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  • Guillaume Pelloquin

L’économie dans les relations géopolitiques européennes ou l’impossible non-hégémonie de l’Allemagne


Drapeau allemand
Maheshkumar Painam / Unsplash

En Europe, l’Allemagne constitue la première puissance économique en termes de PIB, d’excédent commercial, de croissance et de taux de chômage relatifs. Elle est présentée comme un modèle à suivre. Ceci se traduit par un leadership géopolitique : dans les discussions stratégiques, la voix de l’Allemagne compte énormément. Pourtant, ce pays s’est efforcé depuis la Seconde Guerre mondiale de ne pas dominer le continent politiquement et l’Union Européenne a historiquement été pour lui un moyen de diluer sa puissance. Aujourd’hui, son poids prépondérant dans la zone a plutôt tendance à la désunir que l’inverse : ses bonnes performances se font au détriment de ses voisins et de sa propre population. L’histoire de l’Union a tourné à l’avantage de l’Allemagne, notamment dans la création de l’Euro, introduit pour répartir plus équitablement la souveraineté monétaire, mais qui joue toujours pour la puissance allemande. Economie et politique sont étroitement liés et il y a des similarités entre l’Europe et le monde, l’Union s’étant construite par à-coups et en concordance avec les évolutions économiques et géopolitiques mondiales.

Une union économique aux réels succès géopolitiques

La construction européenne est paradoxale. Union régionale la plus avancée au monde, son premier et principal succès est d’avoir maintenu la paix à l’intérieur de ses frontières, récompensée du prix Nobel en 2012. Les fondateurs avaient compris qu’ils devaient tout mettre en œuvre pour éviter de retomber dans les rapports de force historiques des deux guerres mondiales. L’UE a donc connu un succès politique alors qu’elle est principalement économique – son avatar le plus voyant, l’euro, étant une monnaie rayonnante (présente parmi les cinq monnaies paniers du FMI, 30% des transactions mondiales se font en Euros). Sa création s’est faite avant toute convergence économique et sans solidarité politique suffisante, ce qui exacerbe les tensions géopolitiques aujourd’hui.

Le monde et l’Europe ont connu à partir de la fin des années 1970 le tournant libéral de Ronald Reagan et Margaret Thatcher. Il a notamment été constitué du mal-nommé « consensus de Washington ». Ce dernier a été appliqué par le FMI à de nombreux pays en développement entre les années 1980 et 2000, sous le nom d’« ajustements structurels » avec des conséquences largement discutables : les pays qui l’ont appliqué ont connu une ou plusieurs décennies de récession (Amérique Latine, Afrique) tandis que ceux qui ont fait le contraire ont réussi (les « dragons asiatiques », un Etat fort et des limitations au commerce extérieur).

Une histoire inachevée. La politique ne découle pas naturellement de l’économie.

L’Union Européenne est elle aussi une union libérale depuis cette période. Cette évolution coïncide avec la fin de l’Histoire de Fukuyama : la suprématie du bloc de l’Ouest voit l’adoption mondiale d’un modèle de croissance fondé sur le capitalisme et les valeurs libérales, qui ne semble pas être remis en question. En politique en revanche, cette fin de l’Histoire a été contredite par les faits ; le nouvel ordre mondial n’étant pas unipolaire mais multipolaire, composé des rapports de force de nombreuses puissances dont certaines en déclin, dont notamment les anciennes puissances coloniales européennes.

L’Europe a suivi le même chemin que le monde lui-même, s’unifiant économiquement mais pas géopolitiquement. Ce découplage créé des problèmes à l’échelle mondiale (l’optimisation fiscale et sociale des firmes multinationales, pour donner un seul exemple) mais aussi à l’échelle européenne. Plusieurs hommes d’Etat européens avaient pourtant pensé à des projets incluant la convergence économique avant l’union monétaire, mais la fin du système monétaire international (SMI de Bretton-Woods) en 1971 obligea l’Europe à repenser dans l’urgence une stratégie de stabilisation des taux de changes de monnaie, devenus flottants. Après l’échec du système dit du serpent monétaire, l’Europe adopta en 1979 le système monétaire européen (SME) : une unité de compte européenne, l’European Currency Unit ou Ecu, fut créée, et les monnaies nationales ne pouvaient plus fluctuer que de +/- 2,25% par rapport à celui-ci. Tout comme le dollar au sein du SMI, une monnaie devint mécaniquement pivot dans le SME. L’Allemagne (de l’Ouest) étant déjà fortement exportatrice, elle accumula des réserves de change et le Deutsch Mark joua ce rôle pivot. Le déséquilibre du SME s’accentua en 1990 ce qui obligea les Européens à trouver un nouveau système (l’Euro, adopté à Maastrich en 1992).

L’union par la monnaie et par une vision ordo-libérale

Au début des années 1990 (et jusqu’à aujourd’hui…), trois visions du projet s’affrontèrent : la libérale menée par le Royaume-Uni, l’européiste des français, et l’ordo-libérale de l’Allemagne. Le Royaume-Uni resta en marge des négociations, comme il le souhaitait. Les Européistes voulaient l’adoption rapide de la monnaie unique, qui selon eux permettrait de facto (s’il le faut, par la crise de l’institution) de construire l’union politique. Les ordo-libéraux préféraient une transition plus douce. Le chancelier de l’époque Helmut Kohl ayant mené la réunification de l’Allemagne sans convergence économique préalable (il instaure une parité purement symbolique de 1 pour 1 entre les deux anciens Mark, de l’Ouest et de l’Est), il accepta le compromis européiste d’adopter la monnaie unique rapidement (en 10 ans), sacrifiant le puissant Deutsch Mark pour ancrer l’Allemagne à l’Ouest et ne pas revendiquer de domination européenne.

La construction européenne est fondée sur les principes allemands ordo-libéraux, en particulier la « concurrence libre et non-faussée ». Cette compétition dans l’UE la transforme en une équipe faisant concurrence avec elle-même. Les « critères de convergence » de Maastricht, touchant aux politiques budgétaires (3% du PIB de déficit public, 60% de dette) et monétaires, n’ont pas fait converger les modèles économiques. Le principe de concurrence mine les forces géopolitiques de l’Europe. Il empêche les nations européennes d’avoir une politique industrielle nationale, sans qu’une telle politique ne soit mise en place à l’échelle européenne. Une attitude suicidaire face aux grands groupes américains et chinois, qui bénéficient d’un Etat fort.

Finalement, des règles communes qui désunissent

Enfin, les politiques libérales poussées plus récemment par la « troïka » (FMI, Commission Européenne et BCE) ressemblent fortement aux ajustements structurels du FMI, et plus généralement aux « réformes structurelles » qui seraient la clef de voûte de notre prospérité. Elles n’ont pas apporté la convergence souhaitée pour les pays de la zone et surtout, n’ont fait qu’aggraver les confrontations politiques, comme lorsqu’elles ont été imposées à la Grèce durant l’été 2015. L’Allemagne, en étant intransigeante sur ses principes, mine l’état de l’ensemble de l’Union et créé une polarisation à son avantage, synonyme de désunion. Le FMI a reconnu les problèmes causés par la libre circulation des capitaux et l’austérité, l’OCDE a avoué que les réformes du marché du travail ne permettaient pas d’agir sur le niveau de l’emploi, et pourtant nous continuons à penser qu’imiter une partie inepte de l’Allemagne (l’ancien chancelier Gérard Schröder) en aggravant les inégalités et la pauvreté des travailleurs dans l’espoir de gagner des parts de marché à nos propres voisins serait la seule voie possible. En cherchant tous en même temps cette compétitivité, nous nous envoyons tous dans le cimetière. Pour renouer avec une plus grande Union Européenne, il est enfin temps de reconnaître que les grands principes allemands ne conviennent pas à tous. Reprenons plutôt l’idée historique des européistes pour aller vers plus d’Europe : l’Europe est morte, vive l’Europe !

Sources:

Guillaume Duval, La France ne sera plus jamais une grande puissance ? Tant mieux !, 2015, éditions La découverte

Jacques Attali, Vivement après-demain !, 2016, Fayard

Edwin le Héron, À quoi sert la Banque Centrale Européenne ?, 2016, éditions de la documentation française

Josep Stiglitz, The Euro and its Threat to the Future of Europe, 2016, Penguin Books

D’où vient le seuil de 3% de déficit public ? http://www.francetvinfo.fr/economie/linventeur-des-3-de-deficit-doute-de-la-validite-economique-de-son-equation_1707543.html

Neoliberalism: oversold ? Une tribune publiée par le FMI remettant en cause le modèle néolibéral http://www.imf.org/external/pubs/ft/fandd/2016/06/ostry.htm

Un point de vue sur la puissance de l’Allemagne en Europe http://www.monde-diplomatique.fr/2015/05/STREECK/52917



Retrouvez Guillaume Pelloquin sur Twitter : https://twitter.com/guiguipelloq

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