- Eric Joubert
Pékin et Hong Kong : le bras de fer chinois
Rétrocession & tensions : une union contestée
L’actualité hongkongaise a été marquée ce mois de juillet 2017 par deux événements qui firent grand bruit : le premier concerne les célébrations pour les 20 ans de la rétrocession de Hong Kong à la Chine, avec la venue de Xi Jinping (pour la première fois depuis son arrivée au pouvoir en 2012). Le Président chinois a clairement fait comprendre son intention de soumettre la ville une bonne fois pour toute à l’autorité de Pékin, en déclarant notamment que « tout acte de défiance envers Pékin était inadmissible » (selon le discours officiel). Sa venue aura été marquée par une démonstration de force : blocage de certaines rues, présence policière massive, 3 000 soldats de l’Armée Populaire de Libération (APL) mobilisés, etc.

Le président chinois Xi Jinping lors de la célébration des 20 ans de la rétrocession de Hong Kong à la Chine
Deuxième fait marquant : 4 députés de l’opposition ont été déchus de leurs mandats par la Haute Cour de Hong Kong, politiquement alignée sur Pékin, pour avoir mal prêté serment, l’un d’eux se voyant reproché par le juge le ton sur lequel il a prononcé le mot « pays », « un ton insinuant des doutes, voire un manque de respect, vis-à-vis de la Chine en tant que puissance souveraine légitime de Hongkong » (propos recueillis par Le Monde).
Ces événements surviennent après la Révolte des Parapluies de 2014 (mouvement aussi connu sous le nom d’« Occupy Central », Central étant le quartier des affaires) dont les militants (près de 500 000) réclamaient plus de liberté pour Hong Kong. Ce mouvement avait par la suite réuni près d’un million de Hongkongais pour le référendum sur l’instauration d’un suffrage universel direct pour élire le Chef de l’exécutif (plus haut poste politique à Hong Kong) [1], mais s’était soldé par un échec après 79 jours de mobilisation. Cet échec a incité les militants à réclamer une rupture totale avec la Chine, bien que beaucoup estiment – probablement à juste titre – que cela mettrait en péril l’économie et la survie de Hong Kong. Le mouvement est malgré tout représenté à la Chambre de Hong Kong (LecGo) par 5 membres du parti Demosisto, formé par Joshua Wong (figure de la révolution de 2014) après les élections législatives de 2016.

Des manifestants lors de la Révolte des Parapluies de 2014
Aujourd’hui, il revient à Carrie Liam, nouvelle Chef de l’exécutif à Hong Kong élue en mars 2017, d’apaiser les tensions entre le dragon asiatique et le géant Chinois. Mais rien ne paraît plus difficile face à l’immobilisme de Pékin et aux revendications toujours plus extrêmes des indépendantistes, eux aussi peu enclins à la négociation.

Le Dragon asiatique fait-il encore le poids face à l’Empire du Milieu ?
Hong Kong bénéficie avec Macao d’un statut spécial au sein du territoire chinois, grâce aux négociations menées par le Royaume-Uni au moment de la rétrocession [2]. Mais l’une des raisons pour laquelle la Chine épargnait jusqu’à présent Hong Kong de toute forme d’entrave était liée à son poids économique en comparaison avec le reste de la Chine. Est-ce encore le cas ? Non. En effet, en 1997, année de la rétrocession, Hong Kong produisait l’équivalent de 18% du PIB chinois, contre seulement 3% aujourd’hui : le dragon n’a plus la même puissance qu’auparavant, et des villes comme Shanghai lui font déjà de l’ombre sur le plan économique.
Or si Hong Kong venait à perdre sa place de n°1 des places financières en Asie, nul doute qu’il sera difficile pour les Hongkongais avides d’indépendance de faire entendre leurs revendications ; une ville de seconde zone aura en effet du mal à convaincre Pékin, qui voit d’un mauvais œil certaines de leurs actions (l’instauration d’un référendum sur l’autodétermination ou les différentes manifestations antichinoises par exemple), et qui n’hésite pas à lancer des représailles (le référendum de 2014 qui pouvait aussi se faire via internet a subi une cyberattaque massive le jour de son lancement). Et le déclassement de Hong Kong est un risque à prendre en compte, étant donné que la Nouvelle Route de la Soie (lancée en 2013) est une priorité diplomatique pour Xi Jinping : ce projet de 4.000 milliards de dollars US pourrait en effet permettre à une autre ville d’émerger comme nouvelle place forte pour la finance en Asie et être une porte d’accès au marché chinois.
Sur le plan géopolitique, il est clair que la situation a changé : un temps protégée par les Britanniques – lorsque ces derniers pouvaient toujours se permettre de contrarier la Chine – Hong Kong est aujourd’hui livrée à elle-même. Les Occidentaux se contentent de quelques tentatives d’apaisement par voie diplomatique, sans que cela semble réellement affecter ou intéresser la Chine, et Hong Kong ne possède pas de forces armées propre à son territoire (à la différence de Singapour qui, sous les gouvernements successifs de Lee Kuan Yew, a développé une force militaire efficace) : en effet, lors de la rétrocession, c’est l’Armée Populaire de Libération qui a été chargée de la défense du territoire de Hong Kong.
Mais une question demeure en suspens : celle de la jeunesse. Ceux qui faisaient partie du mouvement Occupy Central étaient en majorité des étudiants, de 18-25 ans ; ceux qui se réclament pro-démocratie et pro-indépendance sont de la même génération : or, il est sans doute utile de rappeler que la jeunesse est le futur de toute nation. Cela signifie donc que les relations entre Hong Kong et Pékin vont probablement rester électriques pendant encore un certain temps, sans compter que sur l’île voisine de Taiwan, le Parti Démocrate Progressiste est au pouvoir depuis 2016, avec l’élection de Tsai Ing-Wen à la Présidence (56,12%) grâce à un programme prônant notamment le refus de toute soumission politique à la Chine continentale et le rétablissement d’un dialogue avec Pékin [3]. Or si Taiwan se permet d’avoir de telles positions vis à vis du géant Chinois, pourquoi pas Hong Kong ?
Une assimilation inévitable : le rêve indépendantiste en restera un
Un simple élément semble cependant mettre à genoux ces rêves de démocratie : le fait que le Président Xi Jinping continue le travail de ses prédécesseurs, à savoir bâtir une Chine forte et indépendante. La Chine est aujourd’hui une superpuissance politique (au niveau régional par son poids économique et militaire, et désormais au niveau mondial grâce au retrait américain des Accords de Paris, qui permet à la Chine de s’affirmer comme nouveau porteur de flambeau de la diplomatie climatique), économique (un marché de plus d’1,2 milliard d’individus et un PIB de 11,2 milliards de dollars US) et militaire incontestable (environ 2 millions de militaires actifs avec environ 240 milliards de dollars de dépenses militaires chaque année). C’est pourquoi il paraît peu probable que Pékin fasse preuve de bonté en concédant un statut encore plus privilégié à Hong Kong, peut-être de peur que cela ne puisse se voir comme un acte de faiblesse.
Il est donc peu probable que le rêve hongkongais de totale indépendance se concrétise. Mais après tout, l’Union Européenne elle-même refuse de voir naître une Catalogne ou un Pays Basque indépendant, et le – pas si lointain – rêve indépendantiste Corse est lui aussi mort et enterré ! Peu probable donc, mais aussi peu enviable, tant cela aurait des conséquences économiques et politiques d’envergure : Hong Kong est un pont entre le marché chinois et le reste du monde, et il ne serait pas étonnant de voir ce pont s’effondrer si Hong Kong venait à prendre le large.

Le « un pays deux systèmes », qui permet à Hong Kong d’avoir ses propres élections législatives devrait rester en place jusqu’en 2041. L’après reste incertain : Pékin pourrait écraser toute forme de contestation assez rapidement et simplement, avec les conséquences que cela aurait en termes d’image. Pour l’instant, Xi Jinping se contente de simples rappels à l’ordre et de démonstrations de force. Il ne faut cependant pas se méprendre : ce n’est pas une preuve de faiblesse de la part de la Chine, bien au contraire. À la différence du rival américain, Xi Jinping et le reste du Parti agissent dans l’ombre via les voies diplomatique et politique, au lieu d’une confrontation directe et violente : tout est lié au temps et à sa gestion. La Chine a fait renaitre l’Empire du Milieu de ses cendres et étend son influence, lentement et sûrement, en Asie et à travers le monde.
[1] Hong Kong possède son propre système politique, avec une assemblée législative qui élit un Chef de l’exécutif qui dirige le gouvernement ; la moitié des membres est démocratiquement élue au suffrage universel direct par la population des cinq circonscriptions géographiques qui composent le territoire de Hong Kong. L'autre moitié se compose d'élus de 28 catégories socio-professionnelles.
[2] Hong Kong possède son propre système politique (cf. page précédente), et en plus de cela, possède un système légal et judiciaire distinct de la Chine continentale, en vertu de la loi fondamentale de Hong Kong et de l’accord sino-britannique : elle a hérité du système de common law britannique.
[3] Dans les faits, Taïwan a une indépendance administrative et politique par rapport au continent,
mais son indépendance n'a jamais été proclamée ni par le gouvernement de l'île, ni par celui du continent. Elle est donc considérée par l'ONU comme une province de la République populaire de Chine et par le gouvernement de Taïwan, comme une province de la République de Chine.
Sources :
Images :
https://static01.nyt.com/images/2017/06/29/world/29xi-hongkong-1/29xi-hongkong-1-articleLarge.jpg
https://www.hongkongfp.com/wp-content/uploads/2016/01/Lee-Bo-Protest-10.1-20-Copy.jpg
http://jeffreyhill.typepad.com/.a/6a00d8341d417153ef01bb0792a9c8970d-600wi