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  • Thomas Tropès

Les énergies renouvelables, un enjeu géostratégique en devenir ?


Ferme solaire de Datong Shanxi en Chine, en forme de Pandas

elle symbolise le leadership chinois dans la filière renouvelable

Photo : VCG/VCG

Les capacités de production d’énergie renouvelable sont en constante augmentation. Si bien qu’un tiers des capacités mondiales de production d’électricité et 60% des nouvelles capacités proviennent des énergies renouvelables, selon un récent rapport de l’IRENA, l’Agence internationale pour les énergies renouvelables. Nous sommes à l’aune d’une nouvelle transition énergétique. Mais l’humanité a déjà connu des transitions énergétiques, qui ont été progressives. Il aura par exemple fallu un siècle aux Etats-Unis pour que le pétrole supplante le charbon. En cause, l’inertie de systèmes déjà en place.

« La forte croissance en 2018 s'inscrit dans la continuité de la tendance remarquable des cinq dernières années, qui reflète une évolution constante vers les énergies renouvelables

comme moteur de la transformation énergétique mondiale. »

Adnan Z.Amin, directeur général de l’IRENA

L’énergie, un enjeu stratégique prédominant, fondamental

« Le pétrole est une matière première à fort contenu diplomatique et militaire, avec une

valeur fiscale indéniable et, accessoirement, un pouvoir calorifique. »

André Giraud, ministre de l’Energie lors du second choc pétrolier

Au début de l’ère industrielle, l’approvisionnement énergétique devient un enjeu stratégique pour les Etats. Les accords d’approvisionnement comme le deal pétrole-sécurité conclu entre les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite en 1945 témoigne de cette importance stratégique. Ce deal garantit aux Etats-Unis un accès privilégié au pétrole saoudien. En contrepartie, ils s’engagent à défendre l’intégrité du territoire saoudien. Mais c’est réellement avec la création de l’OPEP en 1960 que le monde prend conscience que l’énergie est une arme diplomatique au service de ceux qui la détiennent. L'indépendance énergétique devient un enjeu national. En France, cette volonté d’indépendance est à l’origine de la monopolisation du secteur énergétique par le nucléaire.

Les énergies renouvelables, une nécessité pour répondre à l’urgence climatique ?

Les bouleversements climatiques sont déjà visibles. La pénurie d’eau au Cap qui a frôlé il y a peu le « jour zéro », et les feux inédits en Australie en sont quelques exemples accablants. D’où l’importance d’intégrer rapidement les énergies renouvelables dans le mix énergétique mondial. En effet, à terme, les trois objectifs cardinaux sont la limitation des GES, l’amélioration de l’efficacité énergétique et la diversification des sources d’approvisionnement afin de maximiser l’indépendance énergétique. En cela les énergies renouvelables offrent un double dividende : une réduction des émissions et une hausse de la sécurité énergétique.

Retenue d’eau censée alimenter la ville du Cap, actuellement asséchée Photo : @WaterFootprintN (Twitter)

Néanmoins, l’efficacité énergétique reste difficile à atteindre. Se pose la question du stockage de l’énergie car les sources d’énergie comme le soleil ou le vent sont très variables, et les technologies de stockage actuellement utilisées sont peu efficaces et très coûteuses. D’importants progrès technologiques doivent aussi être réalisés afin d’améliorer le recyclage des panneaux solaires et des éoliennes, même si d’importants progrès sont réalisés depuis des années.

Une nouvelle géographie de l’offre et de la demande énergétique

Les énergies renouvelables redéfinissent les rapports entre les pays producteurs et les pays consommateurs d’énergie primaire. Les pays producteurs d’énergies fossiles devraient voir la demande et le prix des cours de ces matières diminuer aux cours des prochaines décennies. En cause, une substitution des combustibles fossiles par des sources d’énergies renouvelables. Les pays de l’OPEP seront alors les plus affectés. Inversement d’autres pays traditionnellement importateurs se convertissent au renouvelable. Or, les pays plus faiblement dotés en ressources fossiles sont aussi ceux qui investissent le plus dans le renouvelables (Europe, Chine, Chili…).

De fait, les rapports de force sont amenés à progressivement s’inverser. La Chine jusque-là très pauvre en énergies fossiles est devenue le leader des énergies renouvelables. Elle dispose en effet d’atouts majeurs : un vaste territoire avec des étendues désertiques et faiblement peuplées ainsi que des fleuves puissants et une capacité d’investissement considérable. Elle est aujourd’hui le premier producteur d'hydroélectricité et d’énergie éolienne.

Champ d’éoliennes près de Guazhou en Chine

Photo : Google Earth

De même, à l’échelle régionale, une nouvelle géopolitique des territoires devrait apparaître. Par exemple en Amérique Latine, le fossé se creuse entre les pays ayant des économies fortement dépendantes des énergies fossiles comme le Venezuela et d’autres pays économiquement plus diversifiés. Le Costa Rica est le premier pays à produire 100% de son électricité avec du renouvelable et le Chili se veut être « la capitale solaire du continent sud-américain » selon les propos de son ancien ministre de l’énergie Andrés Rebolledo. Le pays compte ainsi investir 11 milliards de dollars dans les énergies renouvelables d’ici à 2021.

Vers une nouvelle forme de dépendance énergétique

« Le Moyen-Orient a le pétrole. Nous, nous avons les terres rares »

Deng Xiaoping en 1987

Les énergies fossiles sont actuellement à l’origine de la majorité des conflits énergétiques. C’est pourquoi leur substitution par des énergies renouvelables devrait a priori se traduire par une réduction des conflits liés à l’approvisionnement énergétique. Il est pourtant raisonnable d’en douter. En venant bouleverser la géopolitique énergétique, les énergies renouvelables créent de nouveaux défis. Une étude réalisée par des chercheurs de l’IRIS en identifie trois principaux.

Tout d’abord, elles posent un problème d’accès aux métaux dits « rares ». La Chine produit à elle seule 80% de ces métaux rares. Contrairement à l’opinion répandue, ces derniers ne sont que peu utilisés dans la production des cellules photovoltaïques. En revanche, ils sont indispensables à la production des batteries. Leur sécurisation pose problème et des tensions ont déjà éclaté en Mer de Chine. De nouvelles stratégies de sécurisation des matières premières émergent donc. La Chine investit ainsi massivement en République Démocratique du Congo, qui détient 64% des réserves de cobalt (utilisé dans les batteries).

La deuxième dépendance est d’ordre technologique. Le renouvelable nécessite des technologies très avancées. Là encore, la Chine en est le leader incontesté, que ce soit dans le solaire, l’éolien ou les batteries. Or ce monopole technologique risque de freiner la transition énergétique tout en devenant une arme diplomatique considérable.

Le troisième enjeu relève de la situation des pays exportateurs d’énergies fossiles. Leurs économies sont fortement dépendantes de ces énergies (plus de 30% du PIB de l’Arabie Saoudite et 90% des exportation du Venezuela). Une transition économique apparaît indispensable. A moyen terme ils seront très probablement impactés par la chute du cours du pétrole et par le déplacement de l’épargne mondiale du fossile vers le renouvelable. En Amérique Latine, des pays comme le Chili devraient supplanter les puissances exportatrices de pétrole de la région comme le Venezuela. Au Moyen Orient l’équilibre de force entre l’Arabie Saoudite et l’Iran pourrait s’inverser, car l’économie iranienne est certes plus fragile mais plus diversifiée.

Part des revenus des exportations de pétrole sur le total des exportations de chaque membre de l'OPEP en 1998 et 2017

Graphique : encyclopedie-energie.org, chiffres de l’OPEP

Plus de coopération et de diplomatie afin d’éviter une crise énergétique

Il semble indispensable d’anticiper les tensions géopolitiques du renouvelable pour prévenir tout conflit énergétique. C’est pourquoi, plus de coopération régionale et internationale est nécessaire. A l’échelle régionale, les politiques énergétiques ne peuvent évoluer sans coopération technologique et financière. Par exemple, alors qu’il y a une dizaine d’année, l’Europe était leader dans ce secteur, elle est maintenant contrainte d’importer des panneaux photovoltaïques et des éoliennes de Chine. Et ce par manque de coopération et moyens alloués à la filière européenne.

« L’adaptation d’un certain nombre de pays exportateurs d’hydrocarbures à la transition énergétique mondiale constituent un enjeu géopolitique essentiel. »

Rapport de l’IRIS sur les énergies renouvelables

De même, à l’échelle internationale, il est nécessaire d’accroître la coopération entre nations. Plusieurs initiatives ont été prises depuis la création de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables. Sa mission prioritaire est de favoriser la coopération et les transferts de technologies entre ses 150 membres, et de favoriser l’inclusion des pays pétroliers. Dans un récent rapport, elle soutient que la transition énergétique est techniquement et financièrement réalisable. Néanmoins, cela nécessite de multiplier les investissements annuels par 2.24, de 330 milliards de dollars actuellement à 740 milliards.

Photo : Irena.org

Le renouvelable n’est donc pas dénué de tensions. Si par absence de consensus international, il devient source de conflits, le risque est qu’il ralentisse la transition énergétique. La question de la coopération internationale est donc essentielle. Libre aux Etats de définir intelligemment la géopolitique des énergies renouvelables.

Thomas Tropès, avec la participation de Coralie Corberand

Sources :

- IRIS et IFP Energies nouvelles - IRENA (Agence internationale de l’énergie renouvelable) - L’Encyclopédie de l’Energie - Reporterre, le quotidien de l’écologie - l’Energeek - Green Innovation - Novethic - Emmanuel Hache, 2016, La géopolitique des énergies renouvelables : amélioration de la sécurité énergétique et/ou nouvelles dépendances ? - Z.Amin Adnan, 2019, La transition énergétique dans les décennies à venir

#Energie #Energierenouvelable #Environnement #Chine #Europe #pétrole

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