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  • Thomas Tropès, Coralie Corberand

Le Moyen-Orient survivra-t-il au réchauffement climatique ?


Photo : Dubai Electricity and Water Authority

La guerre au Darfour qui, depuis 2003, a fait 300 000 morts et deux millions de déplacés serait selon l’ancien secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon la « première guerre du changement climatique ». Les causes principales sont une sécheresse sans précédent dans le Sahel et le phénomène de désertification débuté dans les années 1970 ; à cela s’ajoutant des tensions ethniques, l’explosion démographique ainsi que des découvertes d’hydrocarbures. Ce conflit confirme une hypothèse : le changement climatique devient un facteur de conflits qui, lorsqu’il s’ajoute à d’autres sources de tensions, peut déboucher sur des guerres.

« Le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord, de l’Est et l’Afrique centrale, ainsi que certains pays d’Asie centrale, feront face aux risques de sécurité les plus importants à court terme. » Caitlin Werrell, cofondatrice du Centre pour le climat et la sécurité

Le Moyen-Orient en proie au réchauffement climatique

La région connaît les hausses de température les plus importantes de la planète : les deux degrés sont déjà dépassés dans certaines zones et les techniques d’adaptation actuelles ne seront au mieux pas suffisantes, au pire aggraveront la situation, comme la climatisation dans les lieux publics au Qatar.

Source : World Resource Institute

Selon des chercheurs de l’Institut allemand Max Planck, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord pourraient très vite devenir invivables. Hausse des températures, tempêtes de poussière, désertification, diminution de la pluviosité sont autant de catastrophes qui pousseront des centaines de millions de personnes vers l’immigration. Si rien n’est fait, les températures devraient croître deux fois plus vite que dans le reste du monde : augmenter de 2,5 degrés en hiver et de 5 en été. Le croissant fertile pourrait donc connaître entre 100 et 200 jours de canicule d’ici 2100, avec des répercussions inévitables.

Une exacerbation des tensions dans une région déjà très instable

Un rapport commandé par les membres du G7 en vue de la COP 21, « Un nouveau climat pour la paix : agir pour le climat et les risques de fragilité », identifie sept menaces liées aux changements climatiques : une compétition accrue pour l’accès aux ressources, des migrations climatiques, des catastrophes météorologiques, la volatilité des prix alimentaires, le stress hydrique, l’élévation du niveau des mers et les effets des politiques climatiques.

« En 2018, l’Irak a connu sa pire sécheresse depuis huit ans. Un phénomène climatique aggravé par la construction de barrages en Turquie, pays en amont qui contrôle les sources du Tigre et de l’Euphrate. » Christian Chesnot, journaliste français spécialisé du Moyen-Orient

Carte des barrages répartis sur l’Euphrate et le Tigre Source : Visactu

Elles sont autant de sources de tension qui risquent d’aggraver les conflits déjà existants. Par exemple, les tensions entre l'Irak, la Syrie et la Turquie risquent de s'amplifier. La Turquie a en effet la clé du robinet d’eau qui s’écoule vers la Syrie et l’Irak. Les Turcs contrôlent les sources du Tigre et de l’Euphrate, les deux grands fleuves qui irriguent l'Irak et la Syrie. Dans une position géographique inconfortable de pays en aval, l’Irak, qui subit "l’hydropolitique hégémonique" d’Ankara, et qui depuis une trentaine d’années construit de nombreux barrages. Pour éviter le conflit, des accords de répartition ont été signés en 1987 et 1990. Néanmoins, avec la raréfaction des pluies, ceux-ci risquent de ne plus être respectés par la Turquie. La sécheresse de 2018 en Irak, en parallèle de la construction de nouveaux barrages en Turquie a ainsi déclenché des émeutes de la soif sur le territoire irakien.

De même, l’immigration climatique ne va cesser de croître. Ce sont des millions de familles qui pourraient être contraintes de fuir des zones devenues inhabitables à cause du changement climatique, selon une étude menée par conjointement par des chercheurs de l'Institut Max Planck et de l'Institut Cyprus de Nicosie. Les répercussions pourraient être incalculables à long terme dans une région comptabilisant plus de 500 millions d’habitants.

La malédiction de l’or noir : la rente pétrolière

Au réchauffement climatique s’ajoute la malédiction de la rente pétrolière. Malgré l'apparent paradoxe de cette expression, le terme de malédiction semble avéré. Pour autant, et même si des exceptions comme la Norvège existent, cette rente s’est traduite par une dépendance excessive des économies, paralysant leur développement et leur diversification. La question de la soutenabilité à long terme de tel systèmes économiques se pose.

« Cette méconnaissance fait que l’on commence tout juste à percevoir le rôle dévastateur qu’a joué la rente pétrolière dans la plupart des systèmes économiques de la région. » Thierry Coville, chercheur associé au CNRS, Département Monde Iranien

On constate dans la zone une très forte sensibilité de l’économie aux cours du pétrole, signe visible de dépendance. L’activité pétrolière représente 30% du PIB de l’Arabie Saoudite et 60% de celui de l’Irak. La chute des cours du pétrole depuis 2014 a entraîné une grave crise budgétaire au Moyen-Orient. Les cours ont fortement diminué, le baril passant de 120$ début 2014 à 25$ début 2016, avant de se stabiliser autour de 50$ depuis, avec pour conséquence le creusement du déficit budgétaire de l'Arabie Saoudite, estimé à 21% du PIB au plus fort de la crise en 2016.

Le dérèglement climatique pourrait accroître les tensions déjà existantes et augmenter la probabilité d’une confrontation directe entre Saoudiens et Iraniens dans le détroit d’Ormuz. L’équilibre géopolitique mondial s’en trouverait grandement perturbé. Avec 30% des flux mondiaux de pétrole qui y transitent, la région est en effet une zone de passage stratégique.

Tanker torpillé en juin dernier dans le détroit d’Ormuz Source : AFP/ISNA

Après l’or noir, l’or vert au Moyen Orient ?

Cela peut sembler paradoxal, mais depuis deux ans, les pays du Moyen-Orient s’engagent activement dans les énergies renouvelables pour préparer l’après-pétrole dans un souci de diversification économique. Les Emirats Arabes Unis (EAU) et Arabie Saoudite en tête, investissent des milliards de dollars dans le photovoltaïque et l’éolien.

« Les États producteurs d’hydrocarbures ont les ressources financières et ils ont le sens de l’urgence, car à un moment donné, les ressources en combustibles fossiles seront épuisées et ils devront changer leur chaîne de valeur économique » : Maria van der Hoeven (directrice exécutive de l’Agence internationale de l’énergie (AIE)

En 2015, le plan « Dubaï énergie propre 2050 » a été lancé par les EAU avec pour objectif de couvrir 75% des besoins énergétiques de la ville avec des énergies vertes d’ici 2050, ainsi que de diminuer de 30% de sa consommation d’électricité et d’eau d’ici 2030. Pour cela a été créé le Dubaï Green Fund, doté de 23 milliards d’euros. Les EAU voudraient bâtir le plus grand parc solaire thermique du monde avec 11 millions de panneaux et une capacité de 500MW, ce qui équivaut à 5 réacteurs nucléaires. Il ne s’agit pas d’un projet isolé. L’Arabie Saoudite souhaite installer 41 GW de puissance photovoltaïque et 9 GW d’éolien d’ici 2032. Début janvier a été annoncée la construction par EDF d’un premier champ éolien en Arabie Saoudite pour un montant de 500 millions de dollars. Il permettra à terme d’alimenter 70 000 foyers.

Le Moyen-Orient dispose d’avantages compétitifs considérables : un potentiel énergétique non négligeable avec des taux d’ensoleillement élevés, des espaces désertiques dépeuplés, et des capacités d’investissement considérables (« recyclage » des pétrodollars).

Centrale solaire en construction près de Dubaï aux Emirats Arabes Unis (Partenariat entre L’Autorité de l’électricité et de l’eau de Dubaï, Masdar et le groupe EDF) Source : Dubai Electricity and Water Authority

Malgré la faible couverture médiatique et la faible crédibilité dont bénéficient les politiques environnementales du Moyen Orient, fort est de constater que des projets ambitieux en faveur de la transition énergétique sont mis en place dans la région. Mais bien qu'ambitieux, ces projets ne semblent pas faire évoluer la structure même des économies. A défaut de s'attaquer structurellement à son système économique, le Moyen Orient aura de grandes difficultés à survivre au réchauffement climatique.

Thomas Tropès et Coralie Corberand

Sources :

- France Culture : https://www.franceculture.fr/geopolitique/la-bataille-de-leau-entre-la-turquie-et-lirak

- Futura Planète : https://www.futura-sciences.com/planete/dossiers/developpement-durable-geopolitique-guerre-eau-622/page/5/

- Le Monde : https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/03/le-climat-nouvelle-donne-pour-penser-les-guerres-de-demain_5470925_3210.html

- EDF Renouvelable : https://www.edf-renouvelables.com/presse/communiques-de-presse/le-groupe-edf-met-en-service-sa-premiere-installation-denergies-renouvelables-aux-emirats-arabes-unis/

- Académie de géopolitique de Paris : http://www.academiedegeopolitiquedeparis.com/des-economies-du-moyen-orient-marquees-par-la-malediction-de-la-rente-petroliere/

- LaBanqueMondiale :https://www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2012/12/05/facing-up-to-the-threat-of-climate-change-in-the-arab-world

- Futura Science : https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/rechauffement-climatique-afrique-nord-moyen-orient-seront-ils-invivables-vers-2100-62779/

- Institut Max Planck & Institut Cyprus: https://www.mpg.de/10481936/climate-change-middle-east-north-africa

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