top of page
  • Pierre-Louis Bordereau

Intelligence artificielle et géopolitique : où en sommes-nous ?


Crédit : Gerd Altmann / Pixabay


L’intelligence Artificielle (IA) est aujourd’hui dans toutes les bouches, tous les esprits. Chacun en a déjà entendu parler, on l’évoque généralement comme un élément de rupture technologique qui permet à quiconque s’en emparerait une véritable avance sur ses concurrents. « Nouvelle électricité du XXIe siècle », « Prochaine Révolution Industrielle », les termes avantageux ne manquent pas pour la décrire. Mais qu’est-ce exactement ? Le mathématicien Cédric Villani évoque une technique permettant à un ordinateur de réaliser des tâches subtiles, dépendantes de nombreux paramètres, capable de prédictions « et dont le programme ne connaît pas la réponse a priori ».


Soit, l’IA se caractérise par une capacité d’analyse inégalable aujourd’hui. Mais au-delà ?

Une technologie prometteuse


L’IA dite spécialisée (dans une tâche telle que l’analyse de contrats bancaires, logiciels de reconnaissance faciale, …) repose avant tout sur de l’analyse de données. Afin d’être performante, il ne suffit plus de concevoir une IA de qualité, il faut la « nourrir » de données, encore et toujours. Fort heureusement pour nous, la quantité de données disponible double tous les deux ans. Mais encore faut-il que ces données soient de bonne qualité, précises et surtout disponibles. C’est l’obtention de ces données qui reste encore aujourd’hui le premier obstacle à son déploiement.


Mais alors pourquoi chercher à l’utiliser ? Car elle confère un avantage concurrentiel à ses concurrents : elle diminue les risques de défauts de paiement pour des banques, améliore l’expérience des utilisateurs sur le net en offrant une expérience personnalisée, elle conduira bientôt nos voitures et se chargera sûrement de nos courses à notre place, tout en nous rendant la vie plus facile. Pour les entreprises, elle constitue une rupture gigantesque en améliorant les performances de l’entreprise à tous les niveaux ainsi que sa productivité tout en permettant des économies de postes.


L’utilisation de l'IA se répercute également dans quatre domaines : elle amplifie la course aux nouveaux talents, accélère la robotisation du monde, automatise le monde en bouleversant le salariat et crée de nouveaux besoins, notamment techniques (composants, puces, semi-conducteurs).


Sa mise en place requiert néanmoins des investissements et des efforts pour attirer les nouveaux talents, continuer à croître, convertir les populations à ces nouveaux modes de vie et donc également investir pour connecter ces populations. Et forcément, il n’y en aura pas pour tout le monde.


Nombre de diplômés dans les domaines STEM (Science, Technologie, Ingénierie, Mathématique), Source : Innovation and National Security. Keeping our Edge, Independent Task Force Report, n°77. Council on Foreign Relations, 2019, p.50



Une lutte sino-américaine pour la suprématie


S’il y a bien un pays qui a pris au sérieux le potentiel de l’IA, c’est la Chine. Depuis "son moment Spoutnik" en 2016 avec la victoire d’Alpha GO sur le meilleur joueur de go au monde, les autorités se sont saisies de la question avec sérieux : « Notre pays est passé à côté de la révolution industrielle et a été doublé par l’Occident. La Chine ne commettra pas la même erreur avec le big data et l’IA. La numérisation a offert au peuple chinois la chance du millénaire » a déclaré le Guangming Daily, journal officiel du Parti Communiste destiné aux intellectuels.


L’avantage chinois réside dans sa population et son écosystème d’entreprises portées sur le numérique. L’Etat, les autorités locales et les investisseurs privés regardent tous dans cette direction et les grandes entreprises chinoises comme Alibaba, Tencent ou Wechat (un milliard d’utilisateurs) permettent une abondance de données, dans un pays où la numérisation a « sauté » l’étape de l’ordinateur pour directement se faire et se populariser via les téléphones. Le porte-parole de cette numérisation chinoise est Kai-Fu Lee qui va jusqu’à imaginer la fin de l’âge d’or de la Silicon Valley, supplantée par une génération d’entrepreneurs chinois, travaillant sans repos et longtemps méprisés par la technopole américaine.


Preuve de cet engouement comparable à nul autre : la Chine a produit un tiers des revues et articles scientifiques concernant l’IA en 2021 et a représenté près de 20% des financements privés mondiaux dans ce domaine.


La Chine a aussi l’avantage de son système politique : l’IA est perçue comme nécessaire économiquement, mais aussi politiquement. Elle sera selon le PCC, l’outil qui permettra la stabilité du pays, obsession civilisationnelle depuis l’Empire Ming du XIV-XVe siècle. La Chine compte déjà plus de 170 millions de caméras de surveillance dans le pays (contre à peine 60 millions aux Etats-Unis). Avec un marché ouvert par la décision politique, les entreprises chinoises se développent rapidement, au point de pouvoir s’exporter, et de faire venir avec elles leur modèle politique de la surveillance. Avec la 5G, le sens des transferts technologiques s’inverse : ce ne sont plus les entreprises occidentales qui apportent leur savoir-faire à la Chine, mais celle-ci qui leur procure les moyens de rester au niveau industriel.



Les Etats-Unis n’ont pour autant pas dit leur dernier mot : la lutte face à l’influence grandissante de la Chine est encore l’un des rares sujets sur lequel Démocrates comme Républicains réussissent à se mettre d’accord. Le pays peut compter sur les géants numériques GAFAM, pas encore rattrapés par les BATX chinois, qui investissent massivement dans la recherche et développement ; Alphabet, maison-mère de Google, a investie à elle seule près de 32 milliards de dollars en 2021, chiffre en constante hausse. Kai-Fu Lee lui-même, pourtant d’accord avec la vision d’une Chine supplantant les Etats-Unis dans le domaine, leur reconnaît un formidable potentiel d’investissement et de flexibilité. La force américaine se concentre entre autres choses dans un des marchés les plus dynamiques au monde, un monde politique favorable aux innovations technologiques et surtout dans une capacité d’investissement du secteur privé incomparable dans le monde.


Ce même monde est d’ailleurs un grand utilisateur de l’IA pour récolter les données bancaires et des contrats afin de pouvoir être le plus performant possible. Ainsi, les Etats-Unis suivent le même chemin que la Chine, avec une incorporation toujours plus abondante de l’IA dans certains domaines.


Le marché de l’IA représentera près de 90 milliards de dollars en 2025 aux Etats-Unis, qui comptent également sur leur formidable force d’attraction : près du quart de leurs ingénieurs étant de nationalité étrangère. Ce formidable vivier de compétences est l’un des atouts sur lesquels les Etats-Unis comptent jouer, ainsi que la possession de la production de semi-conducteurs. Car si la Chine est aujourd’hui la plus dynamique en termes d’IA, elle reste vulnérable : 75% de la production mondiale de puces dédiées à l’IA sont produites par Nvidia, entreprise américaine.



Investissement dans la Recherche et Développement, Source: Innovation and National Security. Keeping our Edge, Independent Task Force Report, n°77. Council on Foreign Relations, 2019, p.49


L’Europe, grande perdante


Un consensus qui prévaut à propos de l’Europe est sa défaite dans le domaine du numérique, et dans la production ou du moins l’utilisation des données. Certains considèrent que son choix du RGPD, de protéger le consommateur avant tout est un frein à la récolte des données, nouvelle électricité sans laquelle l’IA ne peut se développer. Et cela n’est pas foncièrement faux. Mais l’Europe veut aujourd’hui gagner la bataille du modèle à suivre à propos de l’IA. Pourtant, elle ne consent pas à faire les efforts nécessaires. L’Angleterre, l’Allemagne et la France possèdent en effet de bons laboratoires dans le domaine des IA spécialisées, mais les puissances européennes n’arrivent toujours pas à transformer l’essai et à obtenir un Google ou Alibaba européen. Certains déplorent un manque de capital-risque européen, d’autres un manque de volonté politique, voire un rejet de la part de la « vieille Europe ». Toujours est-il que l’Europe est aujourd’hui trop inexistante dans la nouvelle course à la révolution industrielle et qu’elle risque bien d’en payer le prix dans les décennies à venir.


Au-delà des défis que représente la course à l’Intelligence Artificielle, son utilisation en créera de nouveaux : chômage de masse, populations sans emplois qui feront face à des entreprises du numériques aux revenus toujours plus grands, hausse des inégalités. Ce sera peut-être alors par une régulation ou du moins une redistribution obligatoire de ces revenus négociée pour l’accès à son marché intérieur que l’Union Européenne pourra tirer son épingle du jeu….


Bibliographie :

  • Kai-Fu Lee, IA. La plus grande mutation de l’histoire, 2018 Kai-Fu Lee, cerveau de l’intelligence artificielle en Chine, Frédéric Schaeffer, 22/05/2019

  • Thomas Gomart, Guerres Invisibles, 2021

  • Kai Strimatter, Dictature 2.0. Quand la Chine surveille son peuple et bientôt le monde, 2020

  • Innovation and National Security. Keeping our Edge, Independent Task Force Report, n°77. Council on Foreign Relations, 2019

  • McKinsey&Company, The Next Frontier for AI in China could add $600 billion to its economy, Rapport du 07/06/2022

  • American Immigration Council, Foreign-born STEM Workers in the United States,s 14/06/2022



SUIVEZ-NOUS
NE MANQUEZ RIEN

Inscrivez-vous à notre liste de diffusion

Ne manquez aucune actualité

PUBLICATIONS  RÉCENTES
NOS PARTENAIRES
Capture d’écran 2020-02-20 à 13.48.22.
Afnu_PNG.png
Le 1.jpg
3e7906_e4660d5d5210471dba1cd0648ae8768f~
emlyon forever.png
Logo Nemrod.png
logoteli.jpg
  • Facebook
  • Instagram
  • Twitter
  • Youtube
bottom of page