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  • Emma DUREUX

La "démocrature", une nouvelle forme d'organisation étatique ?


Ce néologisme est apparu à travers le nom d’un ouvrage de Max Liniger-Goumaz, économiste et sociologue suisse: La démocrature, dictature camouflée, démocratie truquée publié en 1992. De quoi s’agit-il ? Il s’agit d’un régime avec toutes les apparences d'une démocratie (constitution, élections, séparation des pouvoirs…) mais qui dans les faits et dans les actes, fonctionne comme une dictature. Les dirigeants et son appareil politique aidé ou non par des partis alliés manipulent ces institutions et les médias afin de conserver leurs pouvoirs.

Viktor Orban
European People's Party / flickr

L’exemple le plus proche de nous est celui de la Hongrie et de son dirigeant Viktor Orban. Celui-ci est le fondateur de la Fidesz et a été l'un des meneurs de l'opposition au régime communiste à la fin des années 1980. En 1998 lors de la victoire de son parti lors des élections législatives, il est devenu Premier ministre. Battu lors des élections de 2002, puis de 2006, il remporte largement les élections législatives de 2010 et commence dès lors à installer une politique plus conservatrice. Récemment, il a déclaré vouloir mettre en place une « démocratie » qui ne serait pas « libérale ». Il a plus précisément déclaré que « jusqu’à présent, nous connaissions trois formes d’organisation étatique : l’État-nation, l’État libéral et l’État-providence », avant d’ajouter : « Le nouvel État que nous construisons en Hongrie n’est pas un État libéral, c’est un État non libéral. » Ce concept de « démocratie non libérale » (illiberal democracy), a été théorisé dès 1997 par Fareed Zakaria dans un article de la revue Foreign Affairs.

L’exemple hongrois a commencé à inspirer d’autres états membres de l’Union Européenne comme la Pologne, où le parti Droit et justice (PIS) a remporté la majorité absolue aux législatives d’octobre 2015, l’ancien Premier ministre Jarosław Kaczyński a promis d’« amener Budapest à Varsovie ».

En Autriche, le FPÖ, qui pourrait remporter la nouvelle élection présidentielle en décembre prochain (après un premier échec au printemps dernier) souhaite mettre en place un « nouveau système politique typiquement autrichien ».

La Russie de Poutine réunit également tous les signes d’une « démocratie non libérale » ou de « démocrature » et il est important de souligner que la Hongrie de Victor Orban est devenue un des alliés politiques et économiques (la question stratégique du transport du gaz russe) les plus précieux de Poutine au sein même de l’Union Européenne.

Cruel retournement géopolitique lorsque l'on connait les tristes événements de 1956 dont nous allons fêter le 60ème anniversaire en octobre prochain. Mais il ne faut pas oublier qu’entre les deux guerres, un certain nombre de pays de l’ex bloc de l’Est, ont connu des régimes politiques fort peu démocratiques (la Hongrie avec l’Amiral Horthy ; la Pologne de Józef Piłsudski ; la Slovaquie de Jozef Tiso). Cette réorientation radicale des pays d’Europe centrale est un tournant historique avec une accélération notable avec la crise des migrants et enveniment les relations avec la Commission Européenne et les états fondateurs (France, Allemagne…). Récemment, le chef de la diplomatie luxembourgeoise, Jean Asselborn a souhaité exclure la Hongrie de l'Union européenne, car il s'agit de «la seule manière de préserver la cohésion et les valeurs de l'Union européenne. Ceux qui, comme la Hongrie, bâtissent des clôtures contre des réfugiés de guerre, qui violent la liberté de la presse ou l'indépendance de la justice, devraient être temporairement, voire définitivement, exclus de l'UE», a-t-il déclaré dans une interview au quotidien allemand Die Welt.

En Turquie, depuis le coup d’état avorté du 14 juillet dernier, Erdogan installe progressivement sa « démocrature » avec une fois entré en vigueur, l’état d’urgence permettant à l’homme fort de Turquie de faire passer de nouvelles lois et de restreindre les droits et libertés de ses concitoyens. Son projet d’« hyperprésidence » qu’il souhaite mettre en œuvre depuis de nombreuses années sera ainsi à porter de sa main. Comment Erdogan pourra maintenir durablement son pays au sein de l’OTAN et de manière générale dans le concert des pays démocratiques ?

Erdogan
Gerd Altmann / Pixabay

Récemment, le candidat républicain à la présidence, Donald Trump a de nouveau flatté Poutine, assurant qu’il était beaucoup plus respecté qu’Obama. D’après Nina Khrushcheva, professeure d’études internationales également interrogée par le New York Times, Poutine et Trump partagent la même vision du leadership : autoritaire et coriace. “Trump aspire à être un leader ferme, capable de tenir tête aux grands de ce monde”, note Khrushcheva.

Tocqueville croyait à l’universalisation inéluctable de la démocratie et rien ne permettait de penser à un affaiblissement du « pire des régimes à l’exception de tous les autres », comme disait Churchill.

Et comment ne pas croire à cet universalisme alors qu’au cours des dernières décennies du XX° siècle, les dictatures de tous bords tombaient, un peu partout dans le monde (L’Afrique du Sud avec la fin du régime de l’Apartheid , les pays d’Europe centrale avec la chute du Mur de Berlin, Amérique Latine avec la fin des dictatures militaires au Chili, Argentine et Brésil). Au début de XXI° siècle, les Printemps arabes de 2011 avaient soulevé un immense espoir de voir la démocratie s’implanter durablement au Proche et Moyen Orient.

En réalité, le type de régime qui a le vent en poupe, ce n’est pas la démocratie, c’est la « démocrature » et ses corollaires actuels avec la montée du populisme en cours dans les élections passées et à venir. Ce qui la distingue des formes anciennes du totalitarisme ou des dictatures classiques, c’est qu’elle entend « rendre la parole au peuple », confisquée jadis par les « élites défaillantes » et en mettant de côté la négociation et le consensus à l’origine même de l’idéal démocratique.

Ainsi, il ne fait pas de doutes que les nombreuses formes de « démocratures » mises en place depuis quelques années dans le monde sont en train de modifier durablement les relations diplomatiques mondiales.


Source de l'image du bandeau (page d'accueil): EPP Congress Madrid - 22 October | European People's Party | Flickr

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