- Uriel N'Gbatango
Le stade, nouvelle arène géopolitique

« Malraux avait tort. Le XXIe ne sera pas religieux avant tout : il sera sportif ». Tel est le constat établi par Pascal Boniface dans son livre Géopolitique du Sport. Il est vrai que le XXIe siècle porte à son apogée la culture du sport. La médiatisation hors norme dont bénéficient les compétitions sportives internationales en est la preuve la plus frappante. Avec plus de 4 milliards de téléspectateurs à travers le globe et plus de 200 délégations nationales en son sein, les jeux olympiques font figure de mastodonte médiatique à l’échelle internationale. Avec une telle ampleur qui ne fait que croitre au fil des années, et des sommes toujours plus astronomiques investies par les pays hôtes, il semble plus que crédible de se demander si l’intérêt sportif demeure la seule source de motivation des pays participants.
Le sport, un domaine apolitique ?
Des jeux panhelléniques antiques entre cités grecques à la coupe du Monde russe en 2018, en passant par les premiers jeux olympiques modernes de 1896 à Athènes, le sport a de tout temps été un haut lieu de confrontation entre les sociétés. Pendant longtemps, le mythe d’un sport apolitique et libre de toute ingérence extérieure fut défendu par les hautes autorités sportives. La règle n°2 (alinéa 10) de la charte olympique est même très explicite sur ce sujet : « Le rôle du CIO est [...] de s’opposer à toute utilisation abusive politique ou commerciale, du sport et des athlètes. ». Cependant, la réalité du terrain est tout autre, et ce mythe, porté corps et âmes par la charte olympique, ne s’apparente plus qu’à un simple vœu pieux. En effet, Carole Gomez, chercheuse à l’IRIS, affirme à juste titre qu’il « faut en finir avec le mythe de l’apolitisme des jeux olympiques » dans la mesure où, que ce soit pour les sportifs ou les chefs d’Etat, les compétitions internationales sont devenues un nouveau moyen de communication politique. Par exemple, la participation ou la non-participation aux JO ont par le passé contribué à cette politisation du sport. En 1980 les Etats-Unis de Jimmy Carter décidèrent de boycotter les jeux de Moscou afin de dénoncer l’invasion soviétique en Afghanistan. Plus récemment, l’appel géorgien à boycotter les jeux olympiques d’hiver de Sotchi en 2014 montre que cette pratique est toujours de mise. Le sport devient ici un instrument politique de protestation, un moyen de positionnement sur l’échiquier politique international.
Cependant, la politique ne se fait pas qu’en dehors des stades mais également sur le terrain. En effet, les sportifs eux-mêmes, par leurs prises de position, contribuent à faire du stade un lieu public de confrontations politiques. Conscients de la médiatisation dont ils bénéficient, les sportifs se muent parfois en ambassadeurs d’une cause politique, quitte à parfois créer la polémique (cf. photo ci-dessous).

A gauche, Tommie Smith et John Carlos aux JO de Mexico (1968) rendant hommage aux Black Panthers, alors en plein combat pour la reconnaissance des droits des Afro- américains. Au centre, Cathy Freeman, en 1997, brandissant le drapeau des Aborigènes australiens en plus du drapeau officiel australien hérité du Commonwealth. A droite, le footballeur malien Frederic Canoté manifestant son soutien aux Palestiniens de la bande de Gaza lors d’un match en 2009.
D’un événement sportif à un événement diplomatique
Bien que la dimension compétitive demeure au cœur des événements sportifs, à bien des reprises, les diplomates prouvèrent une chose : la compétition peut rassembler plus que diviser. En effet, l’histoire nous a enseigné que bien souvent la participation à une compétition sportive n’est qu’un prétexte à des relations diplomatiques.
A ce titre, la diplomatie américaine dite du « ping-pong » est un cas d’école afin de comprendre comment le sport peut être un outil de relations internationales. Alors que jusqu'en 1971 les relations diplomatiques entre les Etats-Unis de Reagan et la Chine communiste étaient inexistantes, sous couvert d’une invitation chinoise à une compétition de ping-pong, les diplomates américains et chinois ont pu ouvrir le dialogue entre les deux pays. Les échanges de balles ont fait place aux échanges verbaux, ouvrant ainsi la possibilité d’un rapprochement entre deux nations que tout oppose. Bien loin d’être un épisode anecdotique, l’actualité d’aujourd’hui montre que cette diplomatie du sport est toujours en œuvre. En effet, alors que tout espoir d’union semblait vain depuis 1945, l’annonce en septembre 2018 d’une candidature commune entre les deux Corées aux JO de 2032 représente une formidable avancée dans les relations de ces deux nations.

Ainsi, au même titre qu’un sommet diplomatique officiel, le sport s’apparente à un véritable instrument des relations internationales pouvant « remettre la balle au centre » entre deux nations que tout oppose.
Le sport comme prolongement du soft power
Dans un monde où mondialisation rime avec médiatisation globale, les sportifs, par leur popularité, deviennent de véritables ambassadeurs internationaux pour leur pays d’origine. Pour preuve, combien de personnes connaissent Usain Bolt sans pour autant connaitre le gouverneur général jamaïcain ? Combien de personnes connaissent Roger Federer sans pouvoir reconnaitre le président de la confédération suisse ? De fait, être sportif international ne consiste plus seulement à réaliser des performances physiques hors du commun, mais également à devenir un porte-drapeau. Le sport est sans aucun doute devenu un nouveau critère indispensable du soft power, car nouveau canal de rayonnement international. Par les valeurs qu’il véhicule (respect, persévérance, tolérance,...), ce dernier contribue par effet de halo à dorer l’image des nations victorieuses. Les chefs d’Etat ont d’ailleurs très bien compris ce nouveau paradigme, n’hésitant plus à faire figure aux côtés des sportifs internationaux. De la victoire sportive à la victoire politique, du maillot sportif à la veste du diplomate, il ne semble n’y avoir qu’un pas.
Ce nouveau paradigme du soft power prend également une forme politique beaucoup plus directe pour certains pays tels que la France. Parce que le sport n’est plus seulement une activité mais également un outil de communication, la France n’a pas hésité à se doter d’une véritable « diplomatie sportive ». En 2014, Laurent Fabius, motiva la création ex-nihilo d’un « ambassadeur pour le sport » dont le rôle serait de promouvoir à l’étranger l’image française par le sport. Ici, il ne s’agit plus seulement d’imaginer le sport comme un simple instrument diplomatique mais comme un élément essentiel au rayonnement d’un pays à l’échelle internationale.
De fait, les nations n’hésitent plus à investir pour passer à la vitesse supérieure et obtenir des résultats pour la gloire de leur drapeau. « Géant économique mais nain footballistique » la Chine fait figure de joueur de seconde zone sur les terrains de football. Cependant, depuis 2015, à travers un « plan en 50 points », Xi Jinping met en place une ambitieuse campagne de financement afin de faire émerger de futures stars chinoises du football. Poussé à l’extrême cette démarche d’investissement conduit certains pays à jouer avec la légalité. Les récents football leaks dévoilés par Mediapart en novembre 2018 révèlent que le Qatar aurait frauduleusement attribué environ 1,8 milliard d’euros dans le PSG afin de booster les résultats de son club.
Ces dernières révélations montrent jusqu’où les nations sont prêtes à aller pour gagner. Mais gagner quoi ? Une coupe... ou plutôt... une guerre d’influence ?