le Maroc a dû faire face à plusieurs problèmes avec ses voisins du nord ces derniers temps. Tout d’abord, l’Espagne a accepté d’assurer un traitement médical pour le compte du leader du front Polisario en 2021, ce qui a déclenché une crise diplomatique jamais vue entre les deux pays. Le Maroc, pour sa part, a justifié sa colère par la façon dont l’entrée du « président » du front séparatiste s’est passée : « il a pu accéder au territoire espagnol depuis l’Algérie en toute discrétion, avec un faux passeport, ce qui lui a permis de contourner la loi et éviter de passer devant la justice espagnole car il fait déjà le sujet de plusieurs demandes en justice espagnole pour des viols et des crimes de guerre ». Madrid a justifié son action par des raisons humanitaires tandis que la Maroc, furieux, a perçu cette action comme une trahison de la part de son premier partenaire commercial. Le 18 mai 2021, le Maroc a donc rappelé son ambassadeur en Espagne avant de lancer une série de décision qui a fortement impacté la situation économique du sud de l’Espagne : le gouvernement marocain a décidé de fermer les lignes maritimes reliant le nord du Maroc au sud de la presqu’île ibérienne remplaçant l’Espagne par le Portugal comme point de passage pour les voyageurs marocains. Cette décision aurait coûté très cher aux commerçants espagnols qui ont pris l’habitude de voir des centaines de milliers de clients marocains chaque année. Il a ensuite fallu un an pour que le Maroc et l'Espagne se réconcilient. Pour ce faire, l'Espagne a reconnu, en avril dernier, la souveraineté du Maroc sur le Sahara Occidental quand, en contrepartie, le Maroc a mis fin à l’état de siège contre les villes espagnoles de Ceuta et Melilla.
Toujours avec l’Europe, le Maroc a pu mettre un pas au sein du camps de l’Europe centrale. En effet, au mois de décembre 2021, Nasser Bourita, le ministre des Affaires étrangères marocain, s’est rendu à Budapest pour s’entretenir avec ses homologues du groupe de Visegràd, qui réunit quatre pays d’Europe centrale. Pour comprendre ce rapprochement, il faut tout d’abord analyser le contexte géopolitique dans lequel il s’inscrivait. Le Maroc, ayant des relations tendues avec l’Espagne et l’Allemagne et des relations froides avec la France, avait besoin d’alliés au sein de l’UE. C'est pourquoi il a pris la décision de se rapprocher des pays d'Europe centrale et plus précisément de la Hongrie. C’est pour cela que la diplomatie hongroise a ouvert au Royaume les portes du groupe de Visegrád – une plateforme de coopération réunissant la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie, aussi appelée V4 −, dont Nasser Bourita a rencontré l’ensemble des dirigeants à l’occasion d’un sommet inédit, baptisé pour l’occasion « V4+Maroc ». Ce rapprochement a permis au Maroc de s'assurer du soutien de ces 4 pays comme il a permis à ces derniers d’accroître leur accès au marché africain dont le Maroc est considéré aujourd’hui comme la porte d’entrée.
Ensuite, le Maroc était en rupture politique avec l’Allemagne pendant une période de 10 mois (de mars 2021 au janvier 2022). Cette crise avait commencé avec une correspondance datée du 1er mars 2021, où le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, avait demandé au chef du gouvernement et à l’ensemble des membres de l’exécutif de « suspendre tout contact » et toute « interaction ou action de coopération aussi bien avec l’ambassade d’Allemagne au Maroc qu’avec les organismes de coopération et les fondations politiques allemandes qui lui sont liés ». Dénonçant une « attitude négative » de l’Allemagne sur le dossier du Sahara occidental, le Maroc pointait du doigt un « activisme antagonique, à la suite de la proclamation présidentielle américaine reconnaissant la souveraineté du Maroc sur son Sahara », un acte « grave » et « inexpliqué » précisait le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué publié le 6 mai 2021. Le département de Nasser Bourita reprochait ainsi à Berlin d’avoir demandé une réunion à huis clos du Conseil de sécurité de l’ONU au lendemain de la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté du Maroc sur le Sahara en décembre 2020. Un action jugée « hostile » et « attentatoire à l’égard des intérêts supérieurs » du royaume.
Une autre raison de cette crise diplomatique est, selon le Maroc, la divulgation des autorités allemandes à Mohamed Hajib, un ex-condamné pour des actes terroristes, « de renseignements sensibles communiqués par les services de sécurité marocains à leurs homologues allemands ». Autre reproche : « Un acharnement continu » de l’Allemagne à « combattre le rôle régional du Maroc, notamment sur le dossier libyen, en tentant d’écarter, indûment, le royaume de certaines réunions régionales consacrées au dossier comme celle tenue à Berlin ». Déterminé à jouer un rôle central dans la résolution du conflit libyen, le Maroc n’avait pas été invité à la conférence de Berlin en janvier 2020, ce qui avait déjà fait grincer des dents à Rabat. Tous ces éléments avaient alors poussé les autorités marocaines à arrêter toute coopération avec les services diplomatiques allemands avant qu’une réconciliation ne soit trouvée en février 2022.
Dans ce contexte, la montée en puissance de la diplomatie marocaine semble s'expliquer principalement par l’alliance actée avec les Etats-Unis. En effet, depuis la normalisation des relations avec Israël, le Maroc est devenu un allié principal des Etats-Unis en Afrique et région MENA. Cette alliance s’est concrétisée par le biais de la reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine sur le Sahara Occidental ainsi que d’autres accords (notamment un accord de coopération militaire d’une durée de dix ans allant jusqu’à 2030…).
Mais revenons à l’Afrique. Malgré le fougueux départ du Royaume du Maroc de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) en 1984, le Maroc a renoué avec son identité africaine en intégrant l’Union africaine (UA), le 30 janvier 2017. Ce retour, après 33 ans d’absence, a fait l’objet de nombreuses interprétations médiatiques et d’analyses de la part du milieu universitaire. Cette adhésion s’est accomplie à la suite de rapprochements avec les pays d’Afrique de l’Ouest, dont les liens ont été établis bien avant 2017 grâce à diverses stratégies diplomatiques de la part de Rabat. La géographe Nora Mareï estime que les relations commerciales et diplomatiques marocaines sont actuellement plus fortes avec les États d’Afrique de l’Ouest qu’avec ceux du Maghreb. Du fait des blocages au sein de l’Union du Maghreb Arabe, plusieurs projets d’envergure sont en cours, tel que l’aide marocaine dans la création d’une corniche à Abidjan, en Côte d’Ivoire, où le Royaume s’avère être l’investisseur étranger le plus important du pays, ou bien le projet de gazoduc Maroc-Nigéria (ralliant le Nigéria au Maroc en traversant 14 pays) permettant de connecter les ressources gazières nigérianes aux pays de l’Afrique de l’Ouest et au Maroc. Cette orientation sud-sud adoptée par le Maroc se manifeste dans l’ouverture de plus de 21 consulats et représentations diplomatiques à Dakhla et Laayoune (des villes sujets de conflit entre le Maroc et le front Polisario) rien qu’entre 2019 et 2021.
Et si le Maroc entretien, généralement, des bonnes relations avec les pays subsahariens, il n’en est pas de même avec les pays maghrébins. En effet, les relations avec la Tunisie sont plutôt caractérisées par une grande stagnation au vu de l’alliance stratégique qui relie ce pays à l’Algérie, « l’ennemi numéro 1 du Maroc sur la scène internationale ». Ces différends avec l'Algérie sont le fruit d’un soutien financier et diplomatique présenté au front Polisario depuis les années 1970. De plus, les tensions entre les deux frères ennemis remontent aux années 60 avec le début de la Guerre des Sables et l’attentat à l'hôtel Atlas-Asni à Marrakech en 1994 (où les investigations avaient conduit à l’arrestation de 7 jeunes d’origine marocaine et algérienne). Toutefois, la dégradation continue des relations entre les deux pays n’a pas empêché le roi Mohammed VI de tendre la main à l’Algérie afin de mettre fin à un conflit vieux de plus de 60 ans. Cependant, l'Algérie a vu dans ce geste une certaine hypocrisie et a fait comprendre qu'il serait difficile de réconcilier les deux voisins tant que la question du Sahara Occidental ne serait pas résolue et que l’occupation ne serait pas finie. Vous l’aurez donc compris, l’Algérie considère la fin de « l’occupation du Maroc des territoires saharaouis » comme une condition sine qua non au rétablissement de relations cordiales entre les deux pays.
Pour conclure, le Maroc, comme l’a annoncé le roi Mohammed VI à l’occasion du 46ème anniversaire de la Marche verte, a été clair sur le fait qu’aucune démarche d’ordre économique ou commercial excluant le "Sahara Occidental marocain" ne serait entreprise. De ce fait, le Roi a tenu à adresser un message fort aux pays qui affichent des positions floues ou ambivalentes sur la question. Ceci était un message clair et ferme à l'intention de pays comme l’Allemagne ou l’Espagne mais, plus généralement, à l’intégralité de l’Union Européenne.
Bibliographie :
Frédéric Bobin, "Le Maroc ouvre une double crise diplomatique avec l’Allemagne et l’Espagne", Le Monde, 14/05/2021
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"Le gaz du Nigeria exacerbe les rivalités entre Maroc et Algérie", La rédaction du Mondafrique, 04/05/2022
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Gilles Millet, "Attentat de Marrakech: un procès sur fond de banlieue française", Libération, 10/01/1995
Aboubacar Yacouba Barma, "Maroc : le roi Mohammed VI tend de nouveau la main à l’Algérie", La Tribune, 07/11/2018
"Réactions au discours du roi Mohammed VI à l'occasion de la journée du trône", Atalayar, 01/08/2021
Alioun Gueye, "Maroc et Afrique subsaharienne : à la recherche d'une croissance partagée", HEM Research Centre
"L’Espagne et le Maroc mettent fin à une crise diplomatique liée au Sahara occidental", France 24, 18/03/2022
Laurent Lagneau, "Les États-Unis et le Maroc signent un accord de coopération militaire", Zone Militaire, 03/10/2020
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