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  • Angela Fifamè Sounhin

L’Inde hindoue : pléonasme ou instrumentalisation idéologique ?



L’Inde c’est un géant démographique et économique, une puissance qui articule puissance dure et douce. L’Inde c’est le Taj Mahal, c’est Bollywood, c’est sa diaspora. Mais l’Inde, c’est aussi le foyer d’une crispation identitaire qui l’handicape dans sa quête du développement humain.


L’hindouisme comme fondement de l’identité indienne


Depuis 2014, Narendra Modi est le premier ministre de la République de l’Inde. Son parcours de vendeur de thé issu d’une basse caste à chef de gouvernement de l’État du Gujarat puis de l’Inde dans sa totalité est aussi fulgurant que l’ascension de son parti. Le Bharatiya Janata Party (BJP) est un parti de droite national-populiste qui a connu une ascension reposant sur une stratégie de mobilisation du vote identitaire hindou. En témoigne notamment la couleur safran du BJP, couleur sacrée de l’hindouisme.


L’hindouisme est la religion déclarée de 8 Indiens sur 10. Ce polythéisme englobe une multitude bigarrée de dieux et déesses, généralement à la peau bleue. Ces dieux sont protéiformes : on pense aux multiples bras et au troisième œil de Shiva ou au corps mi-homme mi-éléphant du célèbre Ganesh mais aussi à l’apparence terrifiante de Kali qui arbore une ceinture de têtes coupées. L’hindouisme s’enracine dans le brahmanisme issu des védas, des recueils d’hymnes rédigés en sanskrit.


Une telle majorité numérique inspire la doctrine de l’hindutva ou hindouité qui assimile le territoire indien au corps d’une déesse, la mère Inde « Bharat Mata ». Aussi la nation n’est-elle pas affaire des choix, elle préexiste aux individus qui doivent dès lors s’assimiler à la culture religieuse majoritaire. D’où une vision ethnique et organique de la nation indienne dont le noyau dur est l’hindouisme.


Cette représentation a été exacerbée par le Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), association des volontaires de la nation, créée en 1925 en réaction à la domination britannique et au sentiment de décadence de la civilisation hindoue. Ce groupuscule paramilitaire comptait Narendra Modi dans ses membres et constitue la pierre angulaire de la création du BJP.


Le paramètre musulman


Or, parmi les 2 Indiens sur 10 qui sont non-hindous, on compte notamment une minorité musulmane qui constitue 14 % de la population. Cela fait de l’Inde le troisième pays musulman au monde en valeur absolue après l’Indonésie et le Pakistan et le premier pays parmi les pays où l’islam n’est pas la religion majoritaire. La présence de l’islam s’inscrit dans le temps long. Elle débuta d’abord avec l’implantation de communautés marchandes du golfe Persique sur le littoral occidental indien et avec les raids militaires arabes dans le Sindh qui constitue l’actuel Pakistan. Des Turcs islamisés établirent ensuite progressivement un sultanat à New Delhi. Enfin, un Empire moghol s’installa durablement et sa viabilité reposa sur la cooptation de l’aristocratie hindoue au sein de l’appareil administratif en vue de gouverner un territoire majoritairement hindou. Les cours mogholes dans leur quête de prestige et de raffinement façonnèrent un art indo-persan dont l’exemple architectural emblématique est le mausolée du Taj Mahal d’Agra.


Une telle coexistence fut loin d’être pacifique comme en témoigna la douloureuse scission du Pakistan et du Bangladesh, ex-Pakistan oriental, au lendemain de la libération de la tutelle coloniale britannique. Cette partition entraîna un exode de 15 millions d’habitants et une centaine de milliers de morts. Elle s’est accompagnée du départ de toute une élite musulmane, laissant derrière elle une communauté de paysans, d’ouvriers et d’artisans. Le 30 janvier 1948, un fanatique hindouiste assassina le Mahatma Gandhi parce qu’il prônait des idées d’égalité et d’unité avec les musulmans d’Inde.


Dans les années 1980 émerge une campagne réclamant la destruction de la mosquée d’Ayodhya en Uttar Pradesh datant du XVIe siècle parce qu’elle aurait été bâtie sur le lieu de naissance de Ram, l’un des dieux les plus populaires de l’hindouisme. Cette campagne prit une ampleur nationale à partir de 1989 avec l’appui du RSS et atteignit son apogée lorsque le président du BJP, sillonna une partie de l’Inde du Nord à bord d’un camion Toyota customisé en char du dieu Ram pour mobiliser les masses hindoues en faveur de la destruction de la mosquée : c’est le Ramrath yatra (« procession du char de Ram ») de septembre à novembre 1990. Faute de réaction ferme de la part du gouvernement central, alors dirigé par le Congrès, des militants extrémistes hindous finirent par prendre d’assaut la mosquée et la détruisirent en décembre 1992, ce qui aboutit à des émeutes. En 2002, lorsqu’un train ramena des extrémistes hindous d’Ayodhya où ils militaient pour la construction du temple de Ram, le train prit feu en gare de Godhra, au Gujarat. Accusés sans autre forme de procès, les musulmans furent la cible de pogroms que ni les forces de police ni le Chief Minister Narendra Modi ne tentèrent d’arrêter. Cette escalade de violence a culminé avec le conflit territorial et religieux au Cachemire et fait les gros titres de la presse.


La population musulmane est aujourd’hui sujette à la marginalisation et relégation socio-économique. Les musulmans sont plus pauvres et moins éduqués que leurs concitoyens hindous de basses castes, voire que les dalits pour lesquels la mobilité sociale fonctionne mieux. Leur situation professionnelle est plus précaire que celle des hindous ou des chrétiens. Les mieux lotis sont les Ashrafs, les « plus nobles », qui rattachent leur ascendance à des migrations de la péninsule Arabique et d’Asie centrale ou à des conversions au sein de castes supérieures hindoues. En revanche, les Ajlaf (convertis de basses castes) et, plus encore, les Arzals (convertis intouchables) ont souvent un niveau de pauvreté supérieur à celui des castes hindoues comparables.

Reuters/Danish Siddiqui - Traitement Le Parisien


Par-delà l’hindouisme et l’islam : la mosaïque religieuse indienne


L’Inde compte en effet d’autres minorités : les chrétiens (2,3 %), les sikhs (1,7 %), les bouddhistes (0,7 %) et les jaïns (0,4 %). Le théoricien de l’hindouïté, Savarkar, conceptualisa dans son ouvrage Hindutva. Who is a Hindu? l’Akhand Bharat, « l’Inde indivisible ». Les bouddhistes, les jaïns et les sikhs sont intégrés à ce patriotisme mais les musulmans et les chrétiens en sont exclus car leurs loyautés seraient extraterritoriales. Les chrétiens, bien que leur situation soit moins marginale que celle des musulmans, ne sont pas en reste de la relégation socio-économique. L’essentiel des chrétiens intouchables, tribaux et basses castes sont des convertis dans l’espoir d’échapper à l’exclusion sociale de la société hindoue traditionnelle. Quant au sikhisme, il est en dépit de ses emprunts à l’islam considéré comme indien et dérivé de la matrice hindoue car né en terre indienne. Le bouddhisme et le jaïnisme dérivés de l’hindouisme se sont, eux, développés comme des mouvements contestataires de l’ordre social et religieux alors imposé par les brahmanes.


L’Inde est le foyer d’origine du bouddhisme qui est pourtant la religion de moins de 1 % de la population du pays. Dans l’hindouisme, Bouddha est considéré comme un avatar de Vishnou. Siddhartha Gautama serait né dans l’équivalent actuel d’un village népalais situé à deux pas de la frontière indienne et mort dans l’Uttar Pradesh actuel. Selon la tradition, sa naissance princière, qui l’avait conduit à une existence cloisonnée et hédoniste, ne l’avait pas préparé, à une confrontation à l’extérieur des murs de son palais avec la déchéance physique et sa propre mortalité. Cette réalisation devait l’amener à explorer les moyens de surmonter la souffrance inexorablement liée à la condition humaine, en prise à l’attachement et à l’ignorance, et perpétuée par la transmigration qui ne s’achève qu’avec l’atteinte du nirvana, un concept figurant aussi dans l’hindouisme et le jaïnisme et permettant d’échapper au cycle des renaissances. Devenu ascète errant à travers le nord de l’Inde, en quête de réponses sur la libération des contingences existentielles, Gautama atteignit l’éveil.


Le bouddhisme s’effaça en Inde au profit de l’hindouisme car privé du soutien des dynasties régnantes. Le Bouddha historique n’y est pas un être humain ordinaire, mais la manifestation d’un Bouddha transcendant, depuis toujours éveillé, apparu aux humains afin de les libérer. La grande majorité des bouddhistes recensés sont des hors-castes, s’étant convertis pour échapper à l’oppression du système des castes. Finalement les jaïns constituent 0,4 % de la population et leur doctrine partage des points communs avec les conceptions philosophiques et les rites de l’hindouisme. La non-violence est notamment une valeur cardinale.


Cette hétérogénéité religieuse dans une même entité politique nécessite une unité d’autant plus qu’une frange désargentée de la population est vulnérable. L’« India Burning » se heurte aux inégalités de genre, aux stigmates du système de castes et aux impacts du changements climatique. In fine, le cas indien tend un miroir déformant à bon nombre de nations. Les divisions identitaires qui ne sont initialement que des constructions de l’esprit ne doivent pas éclipser les problématiques sociales bien tangibles. L’union dans la diversité apparaît non pas comme un vain mot et une mièvrerie bien-pensante, mais comme un impératif pragmatique.


Sources

  • L’Inde d’aujourd’hui en 100 questions, Gilles Boquérat

  • Atlas de l’Inde, Isabelle Saint-Mézard

  • "Inde : le tournant Modi" - Le Dessous des cartes, ARTE, 2021


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