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  • Clémence Le Forestier

Rencontre Géopolitique #4 : La Birmanie, de l'idylle démocratique au retour de la junte

A coalition of campaigning groups including the NLD, Burma Campaign UK, and English PEN, protest outside the Burmese Embassy in Mayfair, on Aung San Suu Kyi's 64th Birthday, 19th June 2009.
English PEN / Creative Commons Attribution 2.0 Generic

Le 6 décembre dernier s’est tenu le procès pour corruption d’Aung San Suu Kyi, ancienne chef de gouvernement de facto de la Birmanie et lauréate du prix Nobel de la paix en 1991, qui aurait reçu 600.000 dollars et plusieurs kilos d’or en pots de vin. Toutefois, il ne faut pas s'y méprendre : il s’agit là d’un procès orchestré par la Tatmadaw (junte birmane actuellement au pouvoir) constituant ainsi un stratagème pour exclure officiellement Aung San Suu Kyi de la sphère politique, une exclusion qui renforcerait encore le pouvoir de la Junte en Birmanie. En effet, le 1er février la Tatmadaw a renversé le pouvoir démocratique — avec à sa tête d’Aung San Suu Kyi — en réalisant un coup d’État accompagné d’une répression des plus violentes.


Ce coup d’État, quoiqu’extrêmement sanglant, ne constitue pour autant pas en tant que tel une grande surprise car il pouvait être anticipé pour plusieurs raisons : la position presque hégémonique de la Tatmadaw depuis des décennies, la faiblesse de la transition démocratique initiée au début des années 2000 et enfin la particularité géographique et ethnique de la Birmanie qui est source de grande instabilité. Enfin, dans une perspective plus large, on constate une internationalisation du problème birman par la mise en place de nouveaux jeux de pouvoirs.


Retour sur le coup d’État : la Birmanie en marche vers la Guerre civile ?


Le coup d’Etat du 1er février 2021 mené par l’armée birmane s’est suivi de l’arrestation d’ Aung San Suu Kyi et du président Win Myint et de la déclaration de l’état d’urgence par les militaires. Finalement, c’est le commandant en chef Min Aung Hlaing qui est investi des pleins pouvoirs. Immédiatement après le soulèvement autoritaire des militaires de la Tatmadaw, les citoyens se sont regroupés afin de mener des actions allant de la désobéissance civile (avec le symbole des trois doigts levés, inspiré du film Hunger Games) à des manifestations armées (allant des projectiles aux armes à feu). Certaines manifestations armées vont jusqu’à prendre la forme de guérilla Les citoyens birmans tentent aussi de concrétiser des alliances avec les armées de minorités ethniques qui tiennent certaines parties du pays. Les minorités ethniques ne comptent pas seulement s’opposer au pouvoir central autoritaire mais ont également pour objectif de lutter pour une forme d’indépendance et d’autodétermination.



L’hégémonie historique de la Tatmadaw : un état dans l’état ?


En 1962, la Tatmadaw effectue un coup d’état et Ne Win — militaire et homme d’État surnommé « l’homme fort » — instaure un régime socialiste dictatorial avec son parti unique ; Parti du programme socialiste birman (BSPP). Il centralise les pouvoirs à Rangoun et bafoue les droits les minorités. Cette centralisation des pouvoirs est justifiée par le désir d’unifier le pays qui demeure miné par une trop grande diversité de minorités. En effet les minorités ethniques ont orchestré des actes de rébellion.


En 1988, à la suite de soulèvements populaires Ne Win démissionne. Néanmoins cette démission n’entraine pas une avancée démocratique car seulement quelques semaines après, le général Saw Maung prend le pouvoir par coup d’État tout en étant soutenu par la Chine : il s’agit de la deuxième dictature militaire. Le régime poursuivra sa politique répressive malgré l’obtention du prix Nobel de la paix. La junte semble donc renaitre de ses cendres, renforcée par sa forte hiérarchisation.



L'éphémère démocratie : victime de sa jeunesse ?


D’août à septembre 2007, les oppositions au pouvoir dictatorial — surnommées Révolution de Safran— se font entendre de manière pacifique. En effet, plus de 100 000 manifestants ont exprimé leurs velléités de changement de régime politique suscitées par l’augmentation du prix de plusieurs ressources énergétiques (essence et gaz). L’année 2010 marque le vrai début de la transition démocratique avec la libération d’Ang Sank Suki, leader de l’opposition. En 2015, après la victoire de La Ligue Nationale pour la Démocratie aux élections, Aung San Suu Kyi prend la tête du pays et intensifie les réformes (éducation, libéralisation, paix avec les minorités).


Néanmoins, dès cette époque le tableau est plus sombre qu’il n’y parait car la Tatmadaw bénéficie toujours d’une forte influence en tant que garante des ministères de la Défense, de l’Intérieur et des Territoires Frontaliers. C’est donc un pouvoir à deux visages, à l’image du Dieu Janus, qui se dessine en Birmanie : d’un côté le pouvoir démocratique avec Aung San Suu Kyi et de l’autre le pouvoir autoritaire de la Tatmadaw.



La résurgence de la crise ethnique : balkanisation du pays ?


Comme l’explique Renaud Egreteau, spécialiste de l’Asie du Sud, depuis l’indépendance de la Birmanie en 1948 le pays n’est jamais parvenu à s’unir autour de la majorité birmane. La Birmanie est un pays largement divisé par les ethnies dont la multiplication (on en dénombre 135) a été favorisée par la géographie et la géomorphologie. En effet, le territoire birman est particulièrement propice à la prolifération d’ethnies en ceci qu’il est fortement nivelé. La répartition des ethnies répond donc à la géomorphologie.





Dès lors la notion de centre et périphérie — théorisée par Alain Reynaud — s’avère tout à fait pertinente afin de mettre en avant les disparités entre les ethnies. L’ethnie majoritaire est celle des Bamar et constitue un centre autour de Naypidaw (capitale qui a remplacé Rangoun). A l’inverse les minorités ethniques sont par exemple constituées des bouddhistes, chrétiens ou animistes. Ce fort syncrétisme religieux est donc source de tensions au sein des populations. En effet, les marges du pays sont devenues le théâtre d’affrontements armés entre la Tatmadaw et les milices ethniques.


Toutefois, ces dernières années s’il y a bien une ethnie qui a fait parler d’elle c’est celle des Rohingyas. Cette population bengalie — déplacée de force par les Britanniques à la fin du XIX dans un contexte de course à la colonisation — a perdu la citoyenneté birmane avec l’arrivée au pouvoir de la junte en 1982. Dès lors, cette population apatride a constitué l’un des souffre-douleurs du pouvoir autoritaire mais les exactions commises par la junte ainsi que la relative ignorance et l’immobilisme du pouvoir d’Aung San Suu Kyi (même si elle a défendu le dossier au tribunal de la Haye) ne se sont pas faits au vu et au su des Birmans. Effectivement, la fuite des Rohingyas vers le Bangladesh puis l’enfermement dans des camps de plus de 800 000 apatrides ont été largement maquillés. Toutefois, certains rebelles rohingyas ont aussi été à l’origine d’actes de violence voire d’attentats comme en 2017 lorsque des rebelles ont attaqué des policiers birmans à la frontière avec le Bangladesh ; cette attaque a entrainé la mort de 89 personnes.


Des jeux de pouvoirs à échelle mondiale : formation de blocs ?


Au lendemain du coup d’état de la junte la communauté internationale s’est empressée de réagir et de prendre position alors même que dès 2018, l’ONU avait accusé Min Aung Hlaing« d’intentions génocidaires ». Dès lors, une carte des nouvelles alliances a été dessinée. Les États-Unis et la France, ont condamné sans ambigüité tandis que les réactions de la Russie et de la Chine sont très ambivalentes bien qu’elles démentent avoir soutenu le coup d’état. En clair, la question birmane est l’objet d’un vrai clivage au sein du Conseil de sécurité.



Aussi curieux que cela puisse paraitre la junte a annoncé qu’elle organiserait des élections démocratiques ce qui n’est pas sans rappeler ce qu’avait annoncé le pouvoir dictatorial thaïlandais - élections qui ne s’étaient tenues que 5 ans après cette annonce. Ce n’est donc pas surprenant que le premier dirigeant avec lequel Min Aung Hlaing a pris contact est le Premier ministre de Thaïlande. On peut donc s’attendre à ce que les militaires birmans suivent leur exemple. En conséquence, dès juillet dernier l’ONU (et en particulier Michelle Bachelet qui est Haute-Commissaire aux droits de l’Homme) a qualifié la situation en Birmanie de « catastrophique »







Sources:











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