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  • Marie-Amélie Amestoy

Salvini, la star de l'été caniculaire survivra-t-elle à un automne qui s'annonce plus que chaotique?

Il n’est que vice-président du Conseil italien et ministre de l’intérieur du gouvernement Conte pourtant on ne parle que de lui dans la presse nationale et internationale. Un nouveau Trump qui tweete plus vite que son ombre (une moyenne de 24 tweets par jour contre 4 seulement pour le président américain), qui ment sans vergogne (feignant d’ignorer que Bruxelles débourse 2,5 milliards d’euros par an depuis 2014 pour la rénovation des infrastructures italiennes), qui voue une admiration sans faille à Vladimir Poutine, et qui reste très populaire dans les sondages avec 72% d’opinions favorables. Son ambition ? Il veut ficher tous les roms présents en Italie, bouter 600 000 migrants hors de la Péninsule qui sont, selon lui, « de faux réfugiés désœuvrés et qui coûtent à l’Italie 5 milliards d’euros ». Un populiste, un clown qui fait plus peur que rire.

Manifestazione Lega Nord a Torino contro l'immigrazione clandestina.
Matteo Salvini en meeting / Fabio Visconti / Wikimedia Commons

Il faut avouer que l’homme est brillant. Il a commencé par éclipser son allié Forza Italia, le parti de Berlusconi (14% des votes aux élections législatives du 4 mars et 17% pour la Ligue). Plus encore, il occulte, petit à petit, son autre grand allié, le Mouvement 5 étoiles (le M5S ou 5 Stelle), qui est pourtant arrivé en tête des dernières élections avec 32% des votes. Il est vrai que le M5S déçoit ses électeurs, souffrant sans doute d’un manque d’expérience et de son ambition d’une refondation complète mais encore peu lisible de la démocratie italienne. La comparaison porte aussi sur le talent des leaders respectifs de ces deux partis : Di Maio, président du M5S, paraît avoir une personnalité moins charismatique que l’omniprésent Salvini. Nul ne peut en effet douter de sa verve et de son talent de tribun de haut vol. Très rarement vu assis derrière son bureau dans son ministère, il préfère parcourir le pays pour aller à la rencontre des Italiens et se complaire dans les bains de foule. Milanais d’origine, issu de la bourgeoisie lombarde et fils de dirigeant d’entreprise, Matteo Salvini adopte un style débraillé, un look de tifoso de San Siro (supporter de l’AC Milan). En synthèse, un homme qui sonne faux dont la diction et le niveau de langue trahissent une éducation bourgeoise qu’il s’attache à cacher. Journaliste de formation, il a fait ses premiers pas en politique au sein des « Jeunesses Padanes », organisation illégale imaginée par Umberto Bossi (père fondateur de la Ligue du Nord). Il s’y révélera être un militant zélé qui soutient l’indépendance de la Padanie (concept géographique utilisé par la Ligue du Nord dans les années 1990 pour désigner la plaine du Pô soit l’Italie continentale et septentrionale) selon lui pillée par la « Roma ladrona » (Rome la voleuse ou l’Italie du Sud perçue comme corrompue et assistée). Ce passé de séparatiste est cocasse quand on sait le soutien dont il bénéficie aujourd’hui de la part de l’électorat du Mezzogiorno... Ce virage de l’autonomie au souverainisme est spectaculaire et l’avoir fait oublier à l’opinion est un véritable coup de maître. Il est vrai que le leader de la Ligue a été parmi les premiers à saisir l’opportunité politique du mal-être d’une Italie qui se sent laissée pour compte, noyée sous les flots de migrants au sein d’une Europe peu solidaire.

Et c’est donc à ce personnage bedonnant de 45 ans, qui poste sur Twitter des photos de lui en famille ou en vacances à la plage, que l’Italie a décidé de confier sa destinée. Ce choix est d’autant plus paradoxal que seuls 25% des Italiens considèrent que l’immigration est la priorité du pays alors qu’ils sont 65% à considérer que la situation économique est le sujet prioritaire. Et malgré tout l’Italie de l’été 2018 est principalement celle de Salvini à l’image pourtant si peu lisse et cohérente. Pour pleinement apprécier cette prouesse, il ne faut pas oublier que son arrivée au pouvoir était tout sauf acquise. Après les élections législatives de mars 2018, l’Italie semblait ingouvernable. La faute à la nouvelle loi électorale instaurée en 2017 et fondée sur un système hybride combinant deux-tiers de représentation à la proportionnelle et un tiers de scrutin majoritaire à un tour. C’est dans ce contexte de blocage et de majorité impossible qu’a prospéré la popularité du M5S, dirigé par Luigi di Maio, successeur de l’humoriste Beppe Grillo. Ce parti, anti élites et surtout antisystème, semblait par construction devoir refuser toute idée d’alliance avec un quelconque autre parti. Pourtant, à la surprise générale et après des semaines de dures négociations, une alliance entre le M5S et la Ligue a été conclue. Une coalition qui semblait improbable car incohérente idéologiquement : ces deux partis n’ont aucun point commun hormis celui de vouloir tout changer. La constitution du gouvernement de cet attelage chaotique a été confiée au juriste Giuseppe Conte, jusqu’alors inconnu du paysage politique. Dans sa première mouture, le nom de Paolo Savona a été proposé au poste de ministre des Finances. Le Président italien, Sergio Mattarella, a refusé la nomination de cet homme de 81 ans, eurosceptique déclaré et qui clame dans son autobiographie que l’euro est une « cage allemande » pour l’Italie. Pour lever ce blocage, Giuseppe Conte a revu la distribution des ministères et a proposé le 06 juin un nouveau gouvernement qui dit « non à l’austérité mais ne tourne pas le dos à l’Europe ». Cette tentative sera la bonne. Sergio Mattarella a accepté la formation de ce nouveau gouvernement et le Parlement a voté sa confiance au « contrat pour le gouvernement du changement ». Telle est la genèse de ce mariage politique contre nature et la preuve malheureuse que la soif de gouverner peut être plus forte que l’idéologie antisystème. L’arrivée aux responsabilités de Salvini s’inscrit dans cet épisode de trois mois d’incertitude, qui a marqué la plus longue crise politique de l’histoire italienne.

Et pour demain ? Jusqu’à présent, la personnalité de Salvini séduit et son intransigeance sur l’immigration fait mouche. Mais ce qu’il a fait ces premiers mois était ce qu’il y a de plus facile. L’heure est venue des réformes profondes et c’est sur ce sujet que l’Italie et Bruxelles l’attendent de pied ferme. En effet, avant la fin du mois de septembre, il documento economico e finanziario devra être mis à jour et indiquera les objectifs financiers à atteindre d’ici quatre ans. Concomitamment, le budget 2019 sera présenté mi-octobre. Ces deux moments-clés de la rentrée donneront le « la » pour les marchés financiers. Au vu de son programme électoral, le gouvernement a 3 principaux projets à initier : l’instauration de la flat tax en lieu et place de l’impôt sur le revenu ; le revenu universel appelé « revenu de citoyenneté » et la remise à plat de la réforme des retraites de 2011 (la loi Fornero). Mises bout à bout, ces réformes promises par la coalition « gialloverde » (jaune et verte qui sont les couleurs de la Ligue et de M5S) coûteraient 100 milliards d’euros sans compter les frais liés au projet de grands travaux motivé par l’effondrement de l’autoroute à Gênes. Ces belles promesses électorales, très aguichantes dans un pays qui compte aujourd’hui 5 millions de pauvres, sont lourdes de menaces pour la solvabilité de l’Italie. Bien sûr, l’UE a des mécanismes de sauvetage qui ont empêché, par exemple, la faillite de la Grèce. Cet apaisement ne peut toutefois être repris pour l’Italie qui, contrairement à ce que d’aucuns pourraient penser, n’est pas too big to fail mais plutôt too big to be saved. Dans ce contexte tendu, comment interpréter les initiatives du ministre des finances, Giovanni Tria, économiste modéré, pour tenter coûte que coûte de rassurer les marchés financiers à quelques semaines de l’annonce du budget 2019 ? Que penser de la volonté du gouvernement Conte de réduire la dette publique par une relance de la demande interne sachant que la mise en place de telles mesures accroîtrait la dette du pays qui s’élève déjà à 132% du PIB et détériorerait encore davantage le « spread italien » situé au seuil record de 290 points de base à début septembre (écart entre les taux d’emprunts italiens et allemands) ? Pour résumer, deux scenarii sont possibles : soit le gouvernement italien revient sur ses promesses de campagne et présente un budget «Bruxelles compatible » avec un déficit public limité à 3% du PIB, rassurant ainsi les investisseurs mais provoquant la colère de son électorat (la rhétorique ne se transforme pas en actes); soit le déficit annoncé est supérieur à 3% avec à la clé sans doute une crise financière mais avec un positionnement affirmé de Salvini et de la Ligue en « défenseur des peuples » contre un « Bruxelles » responsable de tous les maux italiens et un renforcement de l’axe naissant eurosceptique Orban/Salvini. Un élément d’ordre financier pourrait influer dans la façon dont l’opinion publique se positionnera dans ce débat : la confiance des Italiens en l’euro reste indemne et ils ont principalement recours à des emprunts à taux variables notamment pour financer leurs opérations immobilières. Dans l’hypothèse d’une crise financière, l’augmentation du « spread », évoquée précédemment, pèserait sur la charge de remboursement mensuelle des ménages italiens. Ils mesureront alors, dans leur quotidien, le poids de la confiance des marchés financiers envers leur économie.

Et la France dans tout ça ? Ce casino à l’italienne pourrait-il traverser les Alpes ? La presse italienne est très défiante à l’égard du Président Macron : elle le compare au rottamatore (le « démolisseur ») Renzi avec comme points communs d’être jeune, fougueux, de vouloir réformer à tours de bras et d’avoir réussi à éclipser à la fois la droite et la gauche. Effectivement en cette rentrée 2018, aucune vraie opposition n’existe à Macron dans le paysage politique français exceptées l’extrême droite et l’extrême gauche. Mais ces deux compositions politiques ont une base électorale trop étroite pour envisager à court et à moyen terme séparément une majorité. Du scénario italien, on peut toutefois tirer l’enseignement qu’une coalition improbable des extrêmes peut être viable et constituer une véritable alternative à une présidence centriste. Dès lors, peut-on anticiper pour les présidentielles de 2022 l’émergence d’un Salvini à la française ? L’avenir le dira…

Depuis Milan, par Marie-Amélie Amestoy

Sources : l’émission « l’Esprit public » de France culture, le Monde, France info, Le Point, La Reppublica, La Stampa


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