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  • Clément Visbecq

Révolution MBS


President Donald Trump walks with the Saudi Arabia’s Deputy Crown Prince Mohammed bin Salman bin Abdulaziz Al Saud, Tuesday, March 14, 2017, along the Colonnade outside the Oval Office of the White House in Washington, D.C.
The White House / Wikimedia Commons

Une Arabie Saoudite « modérée, tolérante et ouverte ». C’est par cette promesse que Mohammed ben Salmane ouvrait, en octobre dernier, devant des centaines d’investisseurs occidentaux, le forum « Future Investment Initiative » de Riyad. Une promesse qui, si elle se confirme, « forcerait l’entrée du royaume saoudien dans le siècle » (Christine Ockrent). Il faut dire que pendant longtemps, l’Arabie Saoudite est apparue comme enlisée dans les sables, se reposant, sans effort, sur deux fondements inébranlables. Économiquement, d’abord, avec une manne pétrolière inégalable – premier producteur mondial de pétrole conventionnel ; culturellement, ensuite, avec l’islam wahhabite que les experts qualifient volontiers de version de l’islam la plus sévère, contraignante et intolérante. Qui est donc ce Mohammed ben Salmane, jeune prince souhaitant réduire la dépendance au pétrole et reprendre en main le pouvoir religieux ? Pourquoi déclenche-t-il ainsi la révolution ? Et surtout, pourquoi déstabiliser le Liban, guerroyer au Yémen, défier le Qatar et Téhéran ? Veut-il embraser encore plus la région avec le soutien explicite de Donald Trump et la caution implicite d’Israël ?

Retour sur les premiers mois au pouvoir du jeune prince Mohamed ben Salmane.

Mohammed bin Salman in December 2021
Bandar Al Galoud / Wikimedia Commons

Mohammed ben Salmane, prince héritier et vice-Premier ministre depuis juin 2017.

Qui est MBS ?

La question peut paraître anodine et sans intérêt. La réponse n’en est pas moins complexe et intéressante à l’heure d’appréhender les changements qui s’opèrent au sein du royaume saoudien. Que dire, d’abord, de l’arrivée au pouvoir en 2015 de ce jeune homme, âgé aujourd’hui de 32 ans, aux joues joufflues et à la barbe soignée ? Probablement l’un des princes héritiers les moins connus au moment de sa nomination comme ministre de la Défense, Mohammed ben Salmane concentre désormais tous les pouvoirs. Dans un pays où le système est supposé être collégial – depuis 1950, tous les rois font partie de la même fratrie –, sa montée en puissance et sa désignation directe comme dauphin de son père, le roi Salmane – âgé de 82 ans, il est aujourd’hui le dernier prince héritier de la fratrie des Soudayris –, bouleversent les équilibrent traditionnels. Alors que la collégialité était légion, Mohammed ben Salmane a entrepris une véritable révolution par le haut, écartant un à un ses rivaux, en témoigne la récente éviction de Mohammed ben Nayef, pourtant favori à la succession.

C’est d’ailleurs, à cet égard, que l’extraordinaire purge de novembre dernier, officiellement lancée dans le cadre de la lutte anti-corruption, suscite des interrogations. Certes, la corruption est endémique en Arabie Saoudite, la séparation entre les finances de l’État et le trésor de la famille royale n’étant que très peu marquée, mais, comment ne pas penser que l’arrestation de 200 personnes – parmi lesquelles 11 princes et quelques un des principaux décideurs économiques du pays –, ne répond pas à une manœuvre politicienne ? Une manœuvre politicienne dont la portée serait double : écarter du pouvoir ceux en désaccord avec les opinions de Mohammed ben Salmane et satisfaire les classes moyennes, tout comme les jeunes, principales bases du projet de MBS. Un projet qui soulève plusieurs questions sur les intentions de Mohammed ben Salmane. En l’espace de deux années, il a réussi à concentrer tous les pouvoirs, à ébranler les piliers du système féodal – autant politiques, économiques, sociaux que religieux, et à ajouter encore aux convulsions du Moyen-Orient, en tentant, sans grand succès de faire barrage au grand rival triomphant, l’Iran. Il dit vouloir « sortir de la dépendance pétrolière, rétablir un Islam modéré, séduire la jeunesse et convaincre les investisseurs internationaux ». Pourquoi déclenche-t-il ainsi la révolution ? Impétuosité de la jeunesse, visionnaire, nationaliste ou populiste ?

Saudi Vision 2030
Saudi vision 2030 / Wikimedia Commons

Vision 2030, vaste programme économique lancé par Mohammed ben Salmane.

Vision 2030

Ce n’est pas un hasard si Mohammed ben Salmane exposait lors de ce même « Future Investment Initiative », véritable « Davos dans le désert », son programme « Vision 2030 », vaste réforme économique, visant à réduire la dépendance du royaume au pétrole. Deux évènements majeurs sont à l’origine de cette rupture dans la politique saoudienne. Le premier est, à n’en pas douter, la révolution des schistes. En autorisant, en 2014, la production du pétrole de schiste, les États-Unis ont bouleversé le marché et l’ordre établi, devenant le premier producteur avec 12 millions de barils par jour. Un changement auquel a répondu l’Arabie Saoudite par une forte hausse de la production. Une hausse dont l’objectif n’était autre que de casser les prix et de mener la vie dure aux schistes dont la production est coûteuse. Au-delà de la manne pétrolière, la forte production de pétrole par les États-Unis fragilise le pacte géostratégique – monopole de l’exploitation du pétrole saoudien contre sécurité américaine, datant de 1945 et reconduit en 2005 pour les soixante prochaines années, entre le royaume et le pays de l’oncle Sam. Il faut dire qu’en moins de 5 ans, les États-Unis ont diminué leurs exportations de pétrole saoudien par 4… Plus récent, puisque conséquence de l’accord P5+1 datant de 2015, le second évènement, synonyme de nouveau bouleversement sur le marché pétrolier, concerne le retour d’un autre géant : l’Iran (3èmes réserves de pétrole). Une redistribution des cartes à laquelle l’Arabie Saoudite n’a pas réagi de la même manière que pour la précédente – dont les effets étaient peu visibles. Sous l’impulsion de Mohammed ben Salmane, alors second vice-Premier ministre, Riyad, en accord avec les autres membres de l’OPEP, a baissé sa production pour maintenir les prix.

Conscient de la fragilité de l’économie saoudienne, trop dépendante du pétrole – le déficit budgétaire atteignait en 2015 les 100 milliards de dollars, soit 20% du PIB – Mohammed ben Salmane a comme principal objectif de diversifier l’économie – en plus de réduire la dette publique, en témoignent la baisse des subventions sur l’eau et l’électricité et les mesures d’austérité prises en 2015. À cet égard, il est intéressant de constater que la politique de MBS est similaire à celle de MBZ (Mohammed ben Zayed), prince héritier d’Abu Dhabi, dont l’influence sur le vice-Premier ministre saoudien est forte. L’Arabie Saoudite a, dès lors, pour ambition de devenir une puissance émergente dans des secteurs divers et variés tels que le numérique, le divertissement, la défense (chaque année le royaume importe pour 60 milliards de dollars en équipement militaire) et … les énergies renouvelables. Pour ce faire, le prince héritier pourra compter sur une diaspora dynamique – la communauté saoudienne est la deuxième communauté étudiante des États-Unis, et sur une jeunesse nombreuse – 2/3 des Saoudiens ont moins de 30 ans. Une jeunesse que Mohammed ben Salmane souhaite choyer, tant elle peut mettre en péril la stabilité du régime. Il faut dire que 1/3 des moins de 25 ans sont au chômage.

Révolution interne

Ce n’est donc pas un hasard si MBS a entrepris ces derniers temps, de vastes réformes sociétales. S’il souhaite, certes, satisfaire une jeunesse dont la soif de modernité est de plus en plus grande, ces changements culturels et sociétaux sont nécessaires dans le cadre de ses réformes économiques, la société saoudienne trop archaïque ne pouvant sortir seule de la dépendance au pétrole. Ainsi, ces derniers mois, ont progressivement été autorisées la tenue de concerts et l’ouverture de cinémas. Les femmes ont également été autorisées à passer le permis de conduire, un bouleversement dans un pays où l’éducation et les meurs sont du ressort du pouvoir religieux – les princes ont, quant à eux le pouvoir et l’argent. Un pouvoir religieux – co-fondateur du royaume –, dont l’influence ne cesse de diminuer, en témoigne un arrêté datant de 2016, interdisant à la police religieuse d’arrêter les contrevenants – elle ne peut désormais que donner des conseils.

Proactif dans les affaires intérieures du pays, Mohammed ben Salmane l’est tout autant dans les affaires extérieures. Son arrivée au pouvoir marque d’ailleurs une rupture dans la politique étrangère du royaume, la rendant moins prudente. Si dans un premier temps MBS s’est attelé à isoler diplomatiquement le Qatar – sans grand succès –, son regard se tourne désormais vers l’Iran – avec le soutien explicite de Donald Trump et la caution implicite de l’État israélien –, en témoigne le récent épisode Saad Hariri. En exigeant que le premier ministre libanais démissionne – chose sur laquelle ce dernier est revenu –, Riyad souhaitait empêcher Hariri de faire caution au Hezbollah – l’organisation est représentée au sein du gouvernement libanais dans lequel elle est en charge de l’Industrie, de la Jeunesse et des Sports –, et de faire réagir les gouvernements européens sur la montée en puissance de ce qu’il considère comme le bras armé de Téhéran.

Une chose est sûre : les révolutions lancées par MBS ne sont pas sans risques. L’Arabie Saoudite est habituée à « exporter » ses terroristes (Afghanistan, Syrie), mais de nombreux experts, s’inquiète des conséquences du changement de pacte social – et notamment d’un développement du terrorisme domestique. Proactif et direct, Mohammed ben Salmane n’a pas hésité à ajouter encore aux convulsions du Moyen-Orient, en tentant, sans grand succès de faire barrage au grand rival triomphant, l’Iran. Dans un monde où on ne peut compter sur les États-Unis, il sera intéressant d’observer les positions prises par l’Union européenne, et notamment celles de celle, qui pour le moment semble en assumer le leadership, la France.

Sources :

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