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  • Rémi Baucher

Une manifestation peut-elle en cacher une autre ?


En 2019, la plupart des régions du monde se sont vues ébranlées par des phénomènes massifs de contestation. Du Chili à Hong Kong en passant par la France et le Liban, de nombreuses voix se sont soulevées pour dénoncer des atteintes aux droits fondamentaux, les inégalités ou encore la passivité de certains dirigeants face aux changements climatiques.

Ces mouvements ont ceci en commun qu’ils sont diffus et décentralisés. Que ce soit à Hong Kong, en Irak ou en Colombie, les manifestants s’auto-organisent. C’est à cela qu’on doit la pluralité des formes de protestation mais aussi la diversité des participants. « C’est la première fois que l’on voit des étudiants du privé et du public manifester ensemble »[1], rappelle ainsi un universitaire de l’Université Nationale de Bogotá, en Colombie. Les réactions des différents gouvernants face à ces mouvements de contestations ont toutefois été assez différentes. Les gouvernements chiliens et libanais ont fait marche arrière sur les mesures contestées [2] et la France et la Colombie ont invité les citoyens à s’exprimer auprès des instances gouvernementales [3]. Pourtant, force est de constater que dans de nombreux cas, les mouvements de protestation n’ont pas cessé. Il apparaît donc que, bien souvent, des éléments conjoncturels cèdent leur place à une protestation d’ordre structurel, ébranlant en profondeur les sociétés et les systèmes politiques, menant parfois à des phénomènes de violence.

Carte : France 24, 27 décembre 2019

Vers un virage structurel dans les mouvements de contestation

Au Chili, l’augmentation du prix du ticket de métro. Au Liban, une nouvelle taxe sur les appels passés via l’application WhatsApp, très utilisée. En Algérie, la volonté de l’ancien président Bouteflika de briguer un cinquième mandat. A Hong Kong, un projet de loi permettant l’extradition de ressortissants. La liste est longue des éléments déclencheurs des grands mouvements de protestation qu’a connu 2019 et qui, pour la plupart, persistent en ce début d’année 2020. Le point commun entre toutes ces manifestations est qu’elles ont pour base un épiphénomène qui a débouché sur une dénonciation plus large [4]. Elles sont symptomatiques d’une crise plus grave qui touche nos sociétés contemporaines. Corruption, inégalités, isolement, élitisme politique, inaction climatique, sont autant de dénonciations transversales qui s’observent dans tous ces mouvements. Là sont les causes des manifestations dont les éléments déclencheurs n’étaient que des symptômes. « Ce qui lie Hong-Kong, le Liban et l’Irak avec ce que nous voyons au Chili, en Bolivie et en Equateur est l’idée que l’establishment a trop de pouvoir » [5], confirme au New Yorker un ancien membre du Conseil national du renseignement américain.

De plus, de nouvelles formes de manifestations transfrontalières se développent et se médiatisent. Si existe depuis longtemps l’idée de marches dépassant les frontières (marche mondiale pour la femme, marche européenne contre le chômage...), ces dernières ont pris une autre dimension en 2019, avec plus de quatre millions de personnes défilant sur le globe durant la marche pour le climat, selon la jeune activiste suédoise Greta Thunberg [6]. Dès lors, ceci peut être interprété comme l’assimilation par de nombreux citoyens — et pas seulement des pays occidentaux — des enjeux globaux auxquels tous les Etats sont amenés à faire face. Dans un monde interconnecté, la contestation peut s’organiser à des échelles nouvelles et à travers des moyens nouveaux : elle n’est plus réservée à une élite citoyenne politisée, et les contestataires peuvent s’organiser par eux-mêmes à un coût très faible grâce aux réseaux sociaux.

Un effet « domino »

Durant les grandes manifestations du début de la dernière décennie en Afrique du Nord, connues sous le nom des « printemps arabes », le rôle des réseaux sociaux a été fondamental [7]. Si ces derniers ne sont pas les seuls instruments des révoltes, ils en ont été l’un des outils majeurs permettant d’étendre la contestation aux pays voisins. C’est en cela que de nombreux observateurs de ces bouleversements dans le monde arabe ont utilisé le terme d’effet « domino » [8] : les manifestations politiques peuvent désormais s’exporter. De la même manière, les répertoires d’action politiques de la contestation se retrouvent désormais être les mêmes au sein de nombreuses manifestations. Par exemple, des gilets jaunes ont été aperçus à Baghdad et les danses contestataires mexicaines observées à Paris [9].

Rassemblement de manifestants irakiens contre le gouvernement à Brasra, fin 2018.

Crédits photo : REUTERS/Essam al-Sudani

Ceci participe de l’homogénéisation des formes de contestation politique à travers le globe, restructure les clivages et témoigne de la facilité qu’ont les manifestants à s’identifier entre eux dans la contestation, bien au-delà des frontières.

En isolant chaque sous-région qui a observé l’éclatement de ce type de phénomène en ces derniers mois, on observe un enchainement en cascade du début des mouvements de contestation qui confirme cette logique de « l’effet domino ». Cette tendance est particulièrement visible en Afrique, au Moyen-Orient et en Amérique Latine. Ceci s’explique par l’histoire contemporaine de ces régions du monde marquées par de nombreux phénomènes de contestation des pouvoirs en place qui se sont diffusés à l’échelle régionale, permettant de développer des réseaux transfrontaliers d’échanges et qui accélèrent cet « effet domino » [10].

Date de début des manifestations de ces dernières années par pays

Ce tableau a été constitué par nos soins et la liste n’est pas exhaustive. Par souci de clarté, seules ont été choisies les contestations ayant fait l’objet d’un considérable écho médiatique dans les médias à portée internationale. Sources : multiples.

Les réponses à ces manifestations ont été nationales, souveraineté des Etats sur la scène internationale oblige. Dès lors, un paradoxe s’est créé du fait des nombreux Etats qui ont choisi en premier lieu de faire usage de la force sous couvert de fermeté. Un rapport d’Amnesty International publié en octobre 2019 fait état de 11 pays présentant des signes d’abus et de violations des droits des manifestants, sur tous les continents [11]. Dès lors, si de nombreux Etats ont décidé de faire usage des autorités de maintien de l’ordre voire de l’armée, cela a permis aux contestataires de s’identifier mutuellement par-delà les barrières culturelles, linguistiques et géographiques. De là est né un paradoxe : les différents Etats, dans leur volonté de gérer au plus vite ce qui était considéré comme des troubles sur leurs territoires, ont finalement accru ce phénomène de l’effet « domino », justifiant aux yeux des manifestants eux-mêmes ces phénomènes de contestation. Par ailleurs, c’est l’une des raisons pour laquelle de nombreux gouvernements ont fait marche arrière et accordé aux manifestants de nouveaux acquis, le plus souvent économiques et sociaux. Toutefois, ceci n’a pas fait cesser les manifestations pour autant.

Une « uniformisation » des manifestations à l’échelle mondiale ?

S’il est encore peu commun d’observer des « manifestations mondiales » ou « internationales » de grande ampleur, ce phénomène se développe : en témoigne la marche pour le climat de 2019 qui a eu un grand succès. De la même manière, les différentes mobilisations nationales de l’année 2019 ont témoigné du fait que les enjeux nationaux de contestation se ressemblaient grandement dans de nombreux pays. C’est ce qui a permis l’accroissement des manifestations dans le monde entier.

Il est intéressant de noter que ces contestations ont eu lieu à la fois dans des régimes démocratiques et des régimes autoritaires. Malgré des degrés de répression différents en fonction du régime politique — l’Iran ayant par exemple coupé Internet sur l’ensemble du territoire [12] —, les manifestations ont pu se développer, voire être encouragées par les phénomènes massifs de répression en vigueur dans certains pays. De nombreuses voix se sont soulevées en faveur de la démocratie (Algérie, Soudan, Hong-Kong...) et ont trouvé écho dans d’autres pays, malgré le fait que certaines revendications ne soient pas directement les mêmes que dans d’autres régions (les démocraties occidentales par exemple). Pourtant, la lutte pour les droits sociaux, les droits de l’Homme, contre les inégalités et la corruption se retrouve dans toutes les revendications. Dès lors, il est possible de parler d’une forme de « mondialisation » des manifestations dans leurs causes, voire dans une certaine mesure d’une uniformisation, portée par les réseaux sociaux.

Il apparaît donc possible d’affirmer qu’une manifestation peut en cacher une autre, du moins en deux aspects. Premièrement, si la grande majorité des manifestations a débuté au travers d’un épiphénomène, elles ont rapidement mué en mobilisations de longue durée dont les revendications étaient plus larges. Deuxièmement, au-delà de la mutation des manifestations, c’est leur exportation et leur diffusion qui a joué un grand rôle en cette année 2019 et fait de ces douze mois des mois d’intenses mouvements de contestations à travers la planète et s’inscrivant dans la durée : en témoigne le début d’année 2020, qui débute avec la poursuite de nombres de ces contestations.

Sources : (Ressources institutionnelles, discours et entretiens, articles scientifiques, articles de presse)

[1] « Lo que hemos aprendido con el paro, y lo que falta por aprender » [Ce que nous avons appris de la contestation, et ce qu’il reste à apprendre], Table ronde de l’Institut d’études politiques et relations internationales de l’Université nationale de Colombie, 22 janvier 2020.

[2] DE FILIPPIS, Victorio, MACE, Célian, DIDELOT, Nelly, « De l’Irak au Chili, c’est la lutte globale », Libération, 28 octobre 2019. [En ligne]. Consulté le 8 mars 2019.

[3] « De Conversación Nacional saldría una reforma política » [De la conversation nationale devrait emerger une réforme politique], El Nuevo Siglo, 13 février 2020. [En ligne]. Consulté le 8 mars 2019.

[4] BELLANGER, Anthony, « Sois comme l’eau, jeune manifestant du monde », France Inter, 22 octobre 2019. [En ligne]. Consulté le 8 mars 2019.

[5] WRIGHT, Robin, « The story of 2019 : protests in every corner of the globe” [L’histoire de 2019 : des manifestations à chaque coin du globe], The New Yorker, 30 décembre 2019. Consulté le 8 mars 2019.

[6] Discours de Greta Thunberg à Montréal devant les participants à la marche pour le climat, 27 septembre 2019.

[7] Faris, David M. « La révolte en réseau : le « printemps arabe » et les médias sociaux », Politique étrangère, vol. printemps, no. 1, 2012, pp. 99-109.

[8] « L’effet domino s’amplifie au Moyen-Orient », Le Monde, 17 février 2011. [En ligne]. Consulté le 8 mars 2019. [En ligne]. Consulté le 8 mars 2019.

[9] HENLEY, Jon, « How hi-vis yellow vest became symbol of protest beyond France » [Comment les gilets jaunes sont devenus un symbole de contestation au-delà de la France], The Guardian, 21 décembre 2018. [En ligne]. Consulté le 8 mars 2019.

[10] « The political Domino effect in the Middle East » [L’effet domino politique au Moyen-Orient], The Asian, 12 janvier 2018.

[11] « Protests around the World explained » [Les contestations dans le monde expliquées], Amnesty International UK, octobre 2019.

[12] « Une coupure d’internet inédite en Iran, une révolte sans filet », Le Courrier International, 22 novembre 2019. [En ligne]. Consulté le 8 mars 2019.

« Une flambée de manifestations dans le depuis début octobre », Le Figaro, 26 octobre 2019 [En ligne]. Consulté le 8 mars 2019.

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