- Léa Delagoutte
Les Balkans au XXIème siècle : héritage et construction d'une région à la lisière de l'Europ
Les Balkans ont souvent représenté un enjeu particulier en Europe. Au début du siècle dernier, déjà, la « poudrière » s’était enflammée et avait fait chuter le continent et le reste du monde dans la Première Guerre mondiale. Quatre-vingt ans plus tard, une guerre meurtrière et complexe a marqué la dislocation de la Yougoslavie. Aujourd’hui, le conflit armé fait partie du passé, mais les tensions demeurent. Les pays de la région connaissent de nombreux troubles internes.

L’évolution de la géographie des Balkans entre 1991 et 2008
Le siècle sanglant
Au début du XXème siècle, les Balkans restent marqués par une histoire faite de dominations étrangères, entre Ottomans, Russes et Autrichiens. De nombreux peuples et religions y cohabitent : Slaves, Hellènes, Roumains, orthodoxes, juifs, musulmans, etc. Cette grande diversité peut, en partie, s'expliquer par la géographie de la région : les chaînes montagneuses ont longtemps représenté un obstacle à l’unification des peuples des Balkans.
Alors que les insurrections se multiplient dans toute la péninsule, la Grèce obtient l’indépendance et la Serbie l’autonomie au cours de la première moitié du XIXème siècle. Les Autrichiens et les Ottomans conservent néanmoins le contrôle de la région, qui reste donc au début du XXème siècle un bastion de nationalismes frustrés prêt à imploser. Ce fut le cas avec l’assassinat de l’archiduc François Ferdinand à Sarajevo par un nationaliste serbe de Bosnie, Gavrilo Princip, élément déclencheur d’une guerre d’une ampleur inédite qui eut, entre autre, pour conséquence la création de la Yougoslavie en 1918.
Les bases de ce nouvel État étaient pour le moins floues. La Yougoslavie se voulant fédéraliste sur le modèle allemand pour les Croates et les Slovènes, mais centraliste pour les Serbes. La nouvelle Yougoslavie ne réussit pourtant pas à s’imposer sur la scène européenne et subit pendant les années 30 et la Seconde Guerre mondiale les agressions des régimes totalitaires. L’Italie contrôle l’Albanie, la Croatie et le Monténégro, tandis que l’Allemagne s’allie à la Croatie et occupe la Serbie.
Au sortir d’une guerre qui a de nouveau ravagé la région, Tito met en place un régime communiste revendiquant l’indépendance face aux Soviétiques : la rupture définitive avec Staline survient en 1948. L’objectif principal de Tito est d’unifier le pays autour de son parti : « La Yougoslavie a six Républiques, cinq nations, quatre langues, trois religions, deux alphabets et un seul parti ».
A sa mort en 1980, cette diversité assumée redevient source de tensions. En 1988, Milosevic, nationaliste serbe, prononce un discours dans lequel il déclare que la Serbie imposera sa volonté au reste de la Yougoslavie - après s'être prononcé en faveur des Serbes du Kosovo. L'étincelle enflammera la région pour la décennie à venir : les tensions proviendront principalement des différentes minorités opprimées dans chaque pays (Serbes de Bosnie, Bosniaques de Serbie…), et de la volonté des dirigeants nationalistes serbes de faire de la Serbie le centre névralgique de la Yougoslavie.

Un blessé bosniaque transporté par des casques bleus
En 1990, l’état d’urgence est décrété au Kosovo et des élections libres se tiennent dans les 6 républiques. L’année suivante est celle des déclarations d’indépendance et de sécession partout en Yougoslavie. Les tensions sont toujours aussi vives : en 1992, l’ONU crée la Force de protection des Nations unies et 14 000 casques bleus sont déployés dans les régions croates de la Serbie. S’ensuit près d’une décennie de conflit opposant Serbes et Bosniaques, Croates et Bosniaques musulmans, Serbes du Kosovo et Albanais… Sarajevo est, quant à elle, assiégée et bombardée durant près de 4 années, faisant des civils des victimes de premier ordre.
La Bosnie constitue en effet l’épicentre des massacres, et l’ONU semble bien impuissante, en témoigne le massacre de Srebrenica - 8000 victimes. Les actions des nationalistes serbes choquent l’opinion publique occidentale, ce qui favorise un rapprochement entre Croates et Bosniaques. Les Serbes de Croatie sont eux aussi victimes d’exactions. Cela montre bien le caractère complexe du conflit et l’impossibilité de le réduire à une vision manichéenne, étant donné que dans une certaine mesure tous les peuples furent à la fois victimes et bourreaux.

L’exil des Serbes de Bosnie
Un conflit résolu ?
En 1995, la conférence de Dayton annonce l’issue du conflit en Bosnie. Néanmoins, les Balkans ne sont pas sortis d’affaire puisque l’armée de libération du Kosovo mène une insurrection contre Belgrade, réprimée violemment par les forces de Milosevic. Cette fois-ci, l’intervention de l’OTAN face aux Serbes se révèle rapide et efficace - l'Union européenne peine à apaiser les tensions et demeure impuissante. Pendant deux mois, l’Opération Forces Alliées bombarde les cibles serbes au Kosovo. À l’aube du nouveau siècle, les troubles ne semblent pas cesser. L’indépendance du Monténégro et du Kosovo ne sont actées qu’en 2006 et 2008, et les tensions perdurent.
Si au début du XXIème siècle, certaines nations de l’ex-Yougoslavie ont réussi leur intégration européenne, à l’image de la Slovénie et la Croatie (qui entrent dans l’UE respectivement en 2004 et en 2013), d’autres restent en marge. La Bosnie reste traumatisée et constitue encore aujourd’hui un protectorat international de fait. Le pays est dirigé par pas moins de 3 présidents (un Croate, un Serbe et un Bosniaque) et se trouve dans une situation économique difficile qui pousse de nombreux citoyens à émigrer. La situation kosovare est encore plus critique, et le contrôle politique du pays reste problématique. Quant à la Serbie, qui s’est sentie victime des attaques occidentales, la mémoire se révèle douloureuse. Une grande partie de la population regrette l’indépendance du Kosovo, alors que de nombreux leaders nationalistes serbes ont été condamnés par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY).
La région est donc aujourd'hui caractérisée par de larges disparités, notamment en matière d’intégration européenne. Les maux des Balkans sont multiples : stagnation économique, inquiétante dérive des institutions, etc.
Les migrations illégales ont été très fréquentes au début du XXIème siècle, comme l’exode massif des Albanais en Italie (ils sont les premiers demandeurs d’asile d’Europe). En Bosnie, la corruption et les différends entre les dirigeants ne favorisent en rien la stabilité et les relations avec le voisin serbe demeurent compliquées. Ainsi, une crise politique bosniaque n’est pas à exclure, de même que l’on peut craindre une crise militaire entre la Serbie et le Kosovo après de récentes tensions.

Angela Merkel entourée des présidents serbe et kosovar en mai 2018
Symptôme des difficultés européennes ou conséquence d'une histoire singulière ?
Les Balkans ont toujours fait partie intégrante de l’histoire de l’Europe et les troubles qui y persistent peuvent être vus comme le symptôme d’un dysfonctionnement européen. Transparaissent d’abord les difficultés et les limites de l’intégration européenne. Les relations entre l’Union Européenne et les pays d’ex-Yougoslavie sont complexes et chacun doit promettre son soutien à l’autre.
En mai, le sommet européen portait en partie sur ce sujet et promettait des mesures concrètes. Mais le regard de l’Europe sur les Balkans reste singulier, et l’influence d’autres forces politiques telle que la Russie et la Turquie rend difficile une intégration européenne. Même si certaines mains sont tendues à l’Ouest, il faudra tout de même que les pays candidats à l’intégration dans l’UE s’alignent diplomatiquement avec l’Europe, alors même que nationalistes et partis pro-russes conservent une influence majeure dans la région. Les Balkans sont donc un sujet sensible pour l’Union européenne, qui ne peut se permettre une alliance balkanique avec la Russie ou la Turquie, mais qui ne peut pas non plus faire entrer en son sein des pays fragilisés, corrompus et instables alors même que son avenir ne cesse d’être remis en cause par ses propres membres.
Cette « autre Europe » que constituent les Balkans s’est donc tracée une destinée singulière, qui est à la fois très éloignée de celle de l’Europe occidentale et entremêlée avec celle-ci. Tandis que Macron omet la tragédie yougoslave en déclarant « Nous vivons depuis 70 ans dans un miracle : il n'y a plus la guerre en Europe. » ; Jean-Claude Juncker affirme que « Si l’Union Européenne s’effondre, il y aura une guerre en ex-Yougoslavie ». La volonté d’intégrer une région dépendante et intimement liée au reste de l’Europe tout en refusant d’importer les tensions et les conflits qui y font toujours rage explique la stagnation de la situation.
Les enjeux intra-régionaux sont également très importants aujourd’hui dans les Balkans. Si les discussions reprennent entre les dirigeants des divers pays, les plaies sont encore ouvertes. Deux évènements récents laissent pourtant espérer un apaisement : Athènes a reconnu seulement cet été la République de Macédoine, alors que jusqu’à présent la Grèce refusait d’appeler son voisin par un nom qu’elle considérait comme celui d’une de ses propres provinces. La Serbie et le Kosovo ont, eux, engagé le dialogue sur un potentiel échange de cantons.
Seul le temps semble pouvoir panser les blessures qui déchirent toujours la région. Le souvenir de la guerre est encore très présent, même au sein de la jeunesse. Les difficultés d’intégration à l’espace européen ne pourront se résoudre qu’avec une refonte économique et politique des pays balkaniques, qui devront dans le même temps mettre de côté leurs rancœurs.
Sources :
https://www.franceculture.fr/emissions/affaires-etrangeres/balkans-lautre-europe
http://www.laculturegenerale.com/eclatement-yougoslavie/
http://www.liberation.fr/planete/2018/02/15/l-union-europeenne-angoissee-par-les-balkans_1630048
Sources images :
http://www.francesoir.fr/actualites-monde/kosovo-de-la-guerre-lindependance