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  • Marie-Amélie Amestoy

Le « Mayday » de Theresa


Alors qu’on la décrivait comme la nouvelle dame de fer au soir de son accession au pouvoir en juillet 2016, la femme qui semblait incarner le pragmatisme et la fermeté apparait aujourd’hui esseulée, ne sachant plus sur quel pied danser entre un parti conservateur qui n’attend qu’un énième pas de travers pour l’écarter définitivement et Bruxelles qui s’impatiente. Faute d’autorité ou peut-être de convictions profondes, Theresa May peine à diriger son pays et ne sait pas s’il faut mieux s’engager sur la voie d’un Singapour ultra-libéral aux portes de l’UE ou bien rester à tout prix dans le marché unique en acceptant les règles des « 4 libertés de l’Union » (libre circulation des marchandises, des capitaux, des services et des personnes). Être persévérante et résiliente, c’est bien, mais cela suffit-il à combler un manque patent de stratégie et d’objectifs politiques ?

Theresa May et Donald Trump
Trump White House / flickr

Née en 1956 à Eastbourne, fille d’un pasteur anglican, Theresa May a grandi dans un milieu austère. Parlementaire pendant près de deux décennies, ministre de l’Intérieur pendant six ans, c’est une femme d’expérience qui franchit, un peu par hasard et faute de concurrents, le pas de la porte du 10 Downing Street pour sauver un Royaume-Uni profondément divisé par le résultat d’un référendum improbable. Du mieux qu’elle peut, elle ne relève pas les critiques cinglantes de ses détracteurs - l’ex ministre des finances George Osborne la traite de « cadavre ambulant » et Boris Johnson, chef inconséquent de la campagne pro-Brexit, ne parle de son plan que comme une « crotte » - et se fixe pour unique objectif de trouver un accord avec Bruxelles qui préserve au mieux les intérêts du Royaume-Uni. Comment expliquer que cette femme « foutrement coriace » - selon les dires de Ken Clark - et qui a fait campagne pour le « Remain », se retrouve au cœur de la tempête à défendre le « Brexit » si ce n’est par l’humour anglais? En premier lieu, il faut faire un peu d’histoire et se rappeler que David Cameron, alors Premier ministre, a organisé un référendum sur le maintien du Royaume Uni dans l’UE dans le seul but de resouder le Parti Conservateur tiraillé entre les Hard-Brexiters, avec à leur tête Nigel Farage, et les modérés. Ce faisant, la question de l’Europe a été prise en otage par des considérations purement politiques. La population était ainsi peu et mal informée des conséquences et des procédures à engager en cas d’une majorité de « Leave ». On leur promettait que les services de santé britanniques tireraient profit d’une sortie, que les accords commerciaux seraient maintenus d’une façon ou d’une autre et la perspective d’un « no deal » n’effleurait pas les esprits… Forte de la légitimité de ce vote populaire, Theresa May a activé la procédure de l’article 50 du code de la Commission européenne le 29 mars 2016 avec sérénité, en femme providentielle qui prend la responsabilité d’appliquer les volontés de la majorité après que David Cameron, Boris Jonhson, David Davis (ministre chargé du Brexit) et Andrea Leadsom (membre du parti conservateur) ont décliné cette tâche aussi titanesque que suicidaire.

Depuis lors, Theresa May, en nouvelle Sysiphe, alterne entre avancées minimes et grandes reculades dans cette saga Brexit. Un an et demi après le début du processus, elle publie le 12 juillet 2018 un Livre Blanc (autrement appelé décision de Chequers) qui définit les attentes et les positions du Royaume-Uni face à l’Union européenne. Le 25 novembre 2018, elle signe avec Michel Barnier, négociateur en chef de l’UE, une proposition d’accord qui préserve l’absence d’une frontière hermétique entre les deux Irlande, protège les droits des expatriés et assure le respect des engagements financiers. Ce projet est toutefois resté mort-né après son rejet par le Parlement britannique le 15 janvier 2019. Le 12 décembre 2018, elle a résisté à un vote de défiance lancé par son propre parti et à une motion de censure portée par l’opposition. Autrement dit, Theresa May n’est plus qu’une Première ministre en sursis sans aucune marge de manœuvre. Seules les questions s’agrègent : Brexit or not Brexit? Sortie avec ou sans accord ? Ce qui reste peut-être aussi constant que ses avancées non-concluantes, ce sont ses phrases plus vagues les unes que les autres : elle parle de «Brexit fluide et méthodique », promet de « nouveaux partenariats positifs et constructifs » et vise un « accord de libre-échange ambitieux et global ». Exit ses répétitions à l’envi de « Brexit veut dire Brexit » et ses bravades auxquelles personnes ne croyaient (« Pas d’accords vaut mieux qu’un mauvais accord »). Pourtant, le temps presse alors que la Banque d’Angleterre rappelle qu’un « no deal » provoquerait une récession pire encore que celle de la crise de 2008.

Pourquoi divorcer est-il donc si difficile ? C’est parce que l’Ulster (Irlande du nord) est l’enfant adultérin du Royaume-Uni et de l’Union Européenne. Pour mettre fin au terrorisme et maintenir la paix entre les deux Irlande, un Belfast Agreement a été signé en 1998 entre la Grande Bretagne et la Communauté Européenne. Par cet accord, l’UE a tout bonnement enfanté un Etat qui déroge à certaines de ses lois (en particulier aux lois de l’espace Schengen) et c’est précisément cela qui rend la question du Brexit aussi épineuse. En effet, Theresa May se trouve face à un problème qui n’a malheureusement pas de solution : soit elle propose que s’établisse un « backstop » (« filet de sécurité ») qui empêcherait l’apparition d’une frontière hermétique entre les deux Irlande et qui maintiendrait ce faisant l’Irlande du nord dans le marché unique européen (option que rejette le Parlement sous l’impulsion des 10 parlementaires issus du parti unioniste irlandais et des Tories Hard Brexiters) ; soit elle s’y refuse et réactive des contrôles à la frontière entre les deux Irlande en prenant le risque d’un retour des tensions irlandaises fraîchement enterrées, ce que ne cautionnera en aucun cas l’UE. Plus fondamentalement, ces atermoiements sur le destin européen du Royaume-Uni révèlent une profonde crise identitaire et témoignent de la difficulté des britanniques et de leur Première ministre à dire ce qu’ils sont. Ce débat illustre aussi et surtout les profondes fractures du pays : à Londres, par exemple, personne ne connaît un proche qui a voté « Leave » lors du référendum. Finalement, le Brexit est le symbole d’un Royaume-Uni plus désuni que jamais : sont-ils un peu, beaucoup européens ? un peu, beaucoup insulaires ? un peu, beaucoup en plein désarroi identitaire ? Dans ce contexte, comment en vouloir à Theresa de ne dire que des « Maybe » ?


Quelles sont aujourd’hui ses marges de manœuvre sachant que 53% des Brexiters disent avoir eu tort lors du référendum et que, chaque jour, 1.500 personnes qui ont voté en faveur du Brexit meurent contre un nombre de votants potentiels en faveur du « Remain » qui s’accroît de 2.000 à la faveur de mineurs qui accèdent à leur majorité ? Selon les sondages, depuis le 19 janvier 2019, le Royaume-Uni est désormais peuplé d’une majorité de « no-Brexit ». Faut-il pour autant envisager un second référendum pour débloquer la situation ? Pour Theresa May, ce serait reconnaître son échec et donner à l’UE l’image d’une entité étouffante qui bloque la porte de sortie. Or, L’UE ne restera vivante que si les sociétés civiles adhèrent positivement à un projet commun et que leur maintien ne répond pas à la peur de représailles en cas de mutineries. Il est à cet égard révélateur de noter que les conditions de sortie du projet européen ne sont pas formalisées d’un point de vue juridique. Dans ce marigot, la Cour Européenne de justice a cependant tendu la main à la Première ministre en annonçant que tout pays qui a activé l’article 50 peut décider à tout moment de revenir en arrière de façon unilatérale. Pour éventuellement se saisir de cette perche, il appartiendra à Theresa « Maybot » (May-robot selon the Economist) de montrer une vision et de faire preuve de pédagogie et de conviction pour espérer « take back control » sur une situation qui lui échappe. La situation est sérieuse et le Royaume-Uni risque de connaître des heures sombres. Dans quelques semaines, nous saurons si Theresa May inscrira son action dans la grande lignée des Premiers Ministres britanniques qui font la gloire de ce pays comme Churchill ou Disraeli ou si l’Histoire retiendra son nom comme celui d’un Premier Ministre, certes résilient et obstiné mais qui aura conduit son pays à la catastrophe faute de vision et de capacité d’entraînement attendues.

Sources :

Presse :

Revue de presse internationale : « Theresa May : une femme de combat »

Le Monde : « Theresa May, la naufragée du Brexit »

France culture (podcast) :

  • L’Esprit public « Grande-Bretagne : si tu reviens, j’annule tout ? »

  • L’Esprit public « Brexit : le grand désarroi identitaire ? »

  • Du grain à moudre « Theresa May : l'impossible Brexit ? »

Images :

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