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Sarah Genton

Afghanistan, le tombeau des empires - Épisode 1: Là où tout a commencé


Afghanistan
Sohaib Ghyasi / Unsplash

Le 15 août dernier, le monde entier avait les yeux rivés sur Kaboul. La capitale est tombée aux mains des talibans sans aucune résistance, 20 ans après qu’une coalition internationale portée par les Etats-Unis les en aient chassés. L’évacuation précipitée des occidentaux et de leurs collaborateurs témoigne de la surprise suscitée par la progression éclair des talibans sur le terrain, depuis l’accélération du retrait des troupes américaines décidé à Doha en février 2020. Qui sont ces talibans qui ont défait si facilement l’Etat afghan et résisté à l’une des premières puissances militaires mondiales ?

Retour sur le début d'un conflit qui remonte à des décennies - voir des siècles.



Il est impossible de comprendre la situation actuelle en Afghanistan sans s’intéresser à la géographie et au passé mouvementé de ce territoire. L’Afghanistan, parsemé de montagnes austères et de déserts, enclavé entre de puissants voisins, est depuis des siècles un point de rencontre des grands empires (Perse, Indien, Russe, Chinois et Britannique) au carrefour des invasions et des voies commerciales telles que la route de la soie. Dépourvu d’accès à la mer, l’Afghanistan est aujourd’hui entouré par le Turkménistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan au nord, par l’Iran à l’Ouest, par le Pakistan au Sud et à l’Est et par la province chinoise du Xinjiang. Le pays est séparé en deux par l’imposant massif montagneux qu’est l’Hindu Kush, à tel point qu’il est parfois difficile en hiver de se rendre d’un versant à l’autre. Le morcellement du territoire a favorisé le développement des nombreuses ethnies que l’on y trouve. Les pachtounes, dont sont issus beaucoup de talibans, sont majoritaires et représentent 40% de la population. Ils cohabitent avec les tadjiks qui représentent 30% de la population, les Uzbeks (10%), les Hazaras (8%), les Turkmènes et les Baluchs.

Carte des groupes ethnolinguistiques en Afghanistan
Central Intelligence Agency / Wikimedia Commons


L’Afghanistan est également un territoire jaloux de son indépendance, difficile à conquérir du fait de sa géographie accidentée, que l’on surnommait autrefois « le tombeau des empires ». Au cours du XIXe siècle, les Britanniques présents en Inde essayent à plusieurs reprises d’y étendre leur Empire colonial dans le cadre de ce que l’on a appelé le « Grand Jeu », désignant par-là les rivalités géopolitiques qui les opposaient à l’Empire Russe en Asie centrale. En tant qu’Etat tampon entre les deux empires, l’Afghanistan occupe alors une position stratégique de premier plan. Au cours des trois guerres Anglo-afghanes (1839-1842, 1878-1880, 1919), les Britanniques subissent de lourdes pertes, sans jamais parvenir à imposer durablement leur domination, avant de quitter définitivement le pays en 1919. Ils parviennent néanmoins à négocier en 1883 les accords Durand, fixant la frontière entre l’empire des Indes et l’Afghanistan à ce qui correspond à la frontière afgho-pakistanaise actuelle, et ce malgré la présence ancestrale de nombreux pachtounes de part et d’autres de la ligne de séparation. Ces accords sont le creuset du conflit afgho-pakistanais dont les répercussions sur la géopolitique de la région sont multiples.


The Last Stand of the 44th Regiment at Gundamuck, 1842.
The Last Stand of the 44th Regiment at Gundamuck, 1842. William Barnes Wollen / Wikimedia Commons


Le Pakistan est créé en 1947 selon les frontières imposées par les accords Durand, ce qui lui vaut l’hostilité immédiate de l’Etat Afghan, qui considère que ce territoire, aussi appelé Patchounistan, lui revient de droit. Les Américains tentant à leur tour d’endiguer l’influence Russe en Asie centrale soutiennent le Pakistan, ce qui pousse les Afghans à accepter l’aide militaire et économique de 25 millions de dollars que leur offre l’URSS en 1953. A partir de ce moment-là, Moscou bénéficie d’une influence considérable sur le pays. De nombreux jeunes Afghans de la famille royale ou de l’élite du pays partent étudier dans des universités russes. Pendant une vingtaine d’années le communisme se développe, même s’il reste minoritaire, jusqu’à ce qu’une révolution place au pouvoir le "Khalq", une branche du parti communiste Afghan le PDPA. Il semblerait pourtant que les Russes n’aient pas participé à ce coup d’Etat et qu’ils y aient même été peu favorables, la neutralité de l’Afghanistan garantissant une zone tampon avec l’Inde et le Pakistan, pays alliés des américains. Une fois au pouvoir, le PDPA met en place des réformes d’inspiration marxiste très poussées, encourage l’éducation des filles et abolit un certain nombre de coutumes jugées trop conservatrices. Cela ne plaît pas à une partie de la population, notamment aux mollah et aux religieux islamistes, qui commence à s’opposer au régime.


Lorsque le président Taraki est assassiné en 1978, le régime est sur le point de s’effondrer. Le nouveau président implore Brejnev d’intervenir militairement, ce qu’il finit par faire à contrecœur et après de nombreuses hésitations en 1979. Si les Russes décident finalement d’intervenir c’est qu’ils ont peur qu’un régime islamiste allié des Américains ou des occidentaux déstabilise leurs Républiques en Asie Centrale et permette l’installation de bases militaires Américaines en Afghanistan. Par ailleurs, il semblerait que le gouvernement américain ait habilement encouragé l’URSS à s’engager dans cette guerre : six mois avant l’intervention Russe, la CIA avait lancé une opération de soutien aux moudjahidines.


Dans une interview donnée en 1998, Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller de Jimmy Carter, a reconnu ouvertement la responsabilité des Etats-Unis:


« Cette opération secrète était une excellente idée. Elle a eu pour effet d’attirer les Russes dans le piège Afghan et vous voulez que je le regrette ? Le jour où les Soviétiques ont officiellement franchi la frontière, j’ai écrit au président Carter, en substance : « Nous avons maintenant l’occasion de donner à l’URSS sa guerre du Vietnam. » De fait, Moscou a dû mener pendant presque dix ans une guerre insupportable pour le régime, un conflit qui a entraîné la démoralisation et finalement l’éclatement de l’empire soviétique ».


Et de fait, pendant dix ans le régime soviétique s’est battu contre des guerriers redoutables sur un territoire hostile avant de repartir tête basse, pris dans le piège Afghan comme de nombreux Empires auparavant.



Sources:










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