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  • Claire Chavoix

Le sport dans tous ses États



Si le sport a toujours été un enjeu des relations internationales, et ce dès l'Antiquité (les Jeux olympiques auraient été inventés pour mettre fin aux guerres du Péloponnèse), c’est avec l’instauration d’évènements majeurs comme le renouvellement des Jeux olympiques en 1896, puis la création de la Coupe du monde de football en 1930, que le sport devient un facteur sociétal important. Il existe surtout un rapport réciproque entre le sport et la mondialisation. Le sport traduit désormais le caractère multipolaire des relations internationales : il est dans tous les États. Mais aborder le sport sous le prisme des États consiste à l’interroger dans tous ses enjeux, ses angles, ses points de vue, et son actualité. Il s’agit alors d’étudier la « géopolitique du sport », afin de répondre aux problématiques suivantes : Quels sont les représentations du sport pour les États ? Qu’en est-il à l’heure de la mondialisation ? Comment est-il un instrument des relations interétatiques ?


L’important, c’est de briller !


« Compte tenu de ce que représente le sport, un succès sportif peut servir une nation autant qu'une victoire militaire », Gérald Fold, 1974. Le sport est un moyen pour les États de rayonner sur la scène internationale, en affirmant leur puissance.

D’un point de vue économique, les dirigeants prouvent leur richesse en investissant largement dans les infrastructures, dans l’organisation d’évènements sportifs et dans la performance de leurs joueurs. Depuis 2016, les clubs chinois achètent à prix d’or les joueurs européens. Pour attirer les meilleurs, ils proposent des salaires astronomiques ; à l’automne 2017, le joueur le mieux payée du monde Ézéchiel Lavezzi évolue au club « Hebei China » pour 49 millions d’euros par an. L’objectif de Xi Jinping est de faire de la Chine une superpuissance du football. Et naturellement, la puissance sportive d’un État est proportionnelle aux dépenses qui y sont consacrées : la Chine a connu une ascension sportive fulgurante : de 1988 à 2008, le pays est passé d’une vingtaine de médailles à une centaine.


D’autre part, les bénéfices sont aussi politiqueset symboliques : c’est une occasion de montrerle drapeau, de soigner son image, d’affirmer sa supériorité nationale. Ainsi, l’affiliation de laPalestine à la FIFA en 1998 représente une reconnaissance internationale pour un territoire quin’a qu’un siège d’observateur à l’ONU. Plus récemment, le Qatar s’est lancé depuis quelques années dans une intense diplomatie sportive ; d’abord avec le « sponsoring » du maillot du FCBarcelone, puis avec l’achat du PSG, la diffusion des grandes lignes européennes sur sa chaîneBein, et enfin, l’aboutissement avec l’organisation de la Coupe du Monde de football en 2022.



Médailles aux jeux olympiques, 1896-2008, Presses de Sciences Po.


Cette carte du monde permet de faire le lien entre la puissance sportive d’un pays et sa puissance économique et politique. Sans grande surprise, les pays développés constituent les plus grandes puissances sportives.


Ainsi, à la vue des retombées économiques et symboliques des investissements sportifs, pas question de rester sur la touche pour les pays émergents et ceux en développement. Enjeu économique et lutte de pouvoir, le sport prend une dimension mondiale depuis la première Coupe du Monde en Uruguay. Longtemps chasse gardée de l’Europe et de l’Amérique latine, tous les dirigeants souhaitent désormais l’organiser afin de bénéficier de la manne financière qu’elle représente. Ainsi, le football est un accélérateur de développement : l’Afrique est un vivier de talent où puisent les clubs européens. Mais les équipes africaines sont désormais capables de gagner au plus niveau : le Maroc a brillé lors de la dernière Coupe du monde. D’ailleurs, l’Afrique a son propre mondial : la Coupe d’Afrique des Nations.


Enfin, les États voient dans le sport une dimension culturelle et cherchent par ce moyen à affirmer leur identité. D’une part, le sport s’adapte à une culture et son origine est propre à un pays. Il est véritablement dans tous les États : le sumo au Japon, le surf en Australie, le cricket en Angleterre… Aussi, le sport entretient la communauté d’un État : il fédère. C’est d’autant plus vrai à l’heure de la mondialisation où les compétitions sportives à travers le monde rassemblent des millions de téléspectateurs. TF1 connaît d’ailleurs son record d’audience lors de la finale de la Coupe du monde 2022, avec 29,4 millions de téléspectateurs devant la finale France-Argentine.



Du hard power à la diplomatie du ping-pong


Avant qu’il ne soit considéré comme un vecteur efficace de soft power, le sport a à travers le XXème siècle été aux mains des dirigeants comme instrument idéologique de domination des autres États. Dans les années 30 notamment, les compétitions sportives sont récupérées à des fins idéologiques par les régimes autoritaires. Ainsi, l’Allemagne d’Hitler profite des Jeux de Berlin en 1936 pour montrer la supériorité du nazisme et de la race arienne. De même, lors des coupes du monde de football en 1934 et 1938 : Mussolini ne manque pas de faire de ces compétitions un bras de fer politique. L’affiche officielle française de 1938 illustre bien les inquiétudes de l’avant-guerre vis-à-vis de l’Italie (et de l’Allemagne) : les logiques fascisantes de puissance et d’hégémonie, semblent très éloignées des valeurs du sport de l’olympisme.

Affiche de la Coupe du monde de football 1938, par l’artiste français Henri Desmé.


La chute de l’Italie fasciste et de l’Allemagne nazie ne sont pas synonymes d’apaisement : dès 1945, la guerre froide introduit une nouvelle ère de rivalités entre les Américains et les Soviétiques, encore une fois exacerbée lors de compétitions sportives. Avec la possibilité de se détruire mutuellement avec le développement de l’arme atomique, la compétition sportive apparaît comme un espace propice d’affrontement symbolique. Le sport y est même un instrument de propagande afin d‘affirmer la domination d’un bloc sur l’autre, illustré au cinéma par les combats de boxe entre Rocky Balboa et Ivan Drago.


Pourtant, en pleine Guerre froide, le rapprochement entre les Etats-Unis et la Chine grâce au tennis de table, montre que le sport peut, au contraire, s’avérer être un instrument de diplomatie.


Quand le sport siffle la fin des tensions interétatiques


En effet, après la rupture sino-soviétique, un rapprochement entre les Etats-Unis et la Chine selon leurs intérêts respectifs s’est effectué grâce à des affrontements amicaux de tennis de table : après quelques échanges confidentiels, Mao Zedong profite de la présence de l’équipe de ping-pong américaine sur le sol japonais pour l’inviter en Chine. Quelques tournois sont organisés et suffisamment médiatisés afin d’officialiser un rapprochement entre les deux pays. C’est l’épisode de la « diplomatie du ping-pong ».



La diplomatie du ping-pong aboutit à un apaisement des relations sino-américaines officialisé par la rencontre entre Richard Nixon et Mao Zedong en 1972.

De ce fait, le sport permet, parfois, de réconcilier des ennemis. Il place les tensions dans un autre cadre que guerrier. Cette idée remonte à l’Antiquité : les Jeux Olympiques étaient considérés comme un processus politique, qui avaient pour but d’amener les cités grecques à se réunir, et à échanger de façon diplomatique en déposant les armes. L’épisode le plus connu de diplomatie sportive est celui de la diplomatie du ping-pong.


Le terme de diplomatie sportive a depuis été utilisé pour représenter les épisodes de détente diplomatique des relations indo-pakistanaises autour du cricket.


Le sport comme "poursuite de la politique par d'autres moyens" ?


Le sport, s’il est considéré comme un enjeu international majeur, représente aussi la continuité de la politique étatique. Si le Président de la République française Emmanuel Macron affirmait le 10 novembre 2022, qu’il ne fallait pas « politiser le sport », il s’est lui-même trahi, témoignant d’un grand intérêt pour le sport depuis le début de son mandat jusqu’à la coupe du monde de 2022, en l’incluant dans sa politique, et en l’utilisant afin d’entretenir sa popularité. Il semble par exemple vouloir bénéficier de l’aura du crack du PSG Kilian Mbappé, tant il affiche sa proximité avec lui, parfois même physiquement comme les médias l’ont relayé lors de la défaite en finale de l’Équipe de France.



Emmanuel Macron réconfortant Mbappé lors de la finale de la Coupe du monde 2022. © Zabulon Laurent/ABACA


Le chef d’État utilise également la carte du sport dans un cadre politique à des fins diplomatiques : en déplacement à Alger en août 2022, il se montre favorable à l’idée d’un match amical de football entre les Fennecs et les Bleus. « Je pense que le sport doit réconcilier » explique-t ’il, et que « ce serait une bonne chose pour conjurer le passé » : ces déclarations ont davantage de sens étant donné le contexte de cette visite officielle, après quelques mois de tensions avec le Président Algérien, notamment à propos de la colonisation française. Ainsi, le sport est politique.


D’ailleurs, il reflète même la politique nationale d’un État à une période donnée et le type de régime de ce dernier. La coupe du monde de football 2022 l’a bien illustré, en particulier en ce qu’elle a condamné les droits LGBT, trahissant la monarchie qatarie en dévoilant son caractère autoritaire et conservateur. Face à cela, les stades deviennent parfois des tribunes politiques lorsque les joueurs nationaux utilisent de leur influence afin d’exprimer leur désaccord face à la politique menée par leur État. En 2016 lors des JO de Rio, l’Ethiopian Feyisa Lilesa passe la ligne d’arrivée en deuxième position en mimant des poings menottés, signe de soutien aux manifestations contre son gouvernement.



Feyisa Lilesa, le jour où il a remporté la médaille d'argent aux JO de Rio, le 21 août 2016. — © DIEGO AZUBEL


De même, à l’automne 2017, des sportifs du football américain posent leur genou à terre pendant l’hymne pour protester contre les citoyens noirs morts abattus par les policiers blancs, et dire leur opposition à la politique de Donald Trump. Le sport traduit aujourd’hui davantage des évolutions sociétales plutôt que des rivalités extérieures.


La mondialisation du sport : l’identité étatique hors-jeu


Clubs cotés en bourse, athlètes vendus et exportés, internationalisation des compétitions… Aux antipodes des valeurs olympiques, le business privé du sport est devenu une industrie. Reflet du phénomène de mondialisation, le monde du sport reproduit sa logique marchande, au point de ne plus appartenir à aucun État. Le logo se substitue au drapeau. A titre d’exemple, le football a ses propres frontières et réorganise la scène internationale. Créée en 1904 par sept pays, la FIFA (Fédération Internationale) compte aujourd’hui 211 membres, dont certains ne sont même pas reconnus par l’ONU.


Aussi, bien que le $unisse le temps d’une compétition un pays derrière son équipe, cette dernière n’est pas forcément représentative de la population nationale. Le sport, soumis au professionnalisme, semble lisser la dimension identitaire des joueurs au profit de leur performance. Ce constat a souvent été sujet de propos idéologiquement marqués : en 1998 par exemple, des critiques sont adressées à l’Équipe de France « Black Blanc Beurre », en raison du manque d’unité ethnique de ses joueurs. En 2006, lorsque l’Italie affronte la France en demi-finale, les journaux italiens ne manquent pas d’émettre des propos dont l’ambiguïté est assez gênante, sur la sensation de battre une équipe pas totalement européenne. Dans cette logique de professionnalisation et de performance grandissantes, l’exigence en termes de résultat entraîne aussi la perte de l’identité culturelle d’une équipe nationale. Ainsi, les pratiques du « french flair » du XV de France, autant que celle du « kick and rush » du XV de la Rose s’universalisent à travers le jeu des voisins.


Mais le sport reste tout de même le moyen le plus efficace de réunir la nation, alors que la globalisation gomme les identités nationales.



Bibliographie :

  • Terret, Thierry. Histoire du sport. Presses Universitaires de France, 2010.

  • Boniface, Pascal. Géopolitique du sport. Broché, 2014.

  • Boniface, Pascal, Mathoux, Hervé. La Coupe du Monde dans tous ses Etats. Larousse,2010.

  • Boniface, Pascal. « Le sport : une fonction géopolitique », Revue Défense Nationale, vol. 800, no. 5, 2017, pp. 134-138.

  • Riordan, James, Arnaud, Pierre. Sport et relations internationales (1900-1941). Espaceset Temps du Sport, 1997.

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