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  • Ines Mahiou

Les Etats africains sont-ils réellement condamnés à l'errance politique ?


Un continent face à ses responsabilités. L’Afrique, dans son ensemble, affronte une crise de gouvernance de grande ampleur, tiraillée entre velléités démocratiques et spécificités géopolitiques tirées de son passé. Toujours soumis au jeu des grandes puissances économiques et stratégiques depuis leurs indépendances, les États africains cherchent à s’émanciper de modèles politiques vu comme inadaptés à des États nés, pour la grande majorité d'entre eux, dans des circonstances particulières.

Des États entre deux mondes

Les États africains ont acquis leurs indépendances grâce à des mouvements largement soutenus par l'un des deux blocs, que ce soit grâce à une aide militaire active (Cuba au FLN algérien) ou un support diplomatique (États-Unis au PI marocain). Ces initiatives ont modifié les zones d'influences existantes et les bases de ces nouveaux États sont issues de deux influences concomitantes. Des anciennes puissances coloniales tout d'abord, les chefs de file de ces mouvements ayant parfois participé à la vie politique européenne ou étudié en Europe, comme Léopold Sédar Senghor, ancien député et ministre français avant de devenir Président du Sénégal. Des leaders des blocs ensuite, le Maroc ayant, par exemple, signé dès son indépendance un "accord d'assistance technique et économique" avec les États-Unis tandis que la quasi-totalité des autres États se tournaient vers l'URSS et adoptaient un régime à obédience socialiste.

Certains de ces nouveaux États ont alors planté les graines d'une conception africaine des institutions, sous la forme de deux idéologies qui se plaçaient dans le sillage des influences étrangères ou, au contraire, en totale opposition. On a ainsi la "voie africaine du socialisme" dans une "Afrique des États" démocratique, portée par Senghor, et un panafricanisme se voulant socialiste et autoritaire, porté par Kwame Nkrumah, dirigeant du Ghana. Ce dernier s'exprima en ces termes lors de la conférence des États indépendants d'Afrique en 1963 : "Nous autres Africains, qui poursuivons actuellement notre unité, sommes parfaitement conscients de la validité de notre intention. Nous avons besoin de la force de nos populations et de nos ressources mises en commun pour nous garder du danger très réel du colonialisme, qui revient sous des formes déguisées […].

Nous en avons besoin pour assurer la libération totale de l’Afrique.".

L'Afrique, "une et indivisible", serait formée d'États dont les frontières ont été dessiné arbitrairement par les puissances coloniales et qu'il faudrait unir, au sein de ce qui deviendra l'Organisation de l'Unité Africaine en 1963. Nkrumah et Senghor envisageaient d'adapter le marxisme à une réalité africaine religieuse et multiethnique et d'accélérer la décolonisation économique et culturelle qui bridait toute possibilité d'indépendance politique des États africains. Ces deux visions des institutions associées aux différentes influences extérieures ont mené à un développement très inégal de la gouvernance en Afrique, allant de la démocratie aux "États faillis". Comment expliquer de telles disparités ? La fin de la Guerre Froide a accéléré la polarisation des États entre des modèles autoritaires et des modèles néo-démocratiques et la mutation des défis sur "le continent de l'extrême" (Georges Courade) expliquent l'existence de l'un ou de l'autre.

Source : Fondation Mo Ibrahim

L'Afrique, un vivier de modèles politiques ?

Mais loin des clichés d'une gouvernance africaine uniforme, avec des pays incapables de se concevoir politiquement, les États africains sont un foisonnement de modèles, dont la virulence, et parfois l'autoritarisme, au pouvoir ou en dehors, peuvent parfois être incompris sur l'autre rive de la Méditerranée. L'arrêt du processus électoral par l'armée en Algérie, après la victoire du Front Islamique du Salut aux élections législatives de 1991, avait fortement choqué l'opinion publique occidentale, française notamment, soulignant une "armée en réserve de la démocratie" (Le Monde, 1er janvier 1992). Un article qui paraît dénué de compréhension réelle des enjeux compte tenu de la position politique de ce mouvement et alors que le pays avait ouvert pour la première fois les élections aux partis politiques autres que le FLN, parti unique depuis 1962.

Un État ignorant un résultat démocratique en l'écrasant au nom de la protection de l'État de droit contre un État islamique. Ce qui peut être perçu comme un paradoxe dénué de logique résulte de la longue maturation des idéologies politiques africaines en des systèmes politiques unissant les contraires. De l'État démocratique ghanéen garanti par les différentes communautés mais aussi par... l'armée, à la "dictature modèle" rwandaise alliant une répression féroce à des résultats économiques et sociaux extraordinaires sur le continent, ces alliances des contraires peuvent produire tout à la fois des régimes politiques autoritaires, à l'image du Rwanda de Paul Kagame, homme fort du pays après avoir pacifié le pays et réélu à 98% des voix le 4 août, et des régimes politiques au fonctionnement démocratique unique, capables d'une véritable alternance politique comme le Ghana et le Liberia, plus ancien pays indépendant d'Afrique, qui a porté au second tour le sénateur (et ancien joueur de football !) Georges Weah, qui succèdera, en cas de victoire, à Ellen Johnson Sirleaf, première femme élue à la tête d'un pays africain.

En outre, la voie vers une "démocratie à l'africaine" se concrétise à travers l'importance accordée aux institutions régionales et le rôle majeur joué par la société civile dans le processus politique. Bien qu'elle peine à imposer ses vues, l'Union Africaine, fondée en 2002, a établi le droit d'ingérence comme fondement de l'organisation afin de préserver les droits de l'homme. Le vingt- huitième sommet, qui s'est déroulé en janvier, prouve que certains pays, en l'occurrence le Maroc, accordent de l'importance à une institution critiquée pour son incapacité à fédérer les États africains. Mohammed VI a montré cette importance en assurant que "L'Afrique est mon continent, et ma maison". La société civile, quant à elle, joue un rôle qui est loin d'être anodin, comme le souligne Kadya Tall dans son livre Mobilisations collectives en Afrique. Elle peut être à la fois un contrepoids passif au pouvoir en place, en adoptant volontairement ou involontairement l'abstention comme outil de contestation, mais également actif, en soutenant avec vigueur l'alternance politique. Ceci s'est observé lors du Printemps Arabe au Nord mais également sur le reste du continent, avec le soulèvement populaire burkinabé de 2014 contre le président Blaise Compaoré qui souhaitait réviser la Constitution pour briguer un nouveau mandat (après 27 ans passés au pouvoir) ou après l'invalidation de l'élection présidentielle kenyane d'août 2017 par la Cour Constitutionnelle du Kenya suite aux affrontements de rue qui ont suivi des résultats truffés "d'irrégularités".

Sans la mobilisation active des citoyens, il n'y aurait sans doute eu aucune alternance politique à la tête de ces États. C'est cette exclusivité politique africaine et la volonté de créer des structures étatiques inédites, des régimes autoritaires claniques aux "démocraties populaires", qui était soulignée par Thomas Sankara, le "Camarade-Président" burkinabé dont on fêtait l'anniversaire de l'assassinat le 15 octobre 2017, lorsqu'il déclara : "Nous ne pouvons laisser à nos seuls ennemis d'hier et d'aujourd'hui le monopole de la pensée, de l'imagination et de la créativité".

 

Sources :

  • COURADE Georges, Belin, Paris,2014

  • HUGON Philippe, Armand Colin, Paris,2016

  • SAKPANE-GBATI Biléou, Revue Ethique publique, vol. 13, n° 2, 2011 : Dialogues pour réinventer ladémocratie

  • SENGHOR Léopold Sédar, , discours, conférences, Le Seuil,1971

  • TALL Kadya, Brill,2015

#Afrique #politique

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