- Clément Visbecq
Vers une nouvelle reconfiguration de l'OTAN?
« L’élargissement de l’OTAN est un facteur représentant une provocation sérieuse ». Ces mots prononcés par Vladimir Poutine, le 12 février 2007 à Munich, lors de la Conférence sur la politique de sécurité sont restés sans écho : après l’adhésion de la Croatie et de l’Albanie en 2009, l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord s’apprête à valider l’intégration d’un autre pays traditionnellement sous influence russe, le Monténégro. Stratégique, tant en raison de sa proximité avec des pays clés (Serbie, Croatie, Bosnie-Herzégovine, Albanie et Kosovo) que pour sa façade maritime, offrant deux ports utilisables dans la Méditerranée et permettant à l’OTAN de couvrir la quasi-totalité de la côte adriatique, ce petit pays d’environ 650 000 habitants, n’est pourtant pas connu pour sa puissance militaire. Il faut dire qu’avec une armée de 2 000 hommes et un budget alloué à la défense représentant 1,3% de son PIB, le Monténégro ne constitue pas une ressource militaire considérable pour l’OTAN. Dès lors, en observant que la côte monténégrine est habituellement noircie de touristes russes, ne faut-il pas voir en l’adhésion de ce pays d’ex-Yougoslavie, un certain « retour aux sources » (Frédéric Charillon, professeur de relations internationales) de la part de l’OTAN ? En d’autres termes, après avoir multiplié les opérations sur des continents qui lui sont traditionnellement étrangers (Libye, Afghanistan, etc.), cette dernière ne serait-elle pas en train de se reconcentrer sur les enjeux qu’on lui connaissait pendant la guerre froide : la promotion de la liberté et le maintien de la paix en Europe ainsi que l’empêchement de toute avancée russe sur le vieux continent ?

Le Monténégro, futur 29ème membre de l’OTAN
Un engagement fort et une image améliorée auprès des Européens
Autrefois alliance défensive face à l’ennemi russe, l’OTAN assume depuis la fin de la guerre froide un rôle de plus en plus proactif au sein de la communauté internationale, en témoignent ses opérations militaires pendant la guerre de Bosnie-Herzégovine (1992-1995) – durant laquelle elle a mené de nombreuses campagnes aériennes visant principalement les installations de commandement et de contrôle et les dépôts de munitions des Serbes en Bosnie. Aujourd’hui encore, l’OTAN reste engagée dans pas moins de 6 théâtres d’opérations : en Afghanistan où, depuis la fin de l’opération Active Endeavour, elle offre formation, conseil et assistance aux forces et aux institutions de sécurité afghanes ; au Kosovo, où elle a contribué à la constitution d’une force de sécurité multiethnique et professionnelle ; en Méditerranée où ses tâches se concentrent principalement autour de la lutte contre le terrorisme en mer ; au large de la Corne de l’Afrique, dans le cadre de la lutte contre la piraterie ; en Afrique où elle fournit un soutien en matière de transport aérien aux troupes de maintien de la paix de l’Union Africaine ; en Europe, enfin, où elle effectue des patrouilles dans l’espace aérien de ses pays membres ne disposant pas de leurs propres chasseurs, interceptant, par exemple, à plusieurs reprises des avions russes ayant violé l’espace aérien de ses pays voisins.
Éloignée de son espace de prédilection – l’Europe, en terme d’opérations militaires, l’OTAN l’est tout autant en terme de collaboration. Bien que 26 (bientôt 27) de ses membres soient Européens et que ses objectifs initiaux portent sur la promotion de la liberté et le maintien de la paix sur le vieux continent, l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord s’attache à promouvoir la sécurité et à projeter la stabilité au moyen d’un vaste réseau de partenaires à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Europe, en témoignent les accords de coopérations signés avec le Japon, la Corée du Sud, l’Iraq et la Colombie ou l’établissements de relations cordiales avec l’Egypte ou le Maroc dans le cadre du dialogue méditerranéen. Si ces partenariats couvrent majoritairement différents aspects de la coopération pacifique et de dialogue, de nombreux partenaires participent activement aux opérations et aux missions dirigées par l’OTAN hors du continent européen : principal partenaire, le Japon, fournit d’importantes contributions financières aux travaux de reconstruction et de développement, notamment à l’appui des forces afghanes.
Loin des conflits difficiles des années 2000 dans lesquels était engagée l’OTAN, l’opinion de cette dernière auprès des populations européennes s’améliore, en atteste un récent sondage établi par l’agence américaine Pew Research Center – 60% des Français y sont favorables contre 79% aux Pays-Bas, 62% au Royaume-Uni et 67% en Allemagne. Certes « moins partisane » que jadis comme l’a récemment suggéré son secrétaire-général adjoint, Camille Grand, l’Organisation de l’Atlantique Nord doit cette avancée générale aux très bons résultats obtenus sur son flanc oriental : 80% des Polonais et des Roumains y sont favorables contre environ 90% dans les pays baltes. Inquiets des velléités russes – et encore plus depuis l’annexion de la Crimée, ces populations ont pris conscience que leur sécurité dépendait de plus en plus de l’OTAN. S’étendant de plus en plus vers l’Est, l’Alliance de l’Atlantique Nord, fait, cependant, part aux mêmes critiques que celles reçues par l’Union Européenne au début des années 2000 : quels intérêts ? N’est-elle pas en train de s’affaiblir ? etc.
Sa nature et ses ambitions remis en question
Cherchant une nouvelle légitimité après la chute du mur de Berlin, l’OTAN a porté son mouvement d’intégration vers les pays de l’Est – intégration de la Pologne, de la République Tchèque et de la Hongrie en 1999 ; des pays baltes, de la Bulgarie, de la Roumanie, de la Slovaquie et de la Slovénie en 2004 ; de l’Albanie et de la Croatie en 2009. Perçue par la Russie comme une agression et une opération de refoulement, cette vague d’expansion vers l’Est irrite Moscou, rendant les relations avec le Kremlin de plus en plus tendues. Très commentée, en particulier par le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, pour qui « elle porte atteinte à la stabilité des Balkans et de l’Europe en général », l’adhésion du Monténégro à l’OTAN suscite aussi des interrogations côté occidental.
De manière générale, par les risques que supposent l’intégration de pays instables (Albanie) et de pays menacés (Estonie, Lituanie, Lettonie) – pertes d’identité et de contrôle, la viabilité interne du projet de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord est remise en cause. Qui, en effet, en Europe ou aux États-Unis, a envie de mourir pour défendre un État balte ? Cette question récemment posée par Frédéric Charillon, souligne les failles auxquelles serait confrontée l’OTAN : politiquement comme militairement, cette dernière ne serait plus en mesure de défendre l’ensemble de ses membres. La rhétorique de Guerre froide, selon laquelle plus une alliance serait large, plus elle serait puissante, n’est plus aussi pertinente. Les mots de Kissinger, craignant déjà une ouverture à tout va de l’OTAN, prennent alors tous leurs sens : « à force d’être allié avec tout le monde, on est allié avec personne ».
Recentrée sur l’Europe depuis le renouveau des tensions avec la Russie, il aurait été intéressant de savoir ce qu’il se serait passé si la Géorgie et l’Ukraine avaient été membres de OTAN au moment de la révolution des roses et de la révolution orange. Toutefois, force est de constater que ce renouveau dans les tensions entre Russie et Occident n’empêche en aucun cas l’OTAN de se pencher sur des sujets transversaux, pouvant l’amener à sortir de son pré-carré européen. À cet égard, le président Trump a récemment esquissé le projet d’une intervention militaire de l’OTAN en Syrie dans la lutte contre le terrorisme – et en particulier contre l’État Islamique. Experts internationaux et diplomates sont toutefois sceptiques quant au revirement de situation du président américain – il avait qualifié l’OTAN d’organisation « obsolète » : n’étant ni une agence de renseignement, ni une organisation internationale de police comme peut l’être Interpol, l’OTAN ne peut ambitionner d’être « nécessaire à la résolution du conflit syrien et aux conséquences qu’il implique ». Ces derniers estiment que l’Alliance Atlantique ne doit pas s’engager davantage que ce qu’elle ne fait – à savoir, en formant et en assurant un soutien aux forces de police des pays d’où peuvent provenir les terroristes (Albanie, Irak).

Rencontre Trump / Macron en marge du dernier sommet de l’OTAN
L’élection de Trump et de Macron : l’heure des choix.
Si les questions sur l’OTAN sont nombreuses, les élections de Donald Trump et d’Emmanuel Macron sont autant d’opportunités d’y répondre. Les deux présidents élus devront d’ailleurs prochainement se pencher sur le financement de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord. Dans la lignée des derniers présidents américains, Trump a récemment mis en lumière le déséquilibre des dépenses entre les États-Unis et ses alliés européens – le ratio est de 70/30. Si l’ensemble des 28 pays membres de l’OTAN se sont mis d’accord en 2014 lors d’un sommet au Pays de Galle pour qu’au moins 2% de leurs PIB soient consacrés à la défense à horizon 2024, le nouveau président américain estime que cela reste insuffisant. Il faut dire aujourd’hui que la France et l’Allemagne consacrent respectivement 1,8% et 1,2% de leurs PIB à la défense. Seuls les pays du flanc oriental de l’OTAN ont déjà consenti cet effort – 2,2% pour l’Estonie et 2,4% pour la Roumanie, conscients que seule l’OTAN peut leur assurer une véritable protection face aux velléités belligérantes de Moscou.
L’Organisation de l’Atlantique Nord, vieille de 68 ans, est donc à un petit tournant de son histoire. Une énième reconfiguration n’est donc pas impossible, encore faut-il que l’ensemble des États puissent s’entendre – les décisions étant prises à l’unanimité. Assis à la même table, Donald Trump, Recep Tayyip Erdogan et Viktor Orban arriveront-ils à s’entendre ?
Sources :
https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins/lutte-contre-le-terrorisme-lotan-obsolete
https://www.franceculture.fr/emissions/affaires-etrangeres/otan-leur-premier-sommet
http://www.nato.int/nato-on-the-map/#lat=51.72673918960763&lon=4.849117014409103&zoom=0
Sources images :
http://lesakerfrancophone.fr/pourquoi-le-montenegro-est-il-devenu-membre-de-lotan