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  • Romane Duvernay

Le Venezuela, symptôme d'une Amérique latine dans la tourmente ?


Il y a un an, avril-juin 2017 : une vague de violentes manifestations populaires contre le projet gouvernemental visant à modifier la Constitution a coûté la vie à plus de 80 personnes. Le Venezuela est un pays au bord du gouffre : catastrophe économique, crise politique, crise sociale et humanitaire.... Quand s’arrêtera donc « El Debacle en Venezuela » dont parlait déjà le journal espagnol El Pais en octobre 2015 ?

Hugo Chavez avait pourtant donné le ton avec son « socialisme du XXIème siècle » et avait suscité l’enthousiasme des progressistes par-delà les frontières. Les réussites sociales, géopolitiques et culturelles des années 2000 marquent en effet une « ère dorée » (« era dorada ») de la révolution bolivarienne inspirée par « el Libertador » Simón Bolívar (1783-1830), héros de l’indépendance contre la métropole espagnole. Aujourd’hui en 2018, le Venezuela est un pays aux situations économiques, sociales et politiques inquiétantes. Le président Maduro, prêt à tout pour se maintenir au pouvoir, tient d’une main de fer son pays, au bord du chaos et de la guerre civile.

Drapeau vénézuélien
David Peterson / Pixabay

Les raisons d’une crise économique sans précèdent

Les chiffres du FMI sont sans appel : l’économie du Venezuela est en totale décomposition. Le pays enregistre aujourd’hui le pire taux d’inflation au monde. Selon Bloomberg, entre début décembre 2016 et fin février 2017, le pays a connu l’équivalent d’un taux d’inflation annuel de 936%. Quant au produit intérieur brut (PIB), celui-ci s’est effondré de 36% ses quatre dernières années ; la pire évolution de toute l’Amérique latine, continent pourtant lui aussi en perte de vitesse. Le Venezuela, pays qui dispose de la plus grande réserve au monde de pétrole peut faillir. En effet, la crise économique qui gangrène ce pays peut s’expliquer par plusieurs faits majeurs.

Tout d’abord, les réserves de change fondent. Cette pénurie de réserves s’explique par la chute du prix du pétrole au Venezuela de 70% par rapport à son record en 2009. De plus, une partie de cette réserve est difficilement mobilisable puisqu’elle est stockée en stock d’or. Cet assèchement des liquidités obère la capacité du gouvernement à assurer le service de la dette.

D’autre part, en plus de la diminution des réserves, la production de pétrole, et la richesse qui va avec, s’effondre elle aussi. Selon un article du Figaro économie, avec plus de 296 milliards de barils, le Venezuela bénéficie de la meilleure réserve au monde de pétrole. Le problème de ce pétrole venezuélien par rapport au saoudien est qu’il est plus lourd ; son extraction et son raffinage demande des coûts bien plus élevés. En plus de cette production à coût élevé, la crise, la corruption et un manque d’investissement chronique l’ont fait chuter. C’est donc une catastrophe pour ce pays dont le pétrole représente la quasi-totalité des exportations. Cet or noir est la principale recette en dollar du pays et ses revenus sont essentiels au financement des programmes sociaux et au remboursement des sommes dues aux créanciers étrangers. Cette baisse de production est reproduite sur le graphique ci-dessous réalisé par le journal Le Monde.

Ensuite, les exportations du pays plongent. Lorsque le cours du baril était au plus haut, le Venezuela ne s’est pas attaché à diversifier ses exportations. En effet, le pétrole représentait 95% de ses exportations. Aujourd’hui ce pays se retrouve sans ressource complémentaire face au pétrole dont la production et les exportations ont diminué.

Cette crise se caractérise donc par un effondrement à la fois des exportations mais aussi des importations. En effet, pour pallier ses réserves en devises, le gouvernement vénézuélien a brutalement arrêté ses importations. Cela a naturellement entrainé de sévères pénuries de produits alimentaires et du quotidien, allant du papier toilette aux couches pour bébé. Plus de 80% des médicaments de base manquent aussi aujourd’hui.

En ce qui concerne le PIB, le FMI a annoncé qu’il s’était réduit d’un tiers depuis 2014. Ayant été longtemps un des pays les plus riches d’Amérique latine, le Venezuela est aujourd’hui ruiné et plongé dans une sévère crise. Selon, Jose Manuel Puente, un économiste de Caracas, "cette année, les chiffres du Venezuela sont pires que pour des économies en temps de guerre". D’ailleurs, au mois de janvier dernier, le président Maduro avait annoncé dans les colonnes de Bloomberg que “2016 avait été l'année la plus dure, la plus longue et la plus difficile que nous avons connue".

Enfin, le Venezuela détient le record de l’inflation la plus forte au monde. Plusieurs causes peuvent être dressées : les contrôles des prix et des changes, et des pénuries qui ont fait flamber les étiquettes. Le gouvernement n’a pour l’instant pas publié d’estimation officielle mais le FMI estime que celle-ci s’envolera à plus de 2000% en 2018.

C’est alors un problème structurel de l’économie vénézuélienne qui explique en partie la crise actuelle. Premier exportateur de pétrole en Amérique latine, le Venezuela est depuis vingt ans de plus en plus dépendants de ses revenus pétroliers. Avec la chute du cours du brut en 2014, c’est tout un pays qui s’est effondré. Ce pays a bénéficié de la rente de l’or noir mais l'économie s'est détériorée et cela depuis la mort d’Hugo Chavez en mars 2013.

Une crise politique qui n’arrange en rien la situation

Alors que le Venezuela traverse l'une des pires crises économiques de son histoire, le chaos règne également depuis trop longtemps du côté politique. Le « socialisme du XXIème siècle » prôné par Hugo Chavez est désormais bien loin. Dès 2013, la légitimité de son héritier désigné, Nicolás Maduro, est déjà mis mal lors des élections présidentielles. Moins de 250 000 voix séparent le candidat socialiste de son adversaire de droite. Depuis, Maduro prêche un chavisme des plus idéologiques, au style autoritaire, notamment avec la liberté d’expression comme l’illustre en 2014 le jugement abusif contre l'opposant Leopoldo Lopez. Quant aux rares missions et programmes d'assistance sociale, que l’ère Chavez avait initiée, elles n’ont été bénéfiques qu’à 10% des ménages vénézuéliens. Pire encore, près de la moitié des bénéficiaires de ces programmes ne sont pas pauvres, reflet encore d’un autre mal vénézuélien : celui du clientélisme et de la corruption.

Le président Maduro semble minimiser la catastrophe économique de son pays et va même jusqu’à rejeter la faute sur les Etats-Unis et une présumée conspiration internationale qui voudrait déstabiliser la révolution bolivarienne, en provoquant artificiellement pénuries et spéculation.

Cette déroute de Maduro s’est soldée inévitablement par la victoire de l’opposition néolibérale, le MUD (Table de l’Unité Démocratique) aux élections législatives de décembre 2015. Mais cette opposition ne propose pas de réelle alternative au chavisme. Elle cherche seulement à démolir tout ce qui a été fait précédemment. Rien n’est ni pensé, et encore moins fait contre la criminalité, l’insécurité ou encore pour régler la crise économique.

Une crise qui alarme et fait réagir la communauté internationale

A l’échelle internationale, ONU, Union européenne et Organisation des Etats américains (OEA) tirent la sonnette d’alarme et s’inquiètent quant à la situation catastrophique du pays sud-américain. Depuis 1 an, la communauté internationale fait pression pour résoudre les graves crises qui secouent le Venezuela. L’année 2017 s’est caractérisée par des discussions, des actions d’organisations internationales, la non-reconnaissance d’un grand nombre de pays de la “constituante” et la création d’un groupe d’observateurs pour la crise (le Groupe de Lima). Les élections présidentielles de 2018 seront une nouvelle épreuve pour l’Occident et sa capacité à faire pression pour garantir la transparence du processus. Obama a même déclaré en 2015 que le Venezuela était une menace pour la sécurité nationale et la politique extérieure des États-Unis. Mais ce n’est qu’en août dernier que le gouvernement des Etats Unis a appliqué la mesure la plus contraignante pour la dictature de Nicolás Maduro : l’interdiction d’augmenter l’endettement de l’Etat vénézuélien ainsi que celui de PDVSA. En riposte, Maduro accuse les États-Unis de préparer un coup d’Etat visant à le destituer et affirme qu’ils soutiennent financièrement l’opposition. Parallèlement aux USA, l’Union Européenne a décidé d’appliquer un embargo au commerce d’armes et au matériel de répression. Nicolás Maduro a expliqué qu’au-delà d’un blocus, ce que le Venezuela affronte est une véritable « persécution » contre le commerce, les comptes bancaires et les mouvements financiers, à laquelle participent des pays comme le Canada et ceux de l’Union Européenne. Et sa réponse fut encore plus violente lorsqu’il annonça unilatéralement son retrait de l’OEA.

Un pays au bord d’une crise humanitaire

Depuis 2016, il existe officiellement un grand débat sur l’existence d’une « crise humanitaire » au Venezuela. Pris en étau entre effarouchées politiques et naufrage économique, la population vénézuélienne vit une situation dramatique : inflation galopante, rareté des produits de première nécessité, files d’attentes interminables devant les magasins, restrictions d’électricité, marché noir et chômage de masse qui atteindrait les 28% en 2020 ... Seule l'essence est abondante et presque gratuite. Pour faire entendre sa voix, le recours à la violence est devenu quotidienne dans ce pays qui serait le deuxième État le plus violent au monde selon un rapport de l’observatoire vénézuélien de la violence.

Mais surtout, face à la dégradation des conditions de vie, des milliers de Vénézuéliens ont quitté le territoire national à la recherche d’un avenir meilleur, notamment en Colombie, où les flux migratoires feraient pression sur les finances publiques. D’ailleurs quand on leur demande pourquoi ils quittent leur pays, ils mettent souvent l’accent sur l’aspect professionnel de leur migration, présentant davantage le caractère économique de leur migration, où leur gouvernement ne peut garantir à la population des conditions de vie digne, du fait de la crise de la dette et de l’inflation. Leur discours efface complètement la complexité des problèmes politiques qui caractérisent la situation nationale, fruit de l’affrontement entre le gouvernement et l’opposition.

Ainsi, cette migration est présentée comme économique dans un contexte de crise humanitaire et est bien déterminée par la forte dégradation des conditions de vie de la grande majorité de la population et les violences ou les répressions qui existent dans le cadre de l’affrontement politique.

Le Venezuela est loin d’être un cas isolé : c’est tout un continent qui est à la dérive

La délinquance, le taux de criminalité, une justice insuffisante, les narcotrafiquants, la corruption de la « bolibourgeoisie », la dégradation de la santé publique, tout ceci configure un panorama qui rappelle inévitablement la dictature castriste, el « Corralito » en Argentine ou encore la violence des cartels mexicains et des Maras en Amérique centrale.

2015 est sans aucun doute une année de rupture en Amérique latine. Tout d’abord en Argentine et après douze ans au pouvoir du couple Kirchner, la victoire du libéral Macri en novembre 2015 annonce un tournant pour la gauche bolivarienne qui vivait sa période dorée depuis une décennie. Seulement quelques semaines après ce virage à droite de l’Argentine, les élections législatives au Venezuela annoncent elles-aussi la victoire de l’opposition au Parlement. Puis en février 2016, c’est au peuple bolivien de dire non au referendum du Président Morales qui souhaitait briguer un 4ème mandat après 2019. Quant au président Equatorien, Rafael Correa, il a renoncé à briguer un second mandat cette année. Le Brésil vit aussi des heures difficiles. Le pays traverse la pire récession de son histoire depuis deux ans après avoir connu un taux de croissance de son PIB de 3.5% par an en moyenne pendant les années de présidence de Lula et de Dilma Rousseff. A gauche comme à droite, l'échiquier politique brésilien est éclaboussé par le scandale Petrobras. Le Président conservateur Michel Temer, successeur de Dilma Rousseff (destituée en aout 2016 par le Sénat pour maquillage de comptes publics) est lui-même impliqué.

Ainsi, une vague de changement ébranle l’Amérique latine. Après des années de croissance et de progrès social, ces crises économiques et politiques laissent apparaitre une société nouvelle réclamant une meilleure démocratie. Cette nouvelle génération ne tolère plus ni la corruption, ni le pouvoir absolue.

Conclusion : ce qui reste à faire en 2018 ?

Le Venezuela bolivarien a été le premier, et incontestablement le plus radical, des gouvernements dits « progressistes » à s’établir en Amérique latine dans les années 2000 sur la base d’un fort soutien du peuple. Le régime a réussi à implanter un système clientéliste à des fins électorales et contrôle d’une main de fer les institutions de l’État, qui ne jouissent donc d’aucune indépendance. De même, la Révolution Bolivarienne a gagné les élections municipales du 10 décembre, en obtenant 308 mairies sur 335, soit 93% des municipalités... Le chavisme s’est imposé dans 22 (des 24) capitales, dont Caracas. Tandis que la contre-révolution confirmait son impopularité avec une chute libre de ses électeurs. Perdant plus de 2 millions 100 mille votes... En montrant au monde la vitalité de son système démocratique, le Venezuela fut le seul pays à organiser, en 2017, trois grandes élections nationales... Toutes trois gagnées par le chavisme.

Une défaite aux présidentielles de 2018 résonnerait tout d’abord comme un « non » cinglant au chavisme pour tout un pays entier. Mais ce serait également une écrasante défaite pour toute une gauche à l’agonie en Amérique Latine. Progressivement, la communauté internationale prend conscience du rôle qu’elle doit jouer. Loin de légitimer le gouvernement et de rassurer les investisseurs internationaux, les élections dévoilent le caractère dictatorial de Maduro. S’il a pu profiter des divisions de l’opposition, l’octroi du Prix Sakharov à l’opposition vénézuélienne par le Parlement Européen le 26 octobre représente une main tendue. Après le temps des condamnations, l’heure de l’action de la communauté internationale a sonné. Une petite nuance : en août dernier, Trump signait un décret interdisant l’achat de nouvelles obligations à Caracas. De telles sanctions aggravent la situation sociale, mais surtout alimentent la théorie du complot impérialiste défendue par Maduro. La rupture du rapprochement avec Cuba initié sous Obama permet également au Venezuela de garder un de ses rares allies, alors que l’isolement favoriserait la discussion. Si quelques lueurs d’espoir pour entamer une résolution de la crise vénézuélienne existent, le chemin s’annonce long et périlleux...

Nous pouvons pour finir par noter que la récompense du World Press Photo de 2018 a même été attribuée en avril dernier au Photographe, Ronaldo Schemidt, pour sa photo d’un jeune homme brulé par une explosion lors de manifestations contre le président Maduro à Caracas en mai 2017.

Charlène Buchart et Arthur Dufour ont contribué de manière non-négligeable à la rédaction de l'article. Nous les en remercions.

Sources :

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