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Exportation d'armes : un dilemme français


This photo was taken at the Singapore Navy Open House 2013, which included a tour of several Singapore Navy and Foreign Navy ships that were in town. It is a photo of the French Navy P725 Adroit.
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Le 8 février 2018, Envoyé Spécial diffuse le reportage « Yémen, les enfants de la guerre » dans lequel des enfants yéménites appellent les européens à cesser leurs ventes d’armes à l’Arabie Saoudite. Le Groupe d’experts éminents sur le Yémen (GEE), nommé par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies exhorte également les États exportateurs à arrêter de fournir des armes susceptibles d’être utilisées contre des populations civiles au Yémen. Ce conflit questionne les conditions d’exportation d’armes perçues comme un véritable dilemme moral.



The Union Minister for Defence, Shri Rajnath Singh with the French Minister of Armed Forces, Ms. Florence Parly, in France on October 08, 2019.
Ministry of Defence of India / Government Open Data License - India (GODL)

Ministre française des Armées accompagnée de son homologue indien lors de la

livraison du premier rafale à l’Inde en octobre 2019





La France, troisième exportateur mondial d’armement


Depuis plusieurs années, les gouvernements successifs s’attèlent à mener une politique de promotion de l’armement français à l’international. L’export permet de compléter les commandes nationales dans le but de maintenir une base industrielle et technologiques de défense (BITD) complète malgré un budget de la défense limité. Le commerce de l’armement pèserait près de 500 milliards d’euros chaque année dans le monde. Il s’agit d’estimations tant l’opacité de ce marché rend les études complexes. Tel un héritage de la guerre froide, les États-Unis et la Russie se sont longtemps partagé la majorité de ce marché. Aux autres acteurs significatifs comme le Royaume-Unis, la France, l’Italie, l’Allemagne et Israël, viennent s’ajouter depuis quelques années de nouveaux tels que la Chine, l’Inde et le Brésil.


La France fait figure d’exception. Longtemps cantonnée à un rôle mineur elle est depuis 10 ans, l’exportateur d’armes le plus dynamique au monde. Sur la période 2015-2019, elles ont augmenté de 72% par rapport à la période 2010-2014. La France représente désormais près de 8% du marché de l’armement mondial, tout en restant loin derrière la Russie et les États-Unis qui pèsent respectivement 21% et 36%. Aujourd’hui, la France, exporte cinq fois plus d’armes qu’elle n’en n’importe. Elle bénéficie d’une industrie militaire performante, héritage des décisions politiques de l’après-guerre et d’une forte volonté de souveraineté nationale.





Une industrie stratégique

En France, l’industrie de l’armement représente une dizaine de grandes entreprises et plus de 4000 PME dont 350 sont considérées comme stratégiques. Il s’agit d’une industrie compétitive, innovante et ouverte à l’exportation. Au total, elle pèse près 20 milliards d’euros de chiffre d’affaires et environ 200 000 emplois hautement qualifiés et non délocalisables. Elle est avec l’industrie aéronautique et le luxe l’un des rares secteurs à contribuer positivement à la balance commerciale française. Elle est ainsi essentielle à l’équilibre socio-économique dans de nombreuses régions françaises notamment en Aquitaine et Occitanie. En outre, les grandes entreprises qui la composent, ont une activité qui le plus souvent est à la fois civile et militaire. Ces entreprises représentent 21% des exportations françaises et plus d’un million d’emplois.


Source : ministère des Armées


En tant que vecteur d’influence sur la scène internationale, l’industrie de l’armement est également un outil diplomatique indispensable afin d’acquérir une légitimité sur la scène internationale. En facilitant la création d’alliances, elle peut contribuer à renforcer la coopération entre les États. C’est la cas en Egypte avec la lutte contre le terrorisme. En janvier 2019, le président Macron assurait son soutien au Maréchal Sissi, actuel dirigeant de l’Égypte. Dans le même temps, 35% des importations d’armes égyptiennes proviennent de la France. Sur le plan militaire, la particularité de la France est de disposer d’une armée complète, capable de se défendre et de se projeter sur l’ensemble des modes d’opération comme en 2013 lors de l’opération Serval au Mali. Cette autonomie stratégique est un prérequis indispensable à la souveraineté nationale voulue par le général De Gaulle au sortir de la Seconde guerre mondiale afin de ne pas dépendre du bouclier de défense américain.


L’appétence pour les États autoritaire, entre choix et fatalité


L’exportation d’armes permet d’entretenir les compétences et le savoir-faire sur le sol national lorsque les commandes publiques ne suffisent pas. Elles sont d’autant plus essentielles dans un contexte de « sobriété stratégique » post-guerre froide qui induit une réduction des investissements et des commandes publiques. En 1982, le budget de la défense représentait encore 2.8% du PIB. En 2019, ce chiffre était de 1.83%. Toutefois, parmi les dix premiers clients de la France, cinq sont classés comme des « États autoritaires » d’après l’indice de démocratie de The Economist. Tous sont des pays du Proche et Moyen-Orient. Comment expliquer cette appétence pour les États autoritaires ? Premièrement, les principaux pays importateurs sont aujourd’hui en majorité des États autoritaires et cette dynamique s’accentue depuis le début des années 2000. A lui seul le Moyen Orient représente 35% des importations mondiales d’armes. Deuxièmement, pour des raisons historiques et diplomatiques propres à la France. Depuis plusieurs décennies, les autoritaires françaises soignent leurs relations diplomatiques avec de nombreux dirigeants d’Afrique et du Moyen-Orient, en privilégiant parfois la stabilité au détriment des valeurs démocratiques.





Se pose alors un véritable dilemme morale. La France est le troisième fournisseur de l’Arabie Saoudite derrière les États-Unis et le Royaume-Unis. Au total 11 milliards d’euros de commandes de l’Arabie Saoudite ont été validés en 9 ans. Un rapport issu d’un groupe d’experts de l’ONU et publié en septembre 2019, souligne la responsabilité des fournisseurs de l’Arabie Saoudite dans les crimes commis au Yémen, en tant que pays tiers apportant un soutien logistiques indirect. Si ces faits sont avérés, ils iraient à l’encontre Traité sur le commerce des armes adopté par l’ONU en 2013 et signé par la France, dont l’objectif est de moraliser le commerce de l’armement. De même la France est régulièrement accusée par des ONG de ne pas respecter les embargos décidés par l’ONU et/ou par l’Union européenne. Au total, 11 embargos pourraient ainsi avoir été violés. Pour autant il arrive à la France de refuser de signer de nouveaux contrats voire d’en annuler. Ce fut le cas en 2014 avec le refus de livrer les deux navires Mistral commandées par la Russie, à la suite de la l’invasion de la Crimée.




Un dilemme moral qui cache également un malaise européen


Le livre blanc sur la sécurité et la défense publié le 29 avril 2013, fait de l’Europe de la défense une « priorité stratégique ». Pourtant, nous ne pouvons que constater que sur la période 2010-2020, l’Union Européenne ne représente que 8% des exportations d’armes de la France. Les industriels français font face à la concurrence des autres pays européens. Parmi les vingt premiers groupes industriels de l’armement, six sont européens. Pour autant, cette concurrence n’explique pas tout. Les Pays membres de l’OTAN, à l’exception de la France sont également fortement assujettis aux exportations américaines. L’avion furtifs F-35 en est le symbole. Au total huit pays européens ont opté pour ce chasseur de construction américaine au détriment des chasseurs européens et notamment du rafale français. Cette situation souligne un malaise européen qui remonte aux années 50 lorsqu’ironiquement les députés français refusèrent de ratifier le traité prévoyant la création d’une Communauté européenne de la défense (CED). Depuis, deux visions de la souveraineté s’opposent. D’une côté la France faisant de l’autonomie militaire une priorité et de l’autre une majorité de pays européens qui par choix ou par nécessité privilégient l’OTAN et le bouclier de défense américain.


« C’est le résultat d’une politique résolument européenne. C’est structurel. Des partenariats entraînent d’autres partenariats. Cette logique de souveraineté européenne […] implique une logique de préférence européenne » Ministère des Armées


Toutefois depuis trois ans, on assite à un recentrage en faveur des pays européens. L’année 2019 marque un tournant. Cette année-là, l’Europe supplante le Moyen-Orient en représentant 45% des ventes d’armes de la France, selon le rapport 2020 du ministère des armées. Ce chiffre était de 25% en 2018 et oscillait entre 10 et 15% les années précédentes. Trois des cinq premiers clients de la France en 2019 sont européens : la Belgique, la Hongrie et l’Espagne. Cette tendance devrait se poursuivre voire s’accentuer en 2021. La Grèce, et la Croatie ont officialisés la commande de rafales en début d’année et la Commission européenne a annoncé mercredi 30 juin le lancement du Fonds européen de défense. Doté de 8 milliards d’euros pour la période 2021-2028 il financera les projets communs de défense.



Vers un meilleur encadrement démocratique des exportations d’armes ?


Le marché de l’armement est extrêmement opaque. Les seules informations proviennent des rapports remis annuellement au Parlement. Ceux-ci sont toutefois critiqués car ils seraient incomplets. A l’heure actuelle en France, il n’existe aucun moyen de contrôle indépendant du pouvoir exécutif. Le contrôle des ventes d’armes est effectué par la commission interministérielle pour l’étude des exportation de matériel de guerre (CIEEMG). Il ne s’agit pas d’un organe indépendant car il assiste le Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale. De même, une proposition de loi faisant de la violation des embargos un délit n’a toujours pas été votée par le Sénat après plus de 10 ans de discussions. Ainsi, à l’heure actuelle, des traités interdisant les embargos sont signés mais aucun instrument judiciaire ne permet réellement de s’assurer qu’ils soient réellement appliqués.


« La France est le seul pays occidental à ne pas avoir de contrôle parlementaire sur les exportations d'armes. Nous voyons au Royaume-Uni, en Suède ou aux États-Unis que ce contrôle, sans empêcher les ventes d'armes, offre un espace de débat qui est désormais impératif."

Michèle Tabarot, député LR


Dans d’autres États, le Parlement dispose d’organes dédiés au contrôle des ventes d’armes et il peut s’il le juge nécessaire s’opposer à un contrat. Un rapport sur les exportations d’armement, des députés français Michèle Tabarot (LR) et Jaques Maire (LREM) remis en 2020 propose la création d’une délégation parlementaire indépendante du gouvernement afin d’encadrer les exportations d’armes. Toutefois, le risque est que des décisions parlementaires prises puissent aller à l’encontre de l’intérêt national soit par méconnaissance du sujet soit par manque d’indépendance vis-à-vis de l’opinion publique et des partis politiques.



La France fait face un dilemme. D’un côté le maintien d’une autonomie militaire en alliant investissements publics dans l’industrie de l’armement et promotion des exportations d’armes. De l’autre, la nécessité de contrôler ces exportations afin qu’elles ne soient pas utilisées contre des populations civiles. Ce dilemme est d’autant plus prégnant, qu’en tant que troisième exportateur mondial, la France dispose d’une responsabilité vis-à-vis de l’utilisation qui est faite de ces armes. S’agissant d’une industrie stratégique tant sur le plan économique que militaire, il apparaît difficilement concevable de renoncer aux exportations. En revanche, parmi les solutions envisageables nous pouvons citer un contrôle du Parlement via la création d’une Commission parlementaire indépendante ainsi qu’un recentrage sur l’Europe et un respect des embargos de l’ONU et de l’Union européenne.






Sources :

SIPRI (données importations/exportations) : https://www.sipri.org/

Ecole de guerre économique : https://www.ege.fr/infoguerre/2020/04/20822




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