- Thomas Ferrandis
Le "Trump" philippin a déjà sévi

Le 30 juin dernier est un jour marqué d’une pierre blanche dans le paysage géopolitique mondial. Ce jour correspond à la prise de pouvoir de Rodrigo Duterte. A peine élu, il est déjà renommé « Punisher » par le quotidien le « Time ».
Plus de 6 mois après cette prise de fonction, le bilan est terrible. Près de 5300 personnes ont été abattues au nom de la politique anti-drogue du sulfureux président philippin.
Un pays en développement au lourd passé
Pour comprendre la situation politique des Philippines, il faut se tourner vers le passé de l’archipel. Ce «petit» pays, est constitué d’un ensemble de 7000 îles, peuplées par près de 100 millions de personnes.
Les Philippines ont conservé de leur passé de pays colonisé une tradition catholique et une culture plus occidentale que la plupart des pays de cette région. Les colonisations américaine et espagnole, ainsi que l’enjeu stratégique que représentait le pays durant la Seconde Guerre mondiale, ont profondément marqué le peuple philippin.
S’en est suivi une longue période de crise politique, avec en point d’orgue la dictature sanguinaire de Ferdinand Marco entre 1965 et 1986.
Durant les années 90, la présidence de la famille Aquino a représenté un bond en avant démocratique sans précédent pour le pays. Toutefois, cette période faste n’a pas suffi à endiguer la guerre civile au Sud, ni la corruption et le trafic de drogue qui sont devenus monnaie courante.
Duterte, l’homme providentiel
Le 9 Mai 2016, l’ancien maire de Davao, Rodrigo Duterte, est élu avec 40% des suffrages. Lui, l’homme qui a réussi l’exploit de sécuriser et d’assainir la ville la plus dangereuse des Philippines, apparaît comme l’homme providentiel, celui qui saura enfin endiguer la corruption et le trafic de drogue.
Son élection découle d’une campagne particulièrement agressive, où il prône une politique de tolérance zéro envers les dealers et les criminels. Son programme : utiliser la violence pour mettre fin aux fléaux du pays. Bien que la méthode soit extrême, beaucoup la considère comme nécessaire pour tirer un trait définitif sur le passé et se tourner enfin vers l’avenir.
Populiste et opportuniste, l’homme que l’on surnomme également « Dirty Duterte », a marqué la campagne par ses déclarations chocs et ses insultes comme lorsqu’il raconte «j'ai demandé qui on attendait. Ils ont dit que c'était le pape […]. Le pape, fils de pute, rentre chez toi. Ne viens plus en visite». Ou encore lorsqu’il déclare «si je découvrais que mes enfants se droguent, je les abattrais de mes propres mains».
S’il y a une chose que l’on ne peut reprocher à l’homme, c’est bien sa transparence lorsqu’il s’agit d’exposer ses idées. Ainsi selon lui, la violence appelle la violence, et cela en dépit du respect des droits de l’Homme. Il déclare : « Si vous exercez une activité illégale […], si vous êtes un criminel […} vous êtes une cible légitime d'assassinat ». Une campagne déjà sanglante pouvant être résumée par sa maxime « oubliez les droits de l'Homme. Si je deviens président, ça va saigner ». Ambiance.
Déjà un semestre et beaucoup d’enseignements.
Sitôt élu, chaque citoyen a reçu le «droit» d’abattre quiconque est suspecté d’activités liées à la drogue. Deux mois après sa prise de fonction, les recensements officiels faisaient état de près de 35 personnes tuées par jour dans le cadre de cette nouvelle politique.

Aujourd’hui, un climat de peur s’est installé dans l’archipel. Les dénonciations et les interventions policières très violentes qui en résultent, sont devenues fréquentes. De même, le nombre de règlements de compte se multiplie.
Dans les villes, les dénonciations sont devenues une véritable crainte permanente pour les Philippins. Des étudiants internationaux de l’Université d’Ateneo à Manille ont ainsi été victimes d’une fouille approfondie, à leur domicile, par des policiers philippins armés et alertés par un voisin les accusant, à tort, de consommer de la drogue. Ce témoignage est une démonstration explicite du climat de tension et de peur provoqué par les dénonciations.
Outre cette politique sanguinaire contraire au respect même de la dignité humaine, la situation du pays sur la scène internationale a beaucoup évolué depuis la prise de fonction du président. Tel le Trump philippin que l’on accuse d’être, il est entre autres, entré en conflit avec la Chine concernant un litige territorial vieux de plus de 60 ans.
De même, le nouveau président a pris la décision de tourner le dos à son allié historique, à savoir les Etats-Unis. Rodrigo Duterte a en effet demandé aux Américains de retirer leurs militaires, et cela malgré les traités de protection liant les deux Etats. En septembre 2016, en marge d’une rencontre officielle, le président philippin a également copieusement insulté dans les médias son homologue américain.
Les choses pourraient toutefois évoluer rapidement. Sitôt après son élection M.Trump n’a pas manqué de féliciter son homologue pour sa politique anti-drogue qui est selon lui «exemplaire». Les futures rencontres entre les deux chefs d’Etat promettent d’être singulières.
Un futur bien incertain
En l’espace de six mois, le président a été grandement critiqué tant au niveau national qu’international. La vice-présidente Leni Robredo a démissionné de son poste de ministre du logement en raison de « fortes divergences ». Le climat interne du pays semble déjà pousser l’élite intellectuelle à s’interroger. Selon certaines sources, il se murmure que seul un putsch militaire pourrait régler le problème.
Une chose est sûre, le président Duterte ne compte pas s’arrêter la. Il a d’ailleurs demandé plus de temps pour atteindre ses objectifs, car il n’avait pas « réalisé qu’il devrait tuer plusieurs milliers de personnes », « dont certaines au sein même du gouvernement ». Il songe également à rétablir la peine de mort, abolie dans le pays depuis 2006.
Concernant ses déviances médiatiques, il a récemment déclaré que Dieu lui aurait demandé de ne plus utiliser d’insultes. Faut il y voir une réelle prise de conscience de la portée de ses paroles ou simplement une provocation pour celui qui se défini d’ores et déjà lui-même comme un dictateur ? Affaire à suivre.
Duterte est au pouvoir depuis un peu plus de six mois, ce qui signifie qu’il lui reste plus de cinq ans à la tête des Philippines. Au rythme de 35 morts par jour, le mandat de Duterte pourrait s’achever avec plus de 75 000 victimes liées à sa politique anti-drogue ultra violente. Les perspectives politiques du pays s’annoncent bien sombres si Duterte continue sur cette lancée.