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  • Anne Rimbaud

La Polynésie, un havre de paix pour certains seulement


La société polynésienne est une société multiculturelle fascinante dont l’histoire mêle à la fois culture traditionnelle, colonisation, désir d’indépendance, tensions avec la France puis apaisement... Quant aux Polynésiens, ils sont connus pour leur sens de l’hospitalité et leur grande générosité.

Toutefois, l’environnement idyllique et la chaleur de la population ne doivent pas faire oublier le fait que, avec 17% de victimes de violence au sein des ménages au cours des 12 derniers mois, la Polynésie française fait face à un drame devant lequel le gouvernement ne peut plus fermer les yeux. Les chiffres sur les violences intra-familiales sont particulièrement alarmants, d’autant qu’il s’agit de violences cumulatives : physiques, sexuelles, verbales et psychologiques.

La marche organisée par le collectif « Stop à la violence en Polynésie » à Papeete en septembre dernier constitue une n-ième tentative des femmes pour faire entendre leurs voix.

Source : tntv

Quelles explications à des taux de violence si élevés ?

Aucun texte ou aucun récit ne vient étayer l’idée d’une civilisation pré-coloniale violente envers les membres d’un même groupe – nous ne parlons donc pas ici du cas spécifique des conflits entre tribus. Ainsi, l’une des explications les plus souvent relayées est l’impact néfaste de la colonisation sur la position du mâle dominant au sein de la cellule familiale. La Polynésie a de nouveau subi de vastes transformations sans un temps d’adaptation suffisant lors de son entrée dans la mondialisation. Les femmes ont rapidement trouvé leur place dans le secteur des services, contrairement aux hommes, davantage présents dans les activités traditionnelles des archipels (pêche, culture de la vanille, perliculture, artisanat etc). Ce « déclassement » conduit certains hommes à un repli identitaire, fondé sur les aspects virils de la culture, ce qui accroît alors le niveau de violence conjugale.

Le manque d’informations sur les dispositifs en place d’aides aux victimes est un obstacle supplémentaire à la dénonciation de ces crimes. L’accès aux informations en ligne pèche particulièrement. En effet, beaucoup d’habitants des archipels reculés n’ont aucun accès à Internet ou un accès très limité. Le débit Internet de Tahiti, l’île principale, est également faible – le réseau polynésien est classé 178ème mondial, derrière le Mali et le Nigéria – et le coût souvent prohibitif des télécommunications limite l’accès à l’information.

Par ailleurs, la Justice, mal connue et perçue comme une machine administrative, est perçue comme une instance venant s’immiscer dans des histoires qui ne la regardent pas. En clair, les affaires de famille se règlent en famille.

Au-delà du manque d’information, les conditions économiques et le caractère insulaire viennent aggraver la situation des victimes.

Dans les familles où l’homme de la maison est la seule source de revenus pour la famille, le faire condamner revient à condamner sa famille à la misère, et ce d’autant plus que, contrairement au régime social français, il n’existe pas d’allocations chômage ou retraite. Faute d’indépendance financière, une proportion non négligeable de victimes est forcée de cohabiter avec son agresseur.

L’une des caractéristiques de la Polynésie est sa dimension insulaire. En raison de la faible démographie du Territoire (270 000 habitants en 2013), la société vit en vase clos et les rumeurs sont fréquentes. Dans bien des cas, une femme ne voudra pas jeter l’opprobre sur sa famille. Quand bien même elle aurait le courage de dénoncer les violences, là où l’agresseur devrait être accusé, c’est en réalité la victime qui se retrouve bien souvent la proie des commérages, « elle l’avait cherché ». Enfin, l’ahama, ou la honte, peuvent conduire à des représailles contre la victime pour avoir déshonoré sa famille. Près de deux tiers des hommes condamnés par la justice le sont pour des crimes sexuels. Et pourtant, le drame continue.

La réaction générale vis-à-vis de la violence, sous toutes ses formes, est de trouver ces situations tristes, horribles, malsaines ; mais de manière dramatique, leur nombre conduit inéluctablement à s’habituer au phénomène. Toute le monde sait qu’elle existe, l’observe de plus ou moins près, la dénonce quand on en parle, mais elle est, faute de moyens d’action puissants et de sensibilisation des jeunes filles, en voie de banalisation.

L’une des conséquences néfastes de ce processus de banalisation est l’intériorisation de la violence chez les enfants. En considérant la société polynésienne comme une société holiste selon la définition donnée par Durkheim, à force de constater la violence ou de la subir lui-même, l’enfant n’a-t-il pas tendance à reproduire les mêmes schémas à l’âge adulte ? C’est le début d’un cercle vicieux auquel la Polynésie devra faire face dans les années à venir.

Quels moyens pour lutter ?

Les chiffres de la Polynésie dépassent largement les statistiques métropolitaines (2,3%), mais s’inscrivent dans une tendance propre aux Dom-Tom. En outre, le constat quasi-généralisé d’un taux de violences conjugales plus élevé dans les territoires d’outre-mer a poussé le gouvernement d’Edouard Philippe à lancer un « Grenelle » dédié aux violences conjugales dans les territoires ultramarins en octobre 2019.

Source : CESE

Les mesures préconisées comprennent notamment : une augmentation des places d’hébergement, une caution locative gratuite pour les victimes, une plateforme de géolocalisation pour identifier les hébergements les plus proches, et la suspension de l’autorité parentale pour le parent violent.

La lutte contre ce fléau exige la coopération étroite entre Annick Girardin*, Marlène Schiappa** et le gouvernement local d’Edouard Fritch***. Mais, outre le changement de mentalités qui passera par une sensibilisation aux enjeux beaucoup plus tôt à l’école qui est essentielle, une mesure de long terme, le soutien immédiat aux femmes victimes de violences domestiques est essentiel.

Or, les dispositifs cités précédemment sont coûteux et l’une des craintes les plus répandues est de voir cette préoccupation passer au second plan. Face à l’épidémie de coronavirus et à la chute drastique du tourisme, première ressource économique du pays, une concentration de la trésorerie dans des aides aux entreprises et aux Polynésiens en difficulté est probable.

L’un des défis majeurs de la Polynésie sera de réussir à arbitrer justement entre la crise économique de grande ampleur qui s’annonce, et les violences conjugales, qui touchent les Polynésiennes depuis bien trop longtemps déjà.

*Ministre des Outremers

**Secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations

*** Président de la Polynésie française

Sources :

https://journals.openedition.org/eps/219?file=1

https://www.tntv.pf/tntvnews/polynesie/societe/le-drame-des-violences-conjugales-en-polynesie-francaise/

https://la1ere.francetvinfo.fr/violences-femmes-plus-nombreuses-outre-mer-que-hexagone-543333.html

https://la1ere.francetvinfo.fr/violences-conjugales-que-propose-gouvernement-issue-du-grenelle-774909.html

http://www.ispf.pf/themes/Geographie/Population.aspx

https://www.lepoint.fr/politique/violences-conjugales-schiappa-annonce-un-grenelle-specifique-pour-les-outre-mer-10-09-2019-2334911_20.php


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