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  • Arwin Chanemougame

Discriminations à l’égard des musulmans : l’Inde au bord du gouffre ?


Fin février dernier, plus d’une trentaine de personnes habitant les quartiers nord de la ville de New Delhi sont morts lors de trois jours de terreur ; trois jours de heurts extrêmes qui ont marqué l’Inde, opposant hindous et musulmans principalement à Chandh Bagh. Les routes étaient dévastées, les magasins mis à sac, les voitures encore fumantes lorsque les habitants de ces quartiers, regroupant près de 70% de musulmans et 30% d’hindous, se réveillaient de cet épisode terrible.

Une scission sans précédent

Jamais un tel épisode d’une telle ampleur avait eu lieu. Ce contexte de tension a pris une ampleur d’autant plus importante depuis l’annonce du gouvernement indien de mettre en place d’autres mesures discriminantes à l’encontre des musulmans en Inde (cf infra). C’est pourquoi, Kapil Mishra, leader du Bharatiya Janata Party (BJP), formation nationaliste du premier ministre indien Narendra Modi, a incité ses partisans politiques et des membres du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS, Association des volontaires nationaux), une organisation ultranationaliste, à s’opposer à une protestation pacifique menée contre la loi controversée sur la citoyennetécab . Ces personnes ont donc agi avec violence du 24 au 27 février et New Delhi fut le théâtre de scènes dramatiques avec des corans brûlés, des slogans nationalistes scandés : «Jai Shri Ram », des musulmans abattus, sans aucune intervention policière.

Des échoppes de New Delhi dévastées (Le Monde)

Les tensions communautaires ne cessent de s’exacerber depuis plusieurs années, notamment depuis l’arrivée du premier ministre indien Narendra Modi à la tête du gouvernement en 2014. Au sein même de la culture indienne, les tensions se font ressentir. Le Taj Mahal, joyau de l’Inde, fierté nationale, haut lieu touristique, est remis en question car cette merveille fut édifiée par un empereur moghol, attirant alors la haine des nationalistes hindous, qui y voient avant tout le symbole de la domination musulmane. Là où les plus illustres écrivains indiens y voyaient un lieu sublime, source continue d’inspiration, – comme pour le poète indien Rabindranath Tagore, prix Nobel de littérature en 1913 : qui écrivait que le Taj Mahal "s'élevait au bord du fleuve telle une larme solitaire posée sur la joue du temps" – pour des nationalistes hindous, des élus du BJP, toute la période de domination musulmane de l'Inde est assimilée à une période de servitude. Un député régional du BJP parle alors d’« une tache » dans la culture indienne construite « par des traîtres » et accuse l'empereur moghol d'avoir persécuté des milliers d'hindous. Figure du Bharatiya Janata Party, le ministre de l'Uttar Pradesh, Yogi Adityanath, fondamentaliste hindou avait déclaré que le Taj Mahal ne représentait pas la culture indienne. Fin 2017, le ministère régional du tourisme alla même jusqu'à retirer d'une de ses brochures le lieu le plus visité de l’Inde. Néanmoins, pour des raisons économiques évidentes, la polémique tourna vite court, mais la remise en cause de la légitimité de l’emblème de l’Inde prouve bien à quel point les tensions sont importantes au sein du sous-continent indien entre les nationalistes hindous et les musulmans, qui subissent ce revirement de la situation politique indienne.

Un tournant politique en Inde

Les décisions politiques prises par le gouvernement Modi ne cessent de créer une scission entre les musulmans et les autres habitants de l’Inde. La marginalisation des musulmans au sein de ce pays, qui représentent tout de même près de 15% de sa population, ne fait que cristalliser les tensions. Depuis 2014, la banalisation d’un discours reposant sur la suprématie hindoue se banalise de plus en plus, car les ultranationalistes, menés par le BJP, voient un danger pour la culture indienne. C’est pourquoi, la volonté du gouvernement indien est véritablement de marginaliser les populations musulmanes afin de réduire leur influence en Inde. Le Citizenship Amendment Bill (CAB) est un texte qui vise à amender la loi sur la nationalité qui marque profondément une rupture avec le principe de sécularisme qui est inscrit dans la Constitution. En effet, cet amendement régularise les réfugiés hindous, sikhs, chrétiens, jains, bouddhistes, parsis, arrivés avant 2014, qui ont fui « pour des raisons religieuses » l’Afghanistan, le Pakistan ou le Bangladesh, s’ils résident en Inde depuis au moins cinq ans, et seuls les résidents musulmans sont exclus du dispositif. Ils resteront alors des sans-papiers, c’est-à-dire sans droits, faisant alors d’eux des « citoyens de seconde zone ». Le Parlement indien a définitivement adopté la réforme de la loi. La chambre haute, la Rajya Sabha, qui avait rejeté le texte en 2016, l’a finalement approuvé en décembre 2019, tout comme la chambre basse, la Lok Sabha. Cette loi a donc deux objectifs principaux, assurer la primauté des hindous tout en écartant un peu plus les musulmans, mais également d’établir les premières pierres à l’édifice de l’hindutva, l’hindouité, – une nation pour les hindous. Or comme le critique profondément le parti du Congrès, le parti de l’indépendance de l’Inde, cette politique va véritablement à l’encontre de « l’idée de l’Inde ».

Dès son origine, la plus grande démocratie du monde se définissait comme une « secular Republic » qui porte alors un « respect égal à toute les religions », et le terme de « secularism » fait finalement son apparition dans la Constitution en 1976. Le multiculturalisme et la tolérance religieuse sont inscrits dans la tradition indienne, commençant dès le IIIe siècle avant J-C, avec le règne de l’empereur bouddhiste Ashoka, ou encore bien plus tard avec des empereurs Moghols comme Akbar, l’un des plus grand sultan-empereur que l'Inde n'ait jamais connu au moins parmi les dynasties musulmanes, qui affirmait avec fierté le fait qu'il soit indien. Cette diversité omniprésente en Inde, et cette tradition profondément ancrée permettaient alors une cohabitation sans heurts. Cependant, les esprits éclairés de personnes comme Nehru ou encore Gandhi ont permis de traduire cette tradition en termes politiques et institutionnels, à travers un sécularisme spécifique à l’Inde. Après de longs combats contre des traditionalistes hindous refusant l’égalité entre la majorité et les minorités confessionnelles, le projet d’une Inde moderne et multiconfessionnelle l’a emporté.

Les pères de l’indépendance de l’Inde : Jawaharlal Nehru et le Mahatma Gandhi

Dès lors que le terme d’hindutva était prononcé par Narendra Modi, tant de siècles emplis de traditions, d’héritages étaient alors bafoués en voulant assurer une primauté aux hindous. Ce courant émergea à la fin du XIXe siècle, en réaction à la colonisation britannique. Ce nationalisme hindou se définit par un retour aux valeurs anciennes de l’hindouisme de l’époque védique. Nombre de spécialistes parlent de syncrétisme stratégique afin de pouvoir résister contre le poids de la colonisation. Ce concept politique d’hindutva a été théorisé par Vinayak Damodar Savarkar, dans son ouvrage et livre manifeste : Hindutva : Who is a Hindu, paru en 1923. Dans ce livre, Savarkar s’appuie sur trois critères pour pouvoir légitimer la nationalité indienne, qui sont : le territoire, la race et la culture. Or c’est bien sur ce dernier critère qu’il discrimine les personnes musulmanes et chrétienne. En effet, seuls les hindous puisent leurs références culturelles à travers la mythologie, les rites, et les sacrements qui proviennent de l’imaginaire culturel local. C’est pourquoi, l’idée d’un « nationalisme ethnique » fait son apparition, et s’oppose frontalement à ce « nationalisme universaliste » qui était prôné par Nehru et Gandhi.

Une opposition naissante ?

Or le gouvernement n’agit pas, et ne se prononce pas fermement contre ces attaques, ces mouvements de violences dont sont victimes les musulmans. Ni Narendra Modi, ni Amit Shah, ministre de l’intérieur ont tenté d’apaiser les craintes des musulmans stigmatisés par ces réformes. Ils n’ont cessé d’attiser ce climat de défiance, en annonçant par exemple la traque des immigrés illégaux. Seule la stratégie de la provocation a été prônée afin de pouvoir au mieux diviser le pays. Dès 2002, Narendra Modi, alors gouverneur du Gujarat, avait laissé faire des manifestations antimusulmans, causant alors la mort de 800 à 2000 personnes, représentant l'une des violences intercommunautaires les plus meurtrières de l'Inde depuis son indépendance et la partition du pays. La majorité des personnes qui ont été assassinées étaient de confession musulmane. Le gouvernement, l’administration et la police d’État ont été mis mises en cause pour ne pas avoir pris les mesures suffisantes pour protéger les civils, et est soupçonné d’avoir aidé les émeutiers tout en empêchant le bon déroulement de l’enquête judiciaire. La responsabilité du gouvernement central de l'État du Gujarat, qui était dirigé par Narendra Modi, est directement mise en cause par la Commission nationale des droits de l'homme. Ainsi, d’après de nombreux politologues, dont Christophe Jaffrelot, spécialiste du sous-continent indien, Modi a fait basculer l’Inde dans la démocratie ethnique. Cibles traditionnelles des nationalistes hindous, les membres des minorités religieuses ont été relayées au rang de citoyens de seconde zone.

Manifestation étudiante pacifique (Le Point)

L’opposition à Narendra Modi et à son projet d’hindutva se fait de plus en plus importante. En effet, après les trois jours de terreur qui ont marqué New Delhi, Sonia Gandhi, la présidente intérimaire du parti du Congrès a appelé le 26 février à la démission du ministre de l’intérieur, qui, selon elle, était le principal responsable de la situation, et accuse le BJP de créer une « atmosphère de peur et de haine ». Par ailleurs, elle pointe également du doigt le chef du gouvernement de Delhi, Arvind Keiriwal, qui, toujours selon elle, n’a pas pris les mesure adéquates pour assurer la paix. En effet, les forces de l’ordre étaient totalement absentes jusqu’au mercredi 26 février. Encore la veille, il a fallu attendre une intervention nocturne de la justice pour que la police accepte d’assurer le transfert de victimes grièvement blessées vers un hôpital mieux équipé. De nombreux étudiants avaient déjà commencé à manifester par le biais de marche pacifique dès l’annonce de l’application de cette loi très controversée, à l’université musulmane de Jamia Millia par exemple, qui a été prise d’assaut par les forces de police. En effet, nombres de manifestations sont étouffées par des interventions policières et par des actions gouvernementales. Dans les Etats du Tripura et d’Assam au nord-est du pays, là où les contestations étaient les plus vives, le gouvernement a coupé le réseau internet dans dix districts d’Assam et a imposé un couvre-feu à Guwahati, là où les affrontements étaient particulièrement violents. Les journalistes étrangers ont été interdits d’accès et l’armée appelée en renfort.

Lorsque les journalistes ont interrogé Donald Trump, sur la situation du pays lors de sa visite en Inde le 24 et 25 février dernier, il a simplement répondu cela : « J’en ai entendu parler, mais nous n’en avons pas discuté, cela relève de l’Inde ». Certes la montée du nationalisme hindou et le rejet du pluralisme religieux est de prime abord une question indienne. Cependant, le président des États-Unis d’Amérique ne peut fermer les yeux sur une politique ouvertement discriminatoire, et qui use de moyens violents pour réprimer les oppositions. La position de l’Inde en tant que partenaire économique prometteur pour les États Unis d’Amérique ne doit point occulter les violences qui sont acceptées par le BJP. L’Inde, qui était pendant longtemps citée comme la plus grande démocratie du monde, louée pour sa diversité, et son multiculturalisme, prend un tournant malheureux. La communauté internationale se doit d’agir avec force pour critiquer ouvertement ces mesures prises qui bafouent l’héritage ancien de l’Inde, et les promesses des pères de l’indépendance, le Mahatma Gandhi, et Jawaharlal Nehru. Les politiques discriminantes, et les politiques nationalistes ont déjà trop fait de ravages dans l’histoire de l’humanité pour que cela puisse se répéter.

Sources :

https://www.theguardian.com/world/2020/mar/01/india-delhi-after-hindu-mob-riot-religious-hatred-nationalists

https://www.lefigaro.fr/international/new-delhi-le-dechainement-de-violences-contre-les-musulmans-en-photos-20200301

https://www.franceculture.fr/architecture/le-taj-mahal-symbole-de-lamour-qui-suscite-bien-des-haines

https://www.lemonde.fr/international/article/2019/12/06/en-inde-narendra-modi-aggrave-la-marginalisation-des-musulmans_6021892_3210.html

https://www.lemonde.fr/international/article/2019/12/11/l-inde-adopte-une-loi-tres-controversee-contre-les-musulmans_6022532_3210.html

http://www.rfi.fr/fr/general/20120412-asie-sud-inde-Christophe-Jaffrelot-secularisme-formidable-facteur-coh%C3%A9sion-sociale

Christophe Jaffrelot, L’INDE DE MODI. National-populisme et démocratie ethnique

https://www.lemonde.fr/international/article/2020/02/27/a-new-delhi-trois-jours-de-terreur-et-de-devastation_6030998_3210.html

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/02/27/l-explosive-mise-au-ban-des-musulmans-d-inde_6031021_3232.html

#Inde #Musulmans #Hindous #Modi

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