- Emma DUREUX
Les élections fédérales allemandes en 5 questions

1. De quoi parle-t-on ?
Le 24 septembre 2017, les citoyens allemands se sont rendus aux urnes pour élire leurs députés au Bundestag (le Parlement allemand). Rappelons que l’Allemagne n’a pas les mêmes règles électorales qu’en France : le prochain chancelier allemand ne sera pas directement élu au suffrage universel direct, mais par les députés du Bundestag, à la majorité absolue des voix et selon la proposition du président fédéral (qui est, depuis le 19 mars 2017, le social-démocrate Frank-Walter Steinmeier, ancien ministre fédéral des Affaires étrangères).
2. Quel paysage politique dans l’Allemagne d’aujourd’hui ?
Le CDU est l’Union chrétienne-démocrate d’Allemagne. Parti historiquement de droite, il est constitué de libéraux conservateurs, catholiques mais aussi protestants. Les militants sont appelés « Die Schwarzen », littéralement Les Noirs, de la couleur du parti, et incarnent les idées de la démocratie chrétienne défendues à l’époque par Konrad Adenauer. Sa variante bavaroise s’appelle le CSU, Union chrétienne-sociale, qui est un parti plus conservateur et chrétien. Le FDP (« die Gelben », les Jaunes) est le parti libéral-démocrate et se situe au centre. Le SPD et ses militants « Die Roten » (les Rouges) représentent le parti social-démocrate, qui a renoncé au marxisme pour l’économie de marché. Alliance 90 (« die Grünen ») regroupe les écologistes et se situe à gauche. Die Linke est le parti d’extrême-gauche, communiste et anti-libéral.
Il est important de mentionner d’autres partis comme Alternative für Deutschland (AfD), le parti euro-sceptique fondé en 2013 ; le Parti Pirate qui avait obtenu près de 9% des voix en 2011 (protection de la vie privée et libre accès aux documents administratifs) et enfin un parti néo-nazi qui existe sous le nom de NPD (Nationaldemokratische Partei Deutschlands), fondé en 1964 par des militants d’extrême-droite radicale.
3. Pourquoi ces élections représentent tout de même un tournant en Allemagne ?
D’un point de vue purement extérieur, on pourrait penser que la situation reste stable depuis 12 ans et la première élection d’Angela Merkel. En effet, la chancelière explose des records de longévité politique en Europe, alors que l’époque est relativement instable pour les autres chefs d’Etat. Le chômage est au plus bas, ayant baissé de moitié depuis son arrivée au pouvoir. De plus, la politique économique et sociale menée par la chancelière a été beaucoup plus à gauche, subtilisant des idées à ses adversaires politiques socialistes, comme l’abandon du nucléaire, l’augmentation des places en crèches pour les enfants et l’accueil des réfugiés , se séparant ainsi petit à petit des lignes traditionnelles de son parti, le CDU. Globalement, les Allemands sont très optimistes et satisfaits de leur pays et de leur situation personnelle. D’autant plus qu’au milieu d’un paysage international dominé par des leaders comme V. Poutine, R. T. Erdogan ou D. Trump, Angela Merkel est pour beaucoup un symbole de stabilité et d’expérience sur la scène internationale.
Pourtant, les élections ont pris cette fois-ci une tournure différente. Les conservateurs (CDU/CSU) n’ont pas dépassé la barre des 33% ; le parti social-démocrate (SPD) est en débâcle (20,5%), affichant son score le plus faible depuis la Seconde Guerre Mondiale ; enfin, les libéraux (FDP) refont leur entrée au Parlement (il faut en effet obtenir plus de 5% des voix pour obtenir des sièges au Bundestag, pourcentage non atteint en 2013).
Surtout, l’Allemagne et ses voisins européens sont sous le choc du succès de l’extrême-droite, qui a séduit une nouvelle fois un nombre important d’électeurs, avec un score historique de 12,6% des voix. Pourquoi un tel succès ? L’Allemagne s’est peut-être normalisée du point de vue du paysage politique européen, et désormais voter pour un parti d’extrême-droite ne serait plus synonyme de soutien au nazisme. Par ailleurs, certains territoires de l’ex-Allemagne de l’Est (voir carte ci-dessous) sont moins connectés aux grandes aires urbaines, situation qui découle directement de l’histoire de cette région (région peu ouverte sur l’étranger jusqu’à la chute du mur de Berlin) ; l’arrivée importante de réfugiés dans cette partie de l’Allemagne a développé en retour un sentiment identitaire très fort qui s’est traduit dans les urnes.
4. Les défis internes à relever pour le prochain chancelier
Après ce scrutin, il reste à construire une coalition pour gouverner. Suite à leur plus mauvais score depuis l’après-guerre (20,5%), les sociaux-démocrates du SPD ne rejoignent pas la coalition (le modèle de la « Grande Coalition », CDU et SPD, a été suivi depuis 2005) et partent désormais sur les bancs de l’opposition. Par conséquent, et puisque les libéraux du FDP reviennent au Bundestag (10,7%), une alliance inédite se profile : les conservateurs du CDU, les libéraux et les Verts (8,9%). Cette coalition est surnommée « Jamaïque », en référence aux couleurs noir-jaune-vert des trois partis et elle n’a jamais existé au parlement pour une bonne raison : libéraux et Verts s’opposent clairement sur les questions de l’immigration, du diesel ou encore de la sortie du charbon.

En 2018 donc, le gouvernement d’Angela Merkel devra s’atteler aux défis de l’intégration des réfugiés ou encore au sentiment d’injustice sociale qui grandit : en 2014, 20,6% de la population allemande était exposée au risque de pauvreté (Eurostat). C'est plus qu'en France (18,5%) et le principal accusé est connu sous le nom de « Hartz-IV », cette réforme sociale-démocrate initiée sous Gerhard Schröder et dont a hérité A. Merkel en 2005, qui a notamment eu pour effet de durcir les conditions d’indemnisation des chômeurs. « Avec Hartz-IV, on a cherché à donner de l'emploi à ceux qui n'en avaient pas, quitte à ce que cela soit dans des conditions précaires, mais c'est aussi ce qui explique pourquoi l'Allemagne de l'Ouest conserve un taux de chômage inférieur à ses voisins européens », rappelle le professeur français Jérôme Vaillant (RTS Info).
5. Quel avenir pour l’Allemagne dans l’Union Européenne ?
Ces élections sont une mauvaise nouvelle pour l’Europe, plus particulièrement pour la France d’Emmanuel Macron. En effet, il s’agit désormais pour nos voisins de négocier l’avenir et de trouver une coalition, ce qui pourrait mettre l’Allemagne du côté des abonnés absents sur les questions européennes le temps que ces tractations se fassent, comme ce fut le cas en 2013. De plus, le retour des libéraux au pouvoir pourrait gêner le président français dans son projet de réforme de la zone euro : un budget commun serait « une ligne rouge » selon les libéraux, qui ne veulent pas se retrouver à payer les dérapages financiers de autres pays (AFP). Enfin, au regard du score de l’AfD, l’Allemagne envoie un message relativement clair : il n’est plus question de se montrer davantage solidaire des autres Européens. Certes, les Allemands ont donné une nouvelle fois les clés du pays à Angela Merkel, mais une plus grande proportion de la population est désormais largement réticente à céder du terrain sur l’accueil des réfugiés ou bien les questions européennes. Au-delà des défis européens, d’autres questions internationales seront à l’ordre du jour : que faire de la relation avec la Russie par exemple ? Angela Merkel est toujours restée ferme face à la Russie sur la question de l’Ukraine, mais après ces élections, la chambre des députés est devenue à majorité pro-russe (historiquement, seuls le CDU et les écologistes refusent de lever les sanctions).
« La tâche ne sera pas simple dans un pays où l'on aime rien moins que le changement, où les certitudes et la confiance dans les règles, même lorsqu'elles sont dépassées, demeurent un credo national », estime Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Schuman (Le Point).
Sources :
https://www.contrepoints.org/2013/09/27/140516-fdp-siege-au-bundestag