top of page
  • Sébastien Masson

Afghanistan, le tombeau des empires - Épisode 3 : la guerre qui n'en finit pas


U.S. Marine Corps Maj. Gen. Richard P. Mills, the commander of Regional Command Southwest (RC SW); and Sgt. Maj. Michael Barrett, the sergeant major of RC SW, travel to Maiwand, Afghanistan, Jan. 26, 2011, to receive updates on road construction and security operations. They also traveled to Lashkar Gah in Helmand province to meet with Helmand province Gov. Gulab Mangal and other Afghan leaders in support of the International Security Assistance Force.
Cpl. Timothy P. Chesnavage, U.S. Marine Corps / Wikimedia Commons


Les attentats du 11 septembre aux États-Unis déclenche la "guerre contre le terrorrisme" déclaré par l'administration Bush. L'armée américaine, avec la contribution militaire de l'Alliance du Nord et d'autres nations occidentales - au nombre desquelles la France et le Royaume-Uni - lance une offensive aérienne dès octobre 2001, suivi de près par des offensives terrestres. Cinq semaines après le début des opérations militaires, le régime des talibans est renversé.


Pour autant, l'organisation des talibans ne disparait pas : Oussama Ben Laden parvient à fuir au Pakistan, et l’organisation des Talibans se réorganise sous l’action du Mollah Omar, et passe à l’action en 2003. La guerre asymétrique reprend, avec son lot d’attentats-suicide, d’embuscades et de terreur. L’OTAN vient dès 2004 renforcer le contingent des 20 000 soldats américains sur place avec 10 000 hommes. Le pays se stabilise dans la douleur. Mais les années 2010, face à des opinions publiques de plus en plus hostiles à cette guerre, le sujet du retrait des troupes étrangères devient de plus en plus présent. Jusqu’en 2011, les troupes étrangères seront régulièrement renforcées (on en compte près de 140 000 à ce moment-là), la mort d'Oussama Ben Laden, en 2011, convainc les États-Unis que leur mission est terminée, et force les politiques à plannifier le retraits de leurs contingents la même année, au sommet de Lisbonne.



U.S. Army Pfc. Daniel J. Frye, from Yadkinville, N.C., and Command Sgt. Maj. Steven Lewis, from Brooklyn, N.Y. with 2nd Battalion, 23rd Infantry Regiment, provide security as Afghan Border Police (ABP) break ground on a new checkpoint in the district of Spin Boldak, Kandahar province, Afghanistan, March 25, 2013. The ABP moved to the new location to block an insurgent infiltration route.
Staff Sgt. Shane Hamann / Wikimedia Commons

Les Talibans, tout en poursuivant leur guérilla, ont dû quant à eux trouver de nouvelles stratégies. Le mouvement tribal, très représenté chez l’ethnie pachtoun, a tenté de marginaliser ces derniers pour contrer le nouveau régime, initialement tadjik. Les institutions comme l’armée, les administrations sont systématiquement ciblées au niveau local pour dissuader tout pachtoun d’y entrer. Ainsi, le ressenti d’impuissance de l'État pour les populations locales est renforcé, et le déséquilibre ethnique est accru: en 2010, dans la province de Ghazni ou pachtounes et hazaras se côtoient équitablement, tous les députés dont hazaras comme les pachtounes craignent d’aller voter.


En 2015, la force commandée par l’OTAN est remplacée par la mission Resolute Support. Son but : se recentrer sur le conseil de l’armée et développer les institutions gouvernementales. Mais le gouvernement afghan, instauré par les Occidentaux, peine toujours à convaincre. Faible, il est avant tout perçu par la population comme très corrompu et source d’injustices. En 2016, le nouveau président américain Donald Trump reconnaît un engagement coûteux et choisit de retirer les troupes américaines du pays et de négocier avec les Talibans. En effet, depuis leur intervention en 2001, les Etats-Unis ont connu 2 400 morts, 20 400 blessés et une facture s’élevant à 1 000 milliards de Dollars. L’OTAN tient le même avis.

Les négociations durent deux ans. Côté américain, les négociateurs exigent la cessation des attentats sur le sol américain, et un cessez-le-feu en Afghanistan pour que puissent s'ouvrir les négociation entre le gouvernement afghan et les talibans. Autre pilier des négociations, des garanties de sécurité pendant les opérations de retrait des troupes. En 2019, le mouvement radical change de ton et les négociations ne concernent plus la paix sur le territoire afghan mais simplement la sécurisation du retrait des troupes de l'OTAN. C'est en février 2020 qu'un accord est trouvé. Les Talibans obtiennent un départ rapide de toutes les forces étrangères du sol afghan. En ce qui concerne le gouvernement du pays, ils relâchent 5 000 prisonniers Taliban en l’échange de 1 000 prisonniers de leurs forces.


Les américains devaient avoir complété leur retraite 20 ans jour pour jour après les attentats du 11 septembre, et demeurer la dernière armée étrangère présente sur le sol Afghan. Mais début mai, les fondamentalistes lancent une offensive contre un état faible et considéré comme corrompu -on estime ainsi que Kaboul avait inventé plus de 36 000 combattants pour recevoir plus de subventions américaines. Les talibans négocient leur avancée et des retournements d’alliance ont pu être obtenus contre des villas et des voitures se situant dans la capitale du Qatar. Le 6 août, la première capitale de province tombe aux mains des talibans, et il ne faut pas plus d'une dizaine de jours pour que la grande majorité du territoire encore aux mains du gouvernement ne tombe lui aussi sous le joug des fondamentalistes - presque sans combat. Le président afghan fuit sans prévenir aux Emirats Arabes Unis le 15 août, signifiant la chute du gouvernement. Alors que les gouvernements occidentaux évacuent leurs troupes et leurs ressortissants, des centaines d'afghan se ruent en panique dans l'aéroport de Kaboul pour tenter de fuir le pays. L'aéroport, visé plusieurs fois par des tirs et des attentats, est ainsi devenu un point clef des négociations entre les puissances présentent sur place et le pouvoir - dans l'optique notamment de faire transiter le soutien médical et humanitaire dont le pays a plus que jamais besoin. Aujourd’hui, seule la province du Pandjchir, au Nord-Est de Kaboul, reste libre. C’est ici que réside Ahmad Massoud, fils du commandant Massoud. Il s’est allié avec le vice-président Afghan Amrullah Saleh et s’autoproclamé président par intérim.


Quelles conséquences ailleurs ?

Plusieurs pays sortent pourtant gagnants de ce tumulte. Tout d’abord, la Chine. En reconnaissant le pouvoir talibans, elle négocie la rupture du lien avec l’organisation Mouvement Islamique du Turkestan Oriental, responsable selon Pékin de plusieurs d’attentats sur le sol chinois. En effet, le pays craint un afflux de militants islamistes Ouïghours venant s’entraîner en Afghanistan. En contrepartie, la Chine reçoit de juteux contrats pour exploiter les ressources naturelles qu’offre l’Afghanistan, et pour développer les infrastructures locales. Rappelons le projet des nouvelles routes de la soie : la Chine développe tout un réseau logistique partout dans le monde pour mieux exporter ses marchandises. Si l’Afghanistan n’a pas encore pu en bénéficier, cela ne saurait tarder.


La Russie y gagne également. Le ministre des affaires étrangères a salué le "processus positif en cours dans les rues de Kaboul où la situation est calme et où les talibans assurent l'ordre public". Comme Pékin, le pays de Vladimir Poutine craint que des groupes terroristes s’enracinent en Afghanistan puis menacent sa sécurité. S’assurer que les Talibans ne les laissent pas prospérer est donc nécessaire. De plus, la Russie se doit de protéger les pays d’Asie Centrale directement exposés au problème sécuritaire afghan. Ses intérêts y sont forts, et Moscou fait figure centrale : les pays d’Ex-URSS ont gardé des liens forts avec Moscou.


Enfin, l’Iran trouve son bénéfice. Si le régime se présente comme un ennemi du groupe djihadiste, et a même laissé les Etats-Unis passer à travers son espace aérien pour les frapper en 2001, les talibans trouveraient un certain écho à l’intérieur du pays. Certains religieux les invitent pour leur enseigner l’islam dans sa version iranienne. De nombreuses ethnies persophones -notamment les tadjiks- sont sous l’influence de l’Iran. Cela représente près de 30% de la population afghane. Aujourd’hui, plusieurs centaines de milliers de réfugiés afghans se trouvent encore sur le territoire iranien.

Se situant sur la route de nombreux trafics, Téhéran ne souhaite pas bloquer de drogues et d’armes de contrebande sur son territoire. Les trafiquants ont donc champ libre dans l’Est du pays. De nombreuses observations montrent également des livraisons d’armes effectuées directement par l’Iran à destination des Talibans. Aujourd’hui, les Iraniens nuancent leur position officielle et profitent pour dénoncer le fiasco américain. Relativement isolée face au reste du monde, la puissance perse peut désormais exporter son pétrole et nombre de ses produits chez son voisin afghan.


Le Pakistan détient une part de responsabilité quant au développement des Taliban. Il y a depuis les années 1970 une dualité entre les deux pays : d’un côté, le Pakistan souhaite éloigner l’Inde de l’Afghanistan en faisant du pays une base arrière stratégique. Le mouvement Taliban prend d’ailleurs racine depuis 1994 dans l’ancienne colonie britannique, et ses combattants n’hésitent pas à traverser la frontière. Il n’est pas sans rappeler que Ben Laden se cachait dans la ville pakistanaise d’Abbottabad quand il s’est fait tuer par les forces américaines en 2011. En juin dernier, le ministre de l'Intérieur, Rashid Ahmed, a indiqué que "des familles talibanes vivent ici au Pakistan" et "parfois elles viennent ici dans les hôpitaux [sic] pour se faire soigner". La ministre pakistanaise du Climat, Zartaj Gul Wazir, s’est d’ailleurs réjouie de leur arrivée au pouvoir, en annonçant "L'Inde reçoit un cadeau approprié pour sa fête de l'Indépendance." Cependant, le mouvement islamiste radical remet en cause la ligne Durand (qui sépare Pakistan et Afghanistan). Les Talibans sont également critiques en dénonçant en 2011 l’exacerbation des tensions ethniques causé par Islamabad et Téhéran en Afghanistan. Le Pakistan, lui, va arrêter des leaders de l’organisation qui cause aussi des attentats de l’autre côté de la frontière. Islamabad, en choisissant de renforcer ses frontières orientales, diminue donc ses frontières orientales.



Et maintenant ?


Les Talibans ont toujours le même objectif. Établir un Émirat islamique en Afghanistan, et imposer la « charia », la loi islamique. Réalisant qu’ils ne peuvent être isolés sur la scène internationale, le mouvement radical se montre sous son meilleur jour. Les talibans annoncent ainsi une amnistie générale, l’absence de poursuite pour toute personne ayant collaboré avec les forces étrangères, des ministres femmes et le respect de la liberté de la presse, toutefois sans que cette dernière ne « critique le régime ». Le porte-parole taliban a également annoncé le respect des 1% de non-musulmans, surtout hindous. Mais la réalité en est tout autre. La famille de nombreux opposants sont ciblés, des anciens fonctionnaires exécutés. La musique est interdite en public. Les femmes sont particulièrement visées : elle craignent un retour aux lois du précédent régime. S’étant émancipées depuis 20 ans, il est possible que leurs droits progressivement acquis ne retournent à néant.


Financièrement, le pays est gangrèné par la pauvreté - d'autant plus que les aides internationales représentaient 43% de son PIB et 50% de ses recettes fiscales; ont été coupées par le FMI à l'arrivée au pouvoir des talibans. Pourtant 80% de leurs revenus sont ‘légaux’. Ils pratiquent l’impôt islamique, le Zakat, avec des méthodes rappelant plus celles de la mafia que d’un gouvernement légitime. Beaucoup de taxes aux frontières (30%) et sur les revenus locaux sont imposées, parfois par la force.

Depuis leur chute du pouvoir, les Talibans recommencent à autoriser la culture du pavot sur leurs terres. Transformé en héroïne, l’Afghanistan serait pourvoyeur de 84% de la production de cette drogue, pouvant leur rapporter entre 400 millions et 2 milliards d’Euros par an.

L’envoi d’argent de la part de certaines organisations du pays du Golfe et du Pakistan soutient également beaucoup ces islamistes radicaux. On estime que ces actions rapportent jusqu’à 1 milliard et demi d’euros par an. Les sources estiment un revenu total compris entre 300 millions et 3,5 milliards d’euros par an. Un montant largement suffisant pour mener une guérilla, mais pourra-t-on en dire autant pour gérer un pays ?




L'Afghanistan aura représenté pour les occidentaux un investissement couteux, tant en nombre de vies que financièrement. Engagés depuis le XIXe siècle, les puissances européennes et américaines se seront pourtant révélée incapable de gérer la transition et apparaissent comme incapable d'avoir anticipée l'avancée rapide des talibans. Les Européens se sont montrés une fois de plus les alliés secondaires des Américains, et l’ensemble de leur politique est un échec.

Joe Biden, dans un dernier discours le lendemain de la dernière évacuation américaine, a assuré "ne pas laisser tomber l'Afghanistan" mais vouloir choisir d'autres leviers de pression. Une simple "mutation" dans un engagement constant.








Sources:







Images :


SUIVEZ-NOUS
NE MANQUEZ RIEN

Inscrivez-vous à notre liste de diffusion

Ne manquez aucune actualité

PUBLICATIONS  RÉCENTES
NOS PARTENAIRES
Capture d’écran 2020-02-20 à 13.48.22.
Afnu_PNG.png
Le 1.jpg
3e7906_e4660d5d5210471dba1cd0648ae8768f~
emlyon forever.png
Logo Nemrod.png
logoteli.jpg
  • Facebook
  • Instagram
  • Twitter
  • Youtube
bottom of page