top of page
  • Laura Coursimault

Restitution des oeuvres au Bénin : véritable promesse ou fiasco diplomatique ?


Un pays qui souhaite reconstruire son héritage historique, une décision attendue au regard d’un sujet épineux et des relations diplomatiques mises en péril par une promesse difficile à tenir, au point de menacer la diplomatie culturelle entre deux pays…. “L’art sauvera le monde” disait-on.

© Statues du Royaume de Dahomey au Bénin (fin du XIXe siècle), exposées au Musée du Quai Branly (PHILIPPE WOJAZER/REUTERS)

Au-delà d’une promesse, un réel enjeu diplomatique

Revenons en novembre 2017, Emmanuel Macron prononçait un discours à l’université de Ouagadougou au Burkina Faso dans lequel il souhaitait que “d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain”. Il avait ainsi commandé un rapport à Felwine Sarr, de l’université de Saint-Louis (Sénégal) et Bénédicte Savoy, du Collège de France. Moins d’un an après sa promesse, les deux universitaires donnaient raison au Président français, recommandant de restituer aux Etats africains, les oeuvres d’art issues de la colonisation. Il s’agit de 90.000 oeuvres dispersées dans les musées français, dont plus de deux tiers au Quai Branly, et datant de la période 1885-1960. Si E. Macron ambitionne de redonner à l’Afrique une partie de son patrimoine, l’heure est aujourd’hui au retour de 26 oeuvres au Bénin, longtemps réclamées par Patrice Talon, le président béninois. Des prises de guerre de l’armée française au Royaume d’Abomey en 1892, dont des richesses inestimables telles que le trône du Ghézo (en photo), aujourd’hui conservé au musée du Quai Branly-Jacques Chirac. Toutefois le Bénin n’est pas le seul à espérer le retour de son patrimoine perdu. Au Sénégal, en Côte d'Ivoire, ou encore au Gabon, la construction de musées, capables d’accueillir ces oeuvres, a déjà commencé après leur réclamation à la France.

Une restitution qui va bien au-delà puisqu’elle devrait concerner un cadre plus large. Emmanuel Macron souhaite ainsi réunir “l’ensemble des partenaires africains et européens” et en appelle aux anciennes puissances coloniales à faire de même. L’Elysée entend bien collaborer avec les musées français afin “d’identifier des partenaires africains, organiser les éventuelles restitutions, la circulation et la diffusion des œuvres”. Néanmoins, les conditions de restitution sont claires pour le Président, les Etats africains concernés auront pour obligation d’établir une demande préalable, ainsi que les informations précises quant à la provenance des oeuvres et l’existence de structures pour les accueillir dans les meilleures conditions. Quoi qu’il en soit, la promesse française constitue une véritable avancée dans ses relations diplomatiques avec l’Afrique et offre, selon l’Elysée, “un nouvel éclairage sur les circonstances des captations patrimoniales et la spécificité du patrimoine africain”.

Un travail de longue haleine attend Emmanuel Macron, entre enjeu diplomatique et normes juridiques françaises, la restitution demandera certainement du temps. Pour autant, l’enjeu va bien au-delà d’une entente entre la France et les pays africains, ces derniers devront se heurter à la loi française avant d’avoir accès à leur patrimoine d'antan.

Quand le domaine public s’en mêle

Au-delà de l’importance diplomatique de la restitution des oeuvres d’art au Bénin, il s’agit avant tout d’une question de droit. Selon l’article L112-1 du Code du patrimoine, la restitution de biens est prévue lorsque ceux-ci sont sortis illégitimement de leur territoire d’origine, permettant ainsi de “réinstituer le propriétaire légitime du bien dans son droit d’usage et de jouissance, ainsi que dans toutes les prérogatives que confère la propriété”. Néanmoins, si Felwine Sarr et Bénédicte Savoy pointent du doigt des oeuvres acquises durant la période coloniale, proposant ainsi de renverser la charge de la preuve[1], il semblerait difficile d’identifier les auteurs de ces transactions, survenues il y a plus d’un siècle. Quant aux oeuvres issues de dons ou de legs, une fois encore le Code du patrimoine consacre l’article L451-7 afin qu’elles ne soient pas déclassées[2]. Le Code du patrimoine n’est le seul à pouvoir empêcher une restitution en bonne et due forme. Inscrites dans le domaine public, les oeuvres sont sous le joug des principes d’inaliénabilité[3] (elles ne peuvent être cédées), d’imprescriptibilité[4] (une personne privée ne peut les acquérir) et d’insaisissabilité[5] (elles ne peuvent pas être saisies) selon le Code général de la propriété des personnes publiques, appliqué aux collections des musées publics. Autant de notions juridiques qu’il semble difficile de contourner. Seule la Commission scientifique nationale des collections pourrait éventuellement intervenir[6], comme en 2010 lorsque la France restituait les têtes Maories à la Nouvelle-Zélande, afin d’apporter ses conseils en matière de cessions d’oeuvres d’art étrangères.

L’une des propositions majeures de ce rapport reste la modification du Code du patrimoine afin de faire adopter une procédure de restitution des biens culturels issus des anciennes colonies ou protectorats. Une demande devrait être présentée par l’Etat d’origine avant d’être soumise à l’avis d’une commission scientifique. De même que la proposition d’accords bilatéraux entre la France et les Etats africains afin de faciliter les restitutions. Toutefois, les auteurs semblent quelque peu ambitieux quant à la mise en oeuvre des ces nouvelles modalités, d’ici novembre 2019. Au regard du processus législatif français, la promulgation ne pourrait intervenir que dans plusieurs années. C’est ainsi que des prêts à long terme pourraient être envisagés mais une fois encore, critiques et obstacles s’en mêlent.

Restitution ou “vieille lubie”[7] ?

La première raison qui devrait pousser la France à restituer les oeuvres d’art à l’Afrique reste la dépossession de son patrimoine. L’absence d’adhésion dans l’acquisition des objets, “parce qu’elle se déroule entre un colonisateur et un colonisé”, avait notamment permis l’achat d’un masque dogon pour seulement 7 francs. C’est ainsi que l’Elysée demande que “la jeunesse africaine ait accès en Afrique à son propre patrimoine”. Pour autant, les avis divergent; au regard de l’ancien ministre de la culture, Jean-Jacques Aillagon, et du président du Musée du Quai Branly, Stéphane Martin, qui redoutent le “vide les musées français” après la restitution. Ce dernier qualifie d’ailleurs le rapport des deux universitaires de “frustration née de la colonisation et de ses conséquences”. Une vision que partagent également Corinne Hershkovitch et Didier Rykner lorsqu’ils soutiennent une uniformisation du droit international[8], quant aux processus de restitution, tout en plaidant pour une conservation des collections françaises.

D’un autre côté, conservateurs et spécialistes s’inquiètent de la fragilité des oeuvres, difficiles à déplacer, mais également de l’état délabré des infrastructures d'accueil. Le Palais d’Abomey serait en mauvais état et responsable de la détérioration d’oeuvres d’art par le passé. Certains soulèvent ainsi un réel danger quant à la conservation de pièces chargées d’histoire. Des arguments qui semblent, pour Felwine Sarr, n’être que le préjugé que seul l’Europe serait capable de conserver des pièces artistiques. Enfin, des questions territoriales se posent quant à l’appartenance des oeuvres à d’anciens royaumes, aujourd’hui disparus. Les restitutions pourraient alors constituer un risque de contestations de la part de certains territoires. Un argument diplomatique qui n’est pas à prendre à la légère. D’où la nécessité d’un réel travail d’identification et d’inventaire avant d’envisager toute restitution.

En outre, la restitution d’oeuvres d’art demeure une véritable question diplomatique, qui pourrait bien laisser place à une politique de coopération entre la France et l’Afrique en cas de succès. Ainsi, Felwine Sarr et Bénédicte Savoy espèrent que l’art en sera le tremplin. “Ce qui s’écrit là va plus loin que le retour d’œuvres d’art. Ces objets deviennent les médiateurs d’une nouvelle relation. Pour moi le grand enseignement à tirer, c’est que si on refonde les modalités relationnelles dans cet espace-là, on peut les refonder ailleurs dans l’espace économique, dans l’espace du politique, et je ne vois aucune raison pour qu’on ne puisse pas le faire” affirme l’universitaire sénégalais. En effet, la diplomatie artistique et culturelle relève avant tout d’une coopération entre les nations. Si les deux universitaires évoquent un débordement vers d’autres domaines, si l’art devait demeurer un levier, et non seulement la justification d’une supériorité culturelle, seule la trame de l’histoire devra le déterminer. Un pari, certes, mais rappelons-le, celui qui ne joue pas, ne gagne jamais.

[1] Article 1353 du Code Civil: "Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.”

[2] Article L. 2211-1 du Code général de la propriété de personnes publiques (CGPPP) : “Un bien d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1, qui n'est plus affecté à un service public ou à l'usage direct du public, ne fait plus partie du domaine public à compter de l'intervention de l'acte administratif constatant son déclassement.”

[3] Articles L451-5 du code du patrimoine et L3111-1 du CGPPP

[4] Article L3111-1 du CGPPP

[5] Article L2311-1 du CGPPP

[6] Loi n° 2010-501 du 18 mai 2010

[7] Expression de Felwine Sarr et Bénédicte Savoy dans une Tribune du 30 novembre 2018 pour Le Monde

[8] David RYKNER et Corinne HERSHKOVITCH, La restitution des oeuvres d’art : solutions et impasses, éditions Hazan, Paris, février 2011, 136p.

Bibliographie:

#Bénin #Art

SUIVEZ-NOUS
NE MANQUEZ RIEN

Inscrivez-vous à notre liste de diffusion

Ne manquez aucune actualité

ARTICLES RÉCENTS
NOS PARTENAIRES
Capture d’écran 2020-02-20 à 13.48.22.
Afnu_PNG.png
Le 1.jpg
3e7906_e4660d5d5210471dba1cd0648ae8768f~
emlyon forever.png
Logo Nemrod.png
logoteli.jpg
  • Facebook Social Icon
  • Twitter Social Icon
  • Instagram Social Icon
  • YouTube Social  Icon