- Éric Joubert
Tempête de sable au Sahel
Presque 4 ans après le lancement de l’opération Barkhane (du nom d’une forme particulière de dune de sable) à la suite des opérations Serval et Épervier, l’armée française continue son combat au Sahel après avoir déployé plus de 3.000 militaires. Face à la progression de la menace terroriste et du crime organisé, causant la déstabilisation de la région, la France intervient militairement dans la zone en dirigeant les opérations depuis N’Djamena (Tchad). Officiellement, l’armée française doit aider les États partenaires à acquérir la capacité d’assurer leur sécurité de façon autonome : c’est la partie sécurité de la stratégie globale de la France au Sahel, qui comprend aussi une stratégie politique et de développement. Aujourd’hui, le bilan est mitigé : 13 soldats français sont morts depuis le déclenchement de l’opération Barkhane, les États partenaires ne semblent pas prêts à un départ des troupes françaises, les groupes djihadistes (AQMI, Ansar Dine, État Islamique) prolifèrent (le nombre de combattants est, selon les estimations, passé de 400 à 3000 hommes); le conflit a muté en guérilla face à laquelle une armée conventionnelle comme celle de la France a bien du mal à lutter.
L’enlisement est à craindre, prédire le futur de la région est aussi difficile que de voir en pleine tempête de sable.

Retour sur l'intervention française au Sahel
Afin de comprendre la situation actuelle, il convient d’étudier les relations qu’entretient la France avec les pays de la région. Or la France y est présente depuis longtemps grâce à son histoire coloniale : le Mali, le Tchad, le Cameroun, le Niger, la Côte d’Ivoire, etc. sont toutes d’anciennes colonies françaises devenues indépendantes après la Seconde Guerre mondiale (l’autonomie des colonies impériales était une clause demandée par Théodore Roosevelt lors de la rédaction de la Charte de l’Atlantique). La France a cependant toujours gardé un lien politique et économique important avec ses colonies, lien souvent qualifié de néocolonial : c’est ce qu’on a appelé la « Françafrique ». Cette relation entre la France et ces pays est mise en place à la demande du général De Gaulle et se caractérise par le rôle des réseaux extra-diplomatiques (services de renseignement, entreprises, etc.) et l'ingérence directe des autorités françaises dans les affaires intérieures des anciennes colonies. Aujourd’hui, ce terme est utilisé péjorativement pour dénoncer l’interventionnisme français dans les affaires internes africaines (globalement avec tous les pays francophones) sous forme d’actions politiques, économiques et militaires : un exemple très médiatisé fut « l’intervention Licorne » en Côte d’Ivoire, officiellement conduite afin de protéger les ressortissants français présents dans le pays (alors en pleine crise politico-militaire) et qui a conduit à l’arrestation de l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo en 2011 à la demande de son opposant, Alassane Ouattara, qui se déclarait victorieux aux élections présidentielles.
Mais une opération militaire française plus ancienne que cela perdure encore aujourd’hui et a pris de l’ampleur : l’opération Barkhane. Contextualisons : en 1978, un conflit éclate entre le Tchad et la Libye pour le contrôle de la bande d’Aozou, zone stratégique revendiquée par la Libye, riche en uranium et pétrole, et contrôlée jusqu’à présent par le Tchad. Face à l’invasion militaire libyenne de la zone, la France décide de déclencher l’opération Manta entre 1983 et 1984 afin d’appuyer militairement les tchadiens ; par la suite, la France déclenche l’opération Épervier en 1986 après le coup d’état survenu au Tchad contre Goukouni Oueddei (soutenu par la Lybie de Mouammar Kadhafi) et la prise de pouvoir par Hissène Habré (soutenu par la France et les États-Unis). Les forces Épervier resteront dans la zone même après la défaite libyenne et l’acceptation d’un cessez-le-feu en 1988 par Mouammar Kadhafi.
Non loin de là et 25 ans plus tard, l’opération Serval est lancée au Mali avec pour objectif de soutenir l’armée malienne dans sa guerre contre les groupes armés islamistes ayant pris le contrôle de l’Azawad, région désertique située au nord du pays. Afin de continuer dans l’objectif de stabiliser la zone, l’opération Barkhane sera officiellement lancée en août 2014, en réunissant les opérations Serval et Épervier : les forces françaises sont présentes en tant que renfort logistique et militaire des pays de la zone sahélo-saharienne (le G5 du Sahel, formé par la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Tchad et le Niger). Cette opération militaire fêtera ses 4 ans dans quelques mois et reste controversée : lors de l’opération Serval, les djihadistes maliens avaient presque réussi à prendre possession de Bamako, la capitale malienne, preuve que les pays du G5 du Sahel ont encore des progrès à faire en matière militaire (d’où la permanence militaire française à la demande du G5 sahélien) ; cependant, l’armée française ne pourra pas rester indéfiniment dans la zone : ces opérations ont des coûts financiers et humains importants pour la France, en plus de dégrader l’image de l’armée française, souvent perçue comme une force coloniale par les locaux.

La France doit-elle changer son modèle d'intervention ?
Cette question se pose légitimement dans la mesure où la solution militaire est une solution de court terme : éliminer ou capturer les djihadistes n’est pas une garantie que d’autres groupes se formeront et se soulèveront pour mener des actions de guérilla. De plus, les guerres ont changé d’aspect : nous ne sommes plus dans un scénario où deux armées combattent face à face mais bien dans le cas d’une véritable guérilla ; or comme dans quasiment tous les cas de guérilla (Colombie, Afghanistan, etc.), il est très difficile voire impossible de gagner par la force des armes, et c’est pour cela que le mode d’intervention français doit changer afin d’éviter l’enlisement dans la zone (comme les Américains au Moyen-Orient). Ce nouveau mode d’intervention doit s’articuler autour de trois piliers fondamentaux dont deux nouveaux : politique (lutte contre la corruption et instauration d’une coopération régionale), développement économique (palier les impasses faites jusqu’à présent) et formation militaire (aider les États dans l’exercice de leurs fonctions régaliennes).
Ces trois objectifs ont depuis 2014 été inclus dans la stratégie française de renouvellement des relations entre la France et les pays du G5 du Sahel, notamment dans le cadre de l’opération Barkhane ; à travers de nombreuses institutions (Agence Française du Développement), partenaires publics et privés, etc., l’Hexagone investit énormément dans le développement économique de la région (1,2 milliards d’euros pour l’année 2017) à travers la construction d’infrastructures, de plans d’aide au développement, d’accès à l’éducation, etc. Aussi, dans le cadre du G5 sahélien, une véritable coopération militaire a été établie, avec la création d’une force militaire conjointe (financée en majorité par l’Union Européenne, l’Arabie Saoudite, les États-Unis et les Émirats Arabes Unis) et une formation à l’art de la guerre conduite par l’Armée de Terre française, une première étape vers une meilleure autonomie de la région. La France, à travers la voix de son président récemment élu Emmanuel Macron, a profité du Sommet du G5 sahélien en 2017 pour réitérer son soutien politique et économique aux pays de la région, et d’une visite du nouveau président du Libéria en 2018 à Paris pour annoncer l’élaboration d’un nouveau plan de développement économique pour l’Afrique (dans le cadre de sa politique de refondation des relations entre la France et les pays africains).

Quel futur pour la région ?
C’est la question la plus importante : à l’heure actuelle, les pays ne sont pas prêts à voir les troupes françaises rentrer en France ; le seront-elles un jour ? Oui, aimerions nous dire, et il faut espérer que ce soit un jour le cas. Beaucoup d’efforts restent à faire pour les pays d’une région considérée comme étant l’une des plus pauvres au monde, mais rien n’est impossible, surtout lorsque l’on possède les éléments pour y parvenir.
Dans un premier temps, les pays de la région peuvent compter sur l’appui de l’Occident (et non plus uniquement de la France) : l’UE a accepté de financer la zone à hauteur de 8 milliards d’euros sur la période 2012-2020, doublant ainsi sa contribution, et l’Allemagne à hauteur de 1,4 milliards d’euros (200 millions d’euros de plus que la France !). Il faut dire que les pays européens sont concernés par la stabilité de la région : l’immigration de masse et le terrorisme que connaît aujourd’hui le Vieux Continent possèdent leurs racines dans les maux de ces régions ; les éradiquer est une première étape vers la résolution de ces deux problèmes. Renforcer la coopération régionale, en donnant plus d’importance à l’Union Africaine, constituerait aussi un progrès majeur : des liens politiques et économiques plus forts permettraient à ces pays de connaître des avancées économiques fulgurantes étant donné le potentiel du continent : ressources naturelles, démographie importante, investissements étrangers. Toutes les cartes sont dans leurs mains. Ces pays connaitront un développement stable, mais ce dernier doit pouvoir être durable ; ce sont aussi ces régions qui sont touchées par le dérèglement climatique, et ces régions doivent aujourd’hui faire face à l’un des défis les plus difficile et important du XXIème siècle : trouver un modèle de développement économique respectueux de l’environnement.
Le changement ne doit pas seulement venir de l’extérieur : il doit également venir de l’intérieur, car la corruption, les dictatures et autres régimes autoritaires muant en dynasties ne pourront pas changer avec une intervention des puissances occidentales, ces dernières manquant de légitimité. C’est de la nouvelle génération qu’elle doit venir, à l’image du Liberia, pays marqué par les conflits et autres fléaux, qui a choisi la voie de l’espoir en élisant George Weah comme nouveau président en 2018.
Sources :
http://regardssurlaterre.com/crises-et-conflits-au-sahel-etat-des-lieux-et-enjeux-economiques
http://www.senat.fr/rap/r15-728/r15-7285.html
https://information.tv5monde.com/afrique/g20-quel-avenir-pour-le-developpement-de-l-afrique-179787
https://information.tv5monde.com/afrique/g20-quel-avenir-pour-le-developpement-de-l-afrique-179787
https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2016-1-page-150.htm
https://information.tv5monde.com/afrique/g20-quel-avenir-pour-le-developpement-de-l-afrique-179787
https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2016-1-page-150.htm
Sources images :