- Raphaël RADOLLA
Cuba-USA : De la baie des Cochons à Copains comme cochons ?
Il y a presque cinquante-cinq ans jour pour jour avait lieu le débarquement de la baie des Cochons (17-19 avril 1961), 1400 exilés cubains, soutenus et entraînés par les Etats-Unis, avaient alors tenté une invasion militaire dans le but de renverser le nouveau gouvernement d’un Fidel Castro jugé comme une menace pour les intérêts américains. En mars 2016 a eu lieu un nouveau débarquement, mais à la différence du premier, c’est cette fois le président des Etats-Unis en personne qui a foulé la terre cubaine. L’objectif de sa venue semblait aussi bien différent : renouer les liens perdus entre les deux voisins.

Source: International New York Times
Plus de cinquante ans de hauts et (surtout) de bas dans les relations américano-cubaines
Dès 1959, à son arrivée au pouvoir, Fidel Castro entreprend des réformes qui remettent en cause les intérêts américains dans l’île, et même pire, se tourne vers Moscou. Deux ans plus tard, après l’expulsion de La Havane de diplomates américains accusés d’espionnage, le président américain Dwight D. Eisenhower décide de rompre les relations avec l’état insulaire. S’en suivent dès lors plusieurs dizaines d’années durant lesquelles les rapports entre les deux gouvernements s’avèrent être plus que tendus.
En avril 1961 a donc lieu le débarquement dans la baie des Cochons, déjoué par l’armée cubaine. L’année suivante, en février, les Etats-Unis imposent un embargo sur tous les échanges commerciaux contre Cuba. Ceci a pour conséquence huit mois plus tard le déclenchement de la « crise des missiles ». Les Soviétiques ont en effet installé des fusées à tête nucléaire sur l’île de Cuba, orientées vers le territoire américain. Bien que cette crise soit désamorcée par Moscou, la tension entre Américains et Cubains est alors à son paroxysme.
Trente ans passent durant lesquels Cuba est complètement coupée de son voisin géant. Les relations entre les deux pays sont quasi inexistantes, sauf pour apprendre que Cuba est placée sur la liste américaine des Etats soutenant le terrorisme en 1982 ou que l’embargo est renforcé en 1996.
Ce n’est qu’en 2009, après cinquante ans de rapports diplomatiques très froids, que Barack Obama choisit d’assouplir les restrictions sur les voyages entre Cuba et les Etats-Unis. A partir de 2013, le réchauffement diplomatique se met en marche avec une poignée de main symbolique entre Barack Obama et Raúl Castro. En 2014 et 2015 sont annoncés le prochain rétablissement des relations diplomatiques et la réouverture respective des ambassades à Washington et à La Havane. C’est donc ce rapide processus de réchauffement qui a poussé le voyage de Barack Obama à Cuba, le premier d’un président américain sur l’île depuis quatre-vingt-huit ans, du 20 au 22 mars dernier.

Poignée de main entre les deux chefs d’Etat – Source: Le Monde
Des relations diplomatiques sur la pente ascendante aujourd’hui
La visite de Barack Obama avait pour objectif de rendre « irréversible » le rapprochement entre les Etats-Unis et Cuba. Les relations diplomatiques ont été rétablies l’été dernier, en marge du sommet des Amériques au Panama. Si Obama déclare alors « Nous sommes maintenant en mesure de tracer un chemin vers l’avenir », de profonds désaccords persistent néanmoins.
Malgré ces désaccords, Barack Obama continue de montrer qu’il souhaite normaliser les relations avec Cuba. Comme un symbole : le match de baseball, sport le plus populaire dans chacun des deux pays, auquel a assisté Obama le dernier jour de sa visite et qui opposait … une équipe américaine à une équipe cubaine.

L’effort paraît surtout être mutuel, non seulement un président américain a posé le pied sur le sol cubain pour la première fois depuis 1928, mais il a en outre reçu un accueil très chaleureux à son arrivée.
De manière générale, la presse américaine considère cette visite comme un effort symbolique, une chance pour pousser Cuba à s’ouvrir davantage et l’aboutissement d’un processus de réchauffement entre Washington et La Havane. Barack Obama a abordé, lors de sa rencontre avec Raúl Castro, des sujets tels que la question de l’accès à Internet et les possibilités pour les cubains d’exercer leur profession dans le secteur privé. Les relations diplomatiques semblent donc bien se réchauffer, même si pour beaucoup, ce n’est pas encore suffisant. « Certains Cubains en exil pensent qu’Obama aurait dû centrer sa visite sur des élections démocratiques, et que se faire photographier avec Castro n’aidera pas le peuple cubain » rapporte le Miami Herald. De son côté, Barack Obama précise « qu’il ne souhaite pas jouer un rôle de colonisateur qui souhaite orienter les décisions de Cuba », d’où sa prudence concernant les sujets abordés.
Concrètement, qu’apporte ce « réchauffement » entre Cuba et les Etats-Unis ?
A propos de l’embargo, toujours en vigueur, la liste des mesures que les deux chefs d’Etat peuvent encore prendre est de plus en plus courte … les changements vont désormais dépendre du Congrès américain. Raúl Castro a en effet commenté « Cela ne veut pas dire que le problème principal est résolu. L’embargo doit cesser. ». Seulement, la majorité républicaine l’acceptera-t-elle ?
Le processus de réchauffement a par exemple mené à la réouverture des ambassades respectives, ce qui permet notamment aux deux parties de se rencontrer régulièrement pour discuter de sujets comme l’immigration. Des divergences demeurent cependant, notamment à propos de la démocratie et des droits de l’homme, deux sujets souvent instrumentalisés à des fins politiques. En effet, d’après le dernier rapport d’Amnesty International, Cuba est loin d’être le plus mauvais élève d’Amérique Latine. Raúl Castro est d’ailleurs particulièrement irrité lorsque l'on évoque les prisonniers politiques américains détenus sur l’île. Preuve que les changements attendus prendront du temps : la réaction de Fidel Castro, qui ne fait qu’approuver du bout des lèvres le rapprochement. « Ma modeste suggestion est qu’il [Barack Obama] réfléchisse et qu’il n’essaie pas d'élaborer les théories sur la politique cubaine».

Une relation sur un pied d’égalité ? – Source: Courrier International
En réalité, il est certainement encore trop tôt pour parler de relations normalisées entre les deux états. Il est possible que la visite de Barack Obama fasse partie d’une stratégie visant à jeter les bases d’une ère nouvelle, en prévision de la prochaine élection présidentielle et d’une possible victoire républicaine. Les sanctions économiques sont toujours en vigueur, affectant les personnes âgées et les enfants malades qui ne peuvent bénéficier de traitements uniquement vendus par des multinationales pharmaceutiques américaines. L’immigration est aussi un thème important, les Etats-Unis limitent le nombre de visas accordés aux candidats au départ, ce qui fomente l’immigration illégale. Un point positif toutefois : Cuba pourra prochainement utiliser le dollar dans ses transactions internationales, ce qui autorisera le commerce bilatéral entre les deux nations.
Enfin, il ne faut pas oublier que la visite du président américain à Cuba n’a pas eu pour ambition d’infléchir le régime politique de l’île. Les solutions aux problèmes internes de Cuba ne peuvent pas venir de la Maison Blanche. Comme l’indique Ted A. Henken, spécialiste de la société cubaine contemporaine, dans El Nuevo Herald Miami, « Obama n’est pas le Messie ». Le réchauffement américano-cubain peut s’accélérer, mais n’apportera pas tous les changements nécessaires dans la société cubaine. Les améliorations viendront principalement de la nation elle-même, et pas de relations améliorées avec un voisin anciennement ennemi.
Source de l'image du bandeau:
http://www.huffingtonpost.fr/2015/04/11/obama-castro-rencontre-officielle-premiere_n_7047120.html