top of page
  • Emma Gastineau

La RSE : un effet de mode ?


Plus c’est gros, plus ça passe. C’est peut-être ce que se sont dit les équipes RSE (et communication) de Crédit Mutuel lorsqu’ils ont décidé qu’être écoresponsable pour une banque signifiait réduire l’usage de l’encre. En se focalisant sur des petites (micro) actions sans s’attaquer au cœur du problème, à savoir qu’il participe au financement des énergies fossiles, le Crédit Mutuel illustre à merveille le greenwashing. Et florilège de marques adoptent labels, logo vert et engagement « zéro carbone », sans remettre en question les véritables impacts écologiques. Les actions des entreprises pour l’environnement apparaissent souvent au mieux maladroites... au pire malhonnêtes.

Source : www.creditmutuel.fr


Pour commencer, un petit erratum est nécessaire. Si l’article qui suit traite du lien entre la RSE et l'environnement, il serait trompeur de réduire sa mission à l’écologie. Tel que l'a définie la Commission européenne dans son livre vert en 2001, la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) est « l'intégration volontaire (!) par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes ». En 2011, alors que les « préoccupations » (notez l’euphémisme) sont de plus en plus pressantes, la Commission revoit sa définition : « la contribution des entreprises aux enjeux du développement durable ». Dans ce doux parfum de novlangue, la RSE fait converger à elle toutes les externalités longtemps ignorées des entreprises : le climat, les ressources naturelles, la santé des citoyens, les droits de l’homme, l’égalité des genres… etc. L’expression orwellienne est pertinente, en englobant toutes ces thématiques, la RSE appauvrit la complexité des enjeux et fait apparaître l’activité de l’entreprise comme responsable et acceptable. Mais qu’en est-il réellement de son rôle dans l’entreprise, permet-elle d’aligner un business model à l’urgence écologique ? Les belles promesses de la RSE engagent-elles notre système économique vers la trajectoire +1,5°C visée par les Accords de Paris ?

La RSE, un effet de mode qui date ?

Commençons par un rappel chronologique et historique de la RSE. Car comprendre d’où elle vient, la raison de son émergence, permet d’expliquer sa mise en application actuelle.


La RSE, un phénomène récent pour répondre à l’urgence climatique ? Pas si vite, contrairement à ce que l’on pourrait penser, la RSE existe depuis le XXe siècle et a été notamment théorisée par Howard Bowen dans son ouvrage Social Responsibilities of the Businessman en 1953. Selon Jean-Pascal Gonds, elle est cependant très philosophique et porte sur l’éthique du dirigeant.

Dans les années 70, elle prend une orientation utilitariste et stratégique : la RSE se met au service de la performance économique en anticipant la critique sociale. Elle légitime alors sa place dans l’entreprise et réciproquement légitime la place de l’entreprise dans la société. Pour les consommateurs, acquérir l’image d’une entreprise responsable, soucieuse de ses employés et de ses impacts est primordial. Et il s’agit de montrer aux politiques que l’entreprise à conscience de ses impacts sur la société et y répond d’elle-même… surtout pour éviter la mise en place d’un cadre législatif contraignant !


Le réel essor de la RSE a lieu à la fin des années 90. Cette troisième période de la typologie de J.-P. Gonds met en avant la performance sociale. Il faut mesurer et prouver « l’impact positif ». Le cadre de la RSE s'élargit progressivement, du social elle intègre l'environnement, du social elle devient sociétale.


Alors la RSE, un effet de mode ? Certainement pas, elle existe depuis bien longtemps et semble toujours importante, voire même cruciale, à la survie de l’entreprise. Mais comment se fait-il que cette dernière décennie la RSE ait pris un tel essor alors que les conséquences du réchauffement climatique et de la surconsommation sont connues depuis les années 70 ? Dès les années 50, les entreprises pétrolières sont conscientes du risque des émissions de gaz à effet de serre et du réchauffement climatique. Dès 1972, le rapport Meadows fait état des conséquences à long terme de l’explosion de la consommation et de l’exploitation des ressources naturelles. Dès 1988, James Hansen, scientifique pour la NASA, avertit le Sénat américain que « l’effet de serre a été détecté et qu’il modifie déjà notre climat ». Cette même année est créé le GIEC qui publie son premier rapport en 1990 et atteste de l’origine humaine des émissions de CO2e. Parce qu’il faut attendre les années 90 pour que la prise de conscience sorte du champ scientifique et touche le champ politique. Les premières grandes mobilisations ont lieu avec le sommet de la Terre à Rio en 1992, moment de création les COP et de démocratisation du concept de développement durable (défini dès 1987 lors du rapport Brundtland). En 2001 la Commission Européenne publie son livre vert qui institutionnalise pour la première fois la RSE et lui donne la définition citée en introduction. Et ce n’est qu’alors que les entreprises commencent à prendre conscience du risque de l’incompatibilité de leur business model avec les prises de conscience. Ce n’est donc pas un hasard si la RSE s’est développée au début des années 2000. Il ne s’agit pas d’un éveil soudain, d’une éthique qui a poussé firmes et industries à se mettre à produire de plus en plus frénétiquement des rapports « Développement Durable », à réaliser des audits, à établir des scores ESG et à communiquer sur leurs engagements. Fin des mots d’amour, il faut des preuves d’amour ! Les entreprises ne peuvent plus ignorer la nouvelle importance des indicateurs socio-environnementaux, à la fois pour les consommateurs et la réglementation. La création d’un pôle RSE devient le vernis vert nécessaire à la poursuite de leurs activités sans remise en cause. Aujourd’hui, la place nouvelle de la RSE n’échappe à personne. Pas un site internet ne fait l’impasse sur un onglet « Environnement », « Développement Durable » ou « Planète »…


En ces années 2020, l’enjeu est même désormais financier. A l’heure de la finance verte, des investissements responsables, il est de plus en plus important pour une entreprise de montrer patte blanche et d’être classée ESG pour obtenir des investissements. Pour preuve : seules 8 entreprises du CAC40 ne sont pas classées ESG. Et la loi change rapidement, anticiper la réglementation devient vital : la plupart des actions sont surtout en vue de ne pas être surpris par la loi.


La RSE n’est pas un effet de mode au sens « éphémère » car elle est amenée à durer aussi longtemps que l’urgence écologique existera et que les entreprises considéreront leur responsabilité comme une branche de leur modèle, distinct de celle marketing, financière. Mais au sens « ne changer que les apparences », qu’en est-il ? Enfant du capitalisme et de la légitimation de celui-ci, la RSE peut-elle réellement aider à faire face à l’urgence climatique ?


Après avoir démystifié la RSE, qui de par le contexte est de toute manière vitale aux entreprises, interrogeons-nous sur sa mise en œuvre pour déterminer s’il s’agit simplement d’un discours (donc de greenwashing) ou d’une remise en question profonde (symbole de conscience de l’urgence).



La RSE, surtout un effet de manche


Ayant posé la nécessité pour les entreprises de développer la RSE, se pose la question de la démarche : est-ce une démarche minimale ou un argument pris à bras le corps ?


Si la réalité est complexe, chaque entreprise ayant ses propres outils, objectifs et problématiques, des degrés d’ambition différents, force est de constater que, en l’état actuel des avancées, les actions de la RSE sont largement insuffisantes. Il ne s’agit pas de remettre en question la bonne volonté des directeurs et chargés de projet RSE des entreprises, mais la majorité des DPEF (rapports faisant état des indicateurs, actions et objectifs RSE des entreprises) témoigne de la dérision des mesures au vu des enjeux.


Au premier regard, comment ne pas être charmé par l’engagement des entreprises ? Sur le site d’H&M se trouve un immense onglet « Développement Durable » et un rapport de 74 pages, Burger King affiche aussi sa page « Planète » et même TotalEnergie se proclame entreprise « Engagée RSE » reconnue par l'AFNOR et publie un rapport de 23 pages. Mais une petite analyse provoque la désillusion.


Prenons l’exemple de la restauration rapide. Burger King est fier d’annoncer sa lutte active contre les déchets et le plastique en supprimant les pailles, faisant la chasse au plastique dans les jouets pour enfants et en mettant en place de la vaisselle réemployable… Certes. C’est très bien d’appliquer la loi AGEC qui impose l’usage de vaisselle réutilisable et la loi contre l’usage du plastique à usage unique de 2021. Ils se targuent ensuite de 100% de tri des déchets, or entre la théorie et la pratique il y a un fossé, et un simple coup d'œil dans un magasin permet de voir que tous les déchets sont mélangés pêle-mêle. Enfin l’argumentaire s’achève sur la conception en bois des restaurants, la mise en place de parcs à vélos et d’espaces verts… De belles intentions, mais rien sur le problème fondamental : le modèle alimentaire prôné, fondé sur la viande. Il semble risible que ces enseignes se focalisent sur les emballages, les gobelets et l’origine de leur salade. Là où le rapport du GIEC appelle à repenser en profondeur nos modes de vie, la RSE se contente d’actions de surface.

Source : www.burgerking.fr


Il y a pléthore d'exemples propres à chaque secteur. Si la mode veille à l’origine d’un coton bio, à la réduction de la consommation d’eau et de l’utilisation des produits chimiques, il n’empêche qu’elle continue de prôner un modèle de surconsommation et l’impact socio-écologique est toujours réel (exploitation de travailleurs, émissions dues au transport, consommation de ressources naturelles…). De même, prenons l’exemple de l’aviation. AirFrance replante des arbres pour compenser les émissions de CO2e, modernise sa flotte, favorise l'écopilotage et réduit le gaspillage alimentaire… Or les émissions par vol restent faramineuses. Pire, déculpabiliser le voyageur/consommateur peut même avoir un effet pervers et entraîner un effet rebond, c’est-à-dire accroître le nombre de vols et donc les émissions de CO2. Pour être en cohérence avec la trajectoire +1,5°C définie dans les Accords de Paris, le GIEC affirme la nécessité de réduire les vols et la Convention Citoyenne pour le Climat propose en 2020 d’interdire les vols internes. Oui mais cela signifie réduire les profits. Oui mais cela va à l’encontre de l’activité économique. Donc oui le GIEC mais non les actions de fond.


Pour conclure, en favorisant les petites actions, les grands discours et en se contentant de respecter la loi, la principale mission de la RSE est de « Changer pour ne rien changer ». L’effet de mode au sens « jeu sur les apparences ». A nouveau rappelons que ce n’est pas (que) une question de bonne ou mauvaise intention, de bonne ou mauvaise volonté, simplement au vu de la crise climatique la RSE fait surtout l’effet d’un pansement sur une hémorragie. Tant qu’émissions de gaz à effet de serre et croissance économique ne sont pas découplées, la promesse d’une entreprise « zéro-carbone » ou « sans impact » est un doux rêve.

Donc la RSE relève-t-elle de Mission Impossible ? Terminons par une note d’espoir. La faiblesse actuelle de la RSE s’explique, et est visible, pour 2 raisons. Premièrement, elle est dotée d’un faible budget, je vous invite à jeter un œil aux organigrammes pour constater la faiblesse des effectifs, les équipes étant souvent composées de 2 membres… quand la RSE n’est pas déléguée à une boîte de conseil. Deuxièmement, elle est souvent rattachée au pôle communication ou RH des entreprises. Alors qu’elle devrait infuser dans l’ensemble des décisions, elle a donc souvent un rôle marginal. Sa légitimité est faible face aux directions communication et finance. Un arbitrage des décisions indexées plus équitablement entre facteurs économiques et socio-environnementaux, lui donnerait plus de poids et donc d’impact.


Face à ces difficultés structurelles, l’activité principale de la RSE consiste aujourd’hui principalement à mesurer les impacts, changer les gobelets en plastiques et inviter les employés à éteindre la lumière.


Si actuellement la RSE est plutôt un effet de manche, avec les moyens adéquats, elle a peut-être les moyens d’avoir un effet bœuf.



Bibliographie

Ouvrages et articles :

  • Bowen, Howard. Social responsability of the businessman, 1953

  • Chocron, Véronique et Garric, Audrey. « Les banques françaises, premières financeuses européennes des énergies fossiles en 2020 » , Le Monde, 24 mars 2021

  • Gond, Jean-Pascal, et Jacques Igalens. La responsabilité sociale de l'entreprise. Presses Universitaires de France, 2020

  • Lépineux, François, et al. La RSE - La responsabilité sociale des entreprises. Théories et pratiques, sous la direction de Lépineux François, et al. Dunod, 2016, pp. 31-60.

  • Jbara, Nejla. « Perspective historique de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) » . Revue multidisciplinaire sur l’emploi, le syndicalisme et le travail (REMEST), 2017, vol. 11, nº 1

Liens vers les sites des entreprises citées :

https://www.burgerking.fr/page/la-planete

https://www.creditmutuel.fr/fr/particuliers/comptes/carte-ecoresponsable.html

https://hmgroup.com/wp-content/uploads/2022/03/HM-Group-Sustainability-Disclosure-2021.pdf

SUIVEZ-NOUS
NE MANQUEZ RIEN

Inscrivez-vous à notre liste de diffusion

Ne manquez aucune actualité

ARTICLES RÉCENTS
NOS PARTENAIRES
Capture d’écran 2020-02-20 à 13.48.22.
Afnu_PNG.png
Le 1.jpg
3e7906_e4660d5d5210471dba1cd0648ae8768f~
emlyon forever.png
Logo Nemrod.png
logoteli.jpg
  • Facebook Social Icon
  • Twitter Social Icon
  • Instagram Social Icon
  • YouTube Social  Icon