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  • Clément Visbecq

Espagne : chronique d'une rupture annoncée


Carles Puigdemont el 10 d'octubre de 2017
Generalitat de Catalunya / Wikimedia Commons

« Nous n’allons pas renoncer ».

Quelques jours après l’arrestation de plusieurs hauts responsables politiques catalans, au motif de leur implication dans l’organisation du référendum sur l’avenir de la Catalogne prévu pour le premier octobre, le chef du gouvernement catalan, Carles Puidgemont (Parti démocrate européen catalan), réaffirmait, dans un entretien accordé au journal français Le Monde, sa détermination quant à la tenue de celui-ci, et ce malgré l’interdiction du Tribunal constitutionnel et les menaces du Premier ministre, Mariano Rajoy (Parti Populaire). Cette question, qui est celle de la sécession catalane, ne cesse d’agiter les esprits depuis son retour sur le devant de la scène au début de la décennie, dans une Espagne alors frappée d’une crise économique de grande ampleur – taux de chômage avoisinant les 25%, déficit public supérieur à 5%, ou encore, baisse du PIB de 2,5 %.

Si le bras de fer opposant Madrid à Barcelone constitue le fil rouge de l’actualité espagnole, il ne doit toutefois pas masquer les crises institutionnelle et politique auxquelles l’Espagne doit faire face. Les élections législatives de décembre 2015 ont révélé une perte de confiance des électeurs dans les partis traditionnels minés par une corruption généralisée (Parti Populaire et Parti Socialiste Ouvrier Espagnol), bouleversant ainsi le panorama politique du pays. Ciudadanos (centre-droit) et Podemos (gauche radicale), deux partis issus du mouvement social contestataire 15-M, s’invitent désormais dans le jeu politique, profitant d’un Parti Socialiste au bord de l’agonie et d’un Parti Populaire en perte de crédibilité.

Dans une Espagne qui se porte mieux économiquement, la question n’est donc plus tellement de savoir si le pays de Cervantès est sorti de la crise dans laquelle il était englué depuis un peu plus de cinq ans, mais s’il arrivera à surmonter les défis auxquels il est confronté. L’indépendance de la Catalogne est-elle possible ? Quelles sont les conséquences du tour de force entre Madrid et Barcelone ? Un rapprochement entre Podemos et l’aile dure du PSOE est-il envisageable ? L’extrême-gauche peut-elle arriver au pouvoir ? Ce sont autant de questions qui secouent aujourd’hui la jeune démocratie espagnole – la dictature franquiste n’ayant pris fin qu’en 1975.

Manifestation en faveur de l’indépendance à Barcelone en marge de la Diada / Galtzerdiak / Wikimedia Commons

Crise politique et tensions indépendantistes font oublier le renouveau économique

À bien des égards, après 4 ans de crise économique – conséquence directe de la crise de l’Euro conjuguée à un système bancaire fragile et à une bulle immobilière, l’Espagne se porte mieux. La hausse du chômage, de la dette ou du déficit public ne sont certes pas de lointains souvenirs, mais la majorité des indicateurs économiques sont maintenant au vert : la croissance est de retour (+3,2%), le chômage recule (5 millions de chômeurs au plus fort de la crise contre 3,5 millions aujourd’hui), le nombre de cotisants à la sécurité sociale augmente (18,5 millions dont 8,5 millions de femmes contre 16 millions en 2012) et les investisseurs reviennent (hausse de 50% entre 2012 et 2015). Salués par les grandes organisations internationales, en particulier l’OCDE, pour qui « l’Espagne connaît une solide reprise après une profonde récession », ces résultats sont en partie le fruit des réformes menées par le gouvernement de Mariano Rajoy en 2013 : hausse de la TVA, processus de simplification du secteur public, réforme administrative permettant d’éliminer les doublons, incitations fiscales pour les petites entreprises et les travailleurs indépendants, etc.

Cependant, les élections législatives de décembre 2015 ont fait naître une crise politique majeure dans le pays, après que le Parti Populaire (droite) a obtenu une courte majorité au Parlement (29% des voix contre 22% pour le PSOE, 21% pour Podemos et 14% pour Ciudadanos). En manque de soutien après quatre années de gouvernance et face à une chambre à la composition inédite, le parti de Mariano Rajoy a exprimé son refus de briguer l’investiture du Parlement, rendant ainsi plus que probable une coalition de gauche entre le Parti Socialiste de Pedro Sanchez et le parti de gauche radicale Podemos, dirigé par le non pas moins extrême Pablo Iglesias. Fragilisé avec quatre scrutins consécutifs perdus et proche de devenir la troisième force politique du pays – alors que le bipartisme dure depuis plus de 30 ans –, le PSOE, malgré le désir des électeurs de son aile dure, échoue à former une coalition, rappelant dès lors les Espagnols aux urnes. Exaspérés, ces derniers n’ont toutefois pas bouleversé les équilibres, le Parti Populaire n’obtenant que 15 sièges de plus et le PSOE, 5 de moins. Face au risque d’une nouvelle impasse politique qui conduirait à une troisième élection, le PSOE décide de s’abstenir, permettant ainsi à Mariano Rajoy de briguer un second mandat, après dix mois de blocage parlementaire. Ébranlé par l’émergence de Podemos et de Ciudadanos, le bipartisme espagnol est en crise. À l’image des récentes élections françaises, le Parti Socialiste est liquidé et le panorama politique totalement révolutionné.

À cette crise politique, s’en ajoute une autre de plus grande ampleur : la question de l’indépendance de la Catalogne. En guerre ouverte avec Madrid depuis 2010, le gouvernement catalan ne cesse de multiplier les démonstrations de force : consultation du 9 novembre 2014 – 80% des 2 300 000 Catalans ayant voté ont répondu « oui et oui » aux questions « Souhaitez-vous que la Catalogne devienne un État ? Et dans l’affirmative, souhaitez-vous que cet État soit indépendant ? », référendum d’autodétermination prévu pour le premier octobre au cours duquel les 6 200 000 Catalans appelés aux urnes devront répondre à la question « Voulez-vous que la Catalogne soit un Etat indépendant sous forme de République ? ». Fort d’un soutien populaire, en témoignent les différentes manifestations et Diada (fête nationale catalane célébrée le 11 septembre) aux slogans accrocheurs (« Nous sommes une nation, nous décidons » en 2010, « Catalogne, nouvel Etat d’Europe » en 2012, « Voie catalane vers l’indépendance » en 2013, etc.), le gouvernement catalan passe outre les interdictions du Tribunal Constitutionnel espagnol et les menaces du gouvernement central, lui aussi soutenu par une grande partie de la population espagnole.


Précarité, corruption et spécificités régionales à l’origine des maux espagnols

À bien des égards, ce n’est pas un hasard si l’Espagne est aujourd’hui frappée de ces maux. Bien que l’économie du pays se porte mieux, la situation sociale d’une grande partie de la population espagnole reste encore fragile. La qualité de l’emploi est remise en question tant les CDD très courts et les contrats à temps partiel sont en hausse (hausse de deux points dans les deux cas), les incitant à porter dans les urnes un mouvement qu’ils ont initié en 2011. L’irruption de Ciudadanos, mais principalement de Podemos dans le panorama politique espagnol, procède, en effet, du 15-M, ce mouvement social contestataire né sur la Puerta del Sol à Madrid le 15 mai 2011, rassemblant des centaines de milliers de manifestants autour de revendications telles que la réforme du système politique, économique et financier, la lutte contre l’austérité et la corruption ou encore l’établissement d’une véritable démocratie participative. Quant aux scores de ces deux partis politiques – créés tous deux en 2014, ils sont à la fois, le fait de l’exaspération des Espagnols face à l’incapacité des partis traditionnels à relever les défis socio-économiques du pays, et du mécontentement des électeurs face à la corruption qui affecte le Parti Populaire et le Parti Socialiste. Les chiffres sont éloquents : en 2013, le Conseil général du pouvoir judiciaire recensait pas moins de 1600 instructions en cours, dans les différentes instances de la justice espagnole, pour des délits de corruption.

Quant aux envies indépendantistes de la Catalogne, il faut davantage remonter dans le temps pour comprendre toutes ses facettes. En introduisant une certaine part de Seconde République dans la Constitution de 1978, Adolfo Suárez donnait à plusieurs régions espagnoles – Galice, Pays Basque et Catalogne, une autonomie plus conséquente, éducation et santé passant, entre autres, sous la responsabilité de ces dernières. L’esprit nationaliste dans lequel ont été formées les dernières générations – il est important de savoir que le catalan est principalement parlé par les moins de 50 ans, tout comme la politique sociale – bien plus importante que dans les autres régions espagnoles et instillée par le gouvernement catalan sont le fruit de quarante années d’autonomie plus avancée. A titre d’exemple, les quatorze autres communautés n’ont obtenu une telle autonomie qu’à la fin des années 1990. Néanmoins, deux événements ont cristallisé les rapports entre Madrid et Barcelone. Le premier, en 2010, lorsque le Tribunal Constitutionnel a jugé anticonstitutionnel le nouveau statut d’autonomie de la Catalogne, dont le préambule commençait par « La nation catalane ». Le second, quelques mois plus tard, en pleine crise économique, lorsque le gouvernement central a refusé les demandes d’Artur Mas (ancien chef du gouvernement catalan) de réviser le mode de financement de la région catalane, cette dernière n’ayant plus les moyens de sa politique sociale.


Quel scénario pour l’Espagne ?

Alors que le référendum d’autodétermination se tiendra en Catalogne le premier octobre, les relations continuent de se crisper. Entre Madrid et Barcelone, d’abord, en témoignent les arrestations de plusieurs hauts responsables impliqués dans l’organisation du référendum et la suspension de l’autonomie de la Catalogne déclarée par le chef du gouvernement, Mariano Rajoy. Entre les Catalans eux-mêmes, ensuite, puisqu'un moins de 45% d’entre eux se disent favorables à l’indépendance. Il faut se rappeler que lors des élections régionales de 2015, les indépendantistes n’ont obtenu qu’une courte majorité, et ce, uniquement par l’intermédiaire d’une coalition entre deux partis antagonistes : le Parti démocrate européen catalan, plutôt libéral, et la CUP, parti d’extrême gauche, bolchévique et anticapitaliste.

Finalement, ce bras de fer entre le gouvernement central et le gouvernement catalan pourrait bien profiter au Parti Populaire, dont la dureté à l’égard des indépendantistes est appréciée dans le reste de l’Espagne. Une aubaine pour le parti de Mariano Rajoy, alors que celui-ci se voit de plus en plus fragilisé, comme le montre la motion de censure conduite en juin dernier par Podemos. Son leader, Pablo Iglesias, d’ailleurs, se verrait bien profiter des divergences au sein du PSOE pour devenir le chef de file d’une coalition de gauche dure.

Dans un contexte politique tendu, seule la monarchie tire son épingle du jeu, Felipe VI faisant l’unanimité auprès des Espagnols – 70% d’entre eux possèdent une bonne ou très bonne opinion du nouveau roi. Et dire qu’il y a trois ans de cela, les scandales éclaboussaient un Juan Carlos sur le point d’abdiquer. Les temps changent vite au sein de la jeune démocratie espagnole…

 

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