- Dolenka Redaounia
Rencontres géopolitiques #2 - La France : terre d’immigration maghrébine

Le 28 septembre 2021, Emmanuel Macron a annoncé que le gouvernement français avait décidé de réduire de 50 %, par rapport à 2020, l'octroi des visas à l'égard des ressortissants du Maroc et de l’Algérie et de 30 % à l’égard des ressortissants tunisiens. Ce geste s’explique par le "refus" de ces pays du Maghreb de délivrer les laissez-passer consulaires nécessaires au retour des immigrés refoulés de France. Mais à moins de trois mois des élections présidentielles, ce geste a aussi une dimension politique. Il suffit d’allumer le journal télévisé pour comprendre que l’immigration s’impose comme l’un des sujets majeurs de la campagne présidentielle.

Un passeport marocain et la page d'accueil de demande de visa pour l'espace Schengen, à Rabat le 28 septembre 2021. Source : Fadel Senna/AFP
A l’heure du débat sur l’identité nationale, il faut rappeler que la France est l’une des plus anciennes terres d’immigration en Europe. Nous nous concentrerons ici sur l’immigration maghrébine en France et, plus particulièrement, sur la fluctuation des politiques nationales en fonction des besoins du pays.
Une limitation aux besoins nationaux
C’est durant la Première Guerre mondiale que débute l’immigration maghrébine en France. La démographie peu dynamique de cette dernière l’oblige effectivement à faire appel à une main d’œuvre étrangère pour ses besoins en armement. Dès lors, environ 30 000 travailleurs, essentiellement algériens, sont recrutés par le ministère de l’Armement dans les colonies françaises d’Afrique du Nord. La majorité est envoyée au Creusot, siège des aciéries Schneider, ou encore vers d’autres missions dangereuses comme, par exemple, dans la société nationale des poudres et explosifs.
Cependant, le mouvement migratoire en provenance du Maghreb reste très limité jusqu’à la fin de la Seconde guerre mondiale. Durant l’entre-deux-guerres, les gouvernements successifs restreignent même l’arrivée de travailleurs maghrébins au profit d’ouvriers italiens, espagnols et polonais jugés plus performants.
Après la Deuxième Guerre Mondiale, la France devient une nouvelle terre d’immigration pour les Maghrébins. L’immigration en provenance de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie permet de combler les pertes humaines de la guerre et de faire face aux défis de reconstruction et de modernisation du pays. La Commission du plan Monnet envisageait l’appel de 300 000 travailleurs immigrés dont 90 000 maghrébins avant 1949. Mais très vite, les ministères du Travail et de l’Intérieur s’opposèrent à l’appel de nouveaux travailleurs algériens en constatant le taux de chômage élevé au sein de la population immigrée. Il faut donc noter que durant ces années d’après-guerre et jusque dans les années 1960 environ, alors que le patronat français faisait appel à une main d’œuvre non qualifiée en provenance du Maroc notamment, il n’y a pas eu de politiques d’immigration maghrébine officielles en France.
Les années 70 : le durcissement
A partir de la crise des années 1970, les gouvernements successifs français tentent de contrôler les flux de migration en provenance, notamment, du Maghreb. En 1972, face aux difficultés économiques et à la montée du chômage, le gouvernement Pierre Messmer adopte le circulaire Marcellin-Fontanet. L’objectif du circulaire est clair : limiter l’immigration en France en subordonnant la politique de recrutement des étrangers à la situation de l’emploi. Les postes qu’occupent les immigrés sont, en effet, les premiers touchés par le chômage et la crise des logements rend leurs conditions de vie difficilement supportables. Mais ces mesures sont impopulaires et des protestations permettent de les assouplir, notamment parce qu’elles plongent dans la précarité les immigrés travaillant au noir et ne pouvant pas justifier d’un contrat de travail.
Un an plus tard, en juillet 1974, Valéry Giscard d’Estaing, interrompt les immigrations en les limitant au regroupement familial. Dès lors, le regroupement familial forme la majeure partie de l’immigration légale dans le pays et, aux jeunes travailleurs venus du Maghreb pour travailler dans les usines dans les années 1970, se substituent peu à peu des femmes et des enfants.
En 1977, une politique d’aide au retour, appelée politique du « million Stoléru » est mise en place. Lionel Stoléru, alors secrétaire d’État chargé des travailleurs et des immigrés, instaure une "aide" de 10 000 francs qui est versée aux immigrés acceptant de rentrer définitivement dans leur pays d’origine. Parallèlement, on assiste à une montée du racisme anti-arabe dans la société française qui trouve sa légitimation dans la crise économique.
Cependant, la politique Stoléru se solde par un échec et l’aide au retour est supprimée en 1981 lorsque le nouveau président de la République, François Mitterrand présente une nouvelle politique vis-à-vis des immigrés. Il décide de régulariser près de 130 000 travailleurs clandestins et de faciliter le regroupement familial.

Affiche de 1977 appelant à une manifestation contre les mesures dites “Stoléru”. Source : Melting Post.
Depuis la fin des années 1980, la politique d’immigration adoptée par les gouvernements français successifs fluctue entre régularisation et restriction. Ce bilan succinct montre que l’appel de travailleurs en provenance du Maghreb par les pouvoirs publics n’est pas le facteur essentiel des immigrations. Au contraire, le phénomène a pris de l’ampleur durant certaines périodes où la France n’avait pas lancé de politiques migratoires officielles et s’explique en grande partie par la situation économique du Maghreb. La disparité des salaires entre l'Hexagone et celui-ci a toujours été un facteur d’attractivité de la France. La preuve : après la Première Guerre mondiale, un ouvrier touchait entre 15 et 30 francs par jour en France contre moins de 5 francs en Algérie.
Une obsession en période d'élection
Depuis les années 2000, la montée du Front national qui fait de l’immigration sa cible privilégiée, incite les autres partis politiques à se positionner sur ces thématiques. L’immigration, pas seulement maghrébine, reste au cœur des préoccupations politiques actuels, ce d'autant plus fort en période d'élections présidentielles. Emmanuel Macron a dévoilé une série de mesures visant à mieux maîtriser les flux migratoires, tandis qu’Eric Zemmour et Marine Le Pen envisagent un référendum pour stopper totalement l'immigration.
Mais dans une société où près d’un enfant sur six a au moins un grand parent maghrébin, il convient de dépasser ce débat politique et de noter les multiples apports de l’immigration maghrébine à la société française. Aujourd’hui, le Maghreb est par exemple en tête des pays comptant le plus de « très diplômés » immigrés en France. La longue histoire de l’immigration maghrébine en France a même donné naissance à un phénomène spécifique : l’émergence de troisièmes voire quatrièmes générations d’immigration. Les démographes Catherine Borrel et Patrick Simon estiment en effet que 16 % des enfants nés en 2006-2008 ont au moins un grand-parent maghrébin.
La France connait donc des vagues successives d'immigration maghrébine depuis plusieurs décennies. On peut toutefois se demander si cette mobilité, rapportée à la réalité, ne prend pas une place disproportionnée dans les discours et dans les imaginaires. Aujourd’hui, l’origine des immigrés est extrêmement diverse, et par ailleurs, ceux-ci ne représentent que 10,2% de la population totale, ce qui s'inscrit dans la moyenne basse des pays de l'OCDE.
Bibliographie :
Franceinfo, Immigration : forte réduction du nombre de visas pour les pays du Maghreb
Charles Robert Ageron, L’immigration maghrébine en France
Anne Chemin, "Le nouveau visage de la France, terre d'immigration", Le Monde, 03/12/2009
Alexandre Rousset, "Sécurité et immigration de retour dans la campagne présidentielle", Les Echos,12/01/2022
"Le Maghreb en tête des « très diplômés » immigrés en France", Rédaction du Monde Économie, Le Monde, 19/03/2012