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Aung San Suu Kyi : de l’opposition pro-démocratique au Parlement
Myanmar. Le parti de l’opposition démocratique mené par le Prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi a fait son entrée au Parlement de l’Union du Myanmar le 1er février dernier, après sa victoire sans appel aux élections législatives de novembre. Une intronisation très attendue pour la « dame de Rangoun » même si les défis restent nombreux afin d’assurer la transition politique entamée depuis 2011. A l’occasion de la journée mondiale de la femme, retour sur le combat de plus de vingt ans d’une figure de proue de la démocratie.

Aung San Suu Kyi lors de son entrée au Parlement, le 1er février 2016.
Quatre mois après l’écrasante victoire de son parti, la LND (Ligue Nationale pour la démocratie) qui avait obtenu 390 sièges sur un total de 664 aux élections législatives du 8 novembre, Aung San Suu Kyi est entrée au Parlement birman le 1er février en tant que députée. Ce nouveau Parlement devrait permettre une poursuite de l’ouverture économique et politique du pays. Une victoire historique pour son parti après plus de vingt ans de lutte en faveur de la démocratie dans un pays étroitement contrôlé par le pouvoir militaire depuis 1962.
De l’indépendance à l’opposition démocratique
C’est en 1988 qu’Aung San Suu Kyi fait son entrée sur la scène politique birmane. La fille d’Aung San, héros de l’indépendance birmane assassiné en 1947, revient dans son pays après avoir étudié la philosophie, les sciences politiques et l’économie à Oxford, et s’engage dans la lutte pour la démocratie dans un pays placé sous le joug de la dictature militaire depuis le coup d’Etat du général Ne Win en 1962. Fortement influencée par les idées de Mahatma Gandhi et Martin Luther King, Aung San Suu Kyi mise sur la non-violence pour renverser le régime militaire et instaurer une démocratie durable. Elle cofonde ainsi la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND) en 1988, année marquée par une vague de manifestations sévèrement réprimées qui n’avaient fait que souligner l’échec politique et économique du régime en place et l’intérêt pour l’opposition démocratique dans les différentes classes sociales. Son parti obtiendra 80% des suffrages aux élections législatives de 1990. Le scrutin est cependant annulé par la junte et Aung San Suu Kyi assignée à résidence dès 1989.
Isolement diplomatique et consécration
1988 correspond aussi à l’avènement de la ligne dure du régime militaire birman. Face à l’ampleur des manifestations, le général Ne Win, à l’origine de la « voie birmane vers le socialisme », du non-alignement des années 1960 et de l’étatisation des principaux secteurs de l’économie birmane, démissionne en 1988. L’armée renforce alors son emprise sur le pays après avoir été déstabilisée par les émeutes et une grève générale écrasées dans la violence : les militaires prennent le pouvoir en formant un State Law and Order Restoration Council (SLORC) qui poursuit la répression sanglante, et procède à des arrestations en masse et à des exécutions. La réponse de la communauté internationale ne se fait pas attendre : le régime est isolé diplomatiquement, privé d’aide internationale et ne peut compter que sur le soutien de la Chine. A contrario, le soutien international dont bénéficie Aung San Suu Kyi n’est plus à démontrer : l’opposante obtient en 1990 le Prix Sakharov pour la liberté de penser et le Prix Rafto des droits de l’homme, et se voit décerner le Prix Nobel de la Paix un an plus tard pour son engagement pacifique pour la démocratie.

Aung San Suu Kyi reçoit le prix Nobel de la Paix, à Oslo, le 16 juin 2012,
soit vingt-deux ans après que le prix lui a été décerné.
Source : http://www.lexpress.fr/actualite/monde/asie/aung-san-suu-kyi_1691202.html
Réclusion et fragilisation du régime
Entre 1995 et 2010, Aung San Suu Kyi reste exclue de la vie politique et placée sous la surveillance étroite de la junte : elle sera tour à tour emprisonnée et assignée à résidence, maintenue en état de quasi isolement, avant d’être finalement libérée en 2010. Entre temps, le régime se voit fragilisé par les oppositions entre différentes factions de la junte, des résultats économiques catastrophiques (l’inflation atteint 60% en 2002), les tentatives de réformes du général Khin Nyunt (ouverture aux capitaux étrangers, feuille de route vers la démocratie, intégration à l’ASEAN en 1997), les exhortations de la communauté internationale à la modération et au dialogue, et surtout par le désastre humanitaire provoqué par le typhon Nargis en 2008. Ce n’est que quelques mois après la libération d’Aung San Suu Kyi que la junte militaire est dissoute en mars 2011 et qu’une transition politique est entamée aussi bien sur le plan national qu’international.
« Printemps birman » ?
Avec l’entrée au Parlement de sa formation majoritaire, Aung San Suu Kyi prend la tête du premier gouvernement démocratique en Birmanie depuis le coup d’Etat militaire de 1962 et accélère la transition politique en marche depuis l’été 2011. Pour la « Dame de Rangoun », les obstacles semblent pourtant s’amonceler sur le chemin vers la présidence de l’Union du Myanmar. Pour l‘instant, Aung San Suu Kyi ne peut être élue présidente de Birmanie en raison d’une clause ad hoc la visant directement dans la constitution qui avait été votée en 2008 par referendum. Le texte interdit à tout candidat ayant un conjoint ou des enfants étrangers de devenir président ou vice-président de l’Union. Aung San Suu Kyi est précisément mariée à Michael Aris, universitaire britannique avec qui elle a eu deux enfants. Le texte prévoit aussi que 25% des sièges du Parlement seront d’office occupés par des militaires et que les ministères clefs seront encore tenus par des militaires, le « régime des généraux » n’ayant cédé la place qu’à un gouvernement « quasi civil » en 2011. Quelle que soit l’issue du vote du Parlement pour désigner le futur chef de l’Union birmane, et malgré la marge de manœuvre limitée des élus démocrates, le nouveau gouvernement devra s’engager dans une poursuite des réformes libérales amorcées en 2010 qui ont déjà fortement encouragé la croissance économique du pays (+ 8,5% en 2014). L’enjeu est aussi de lutter contre une corruption endémique qui entrave toujours la démocratie, le pays étant classé 156ème sur 175 par l’ONG Transparency International en 2014. Un défi sera aussi de maintenir le cessez-le-feu d'octobre 2015 obtenu par le président Thein Sein avec les différents mouvements rebelles en conflit avec le pouvoir central depuis l’indépendance afin d’empêcher toute nouvelle guérilla, terreau du trafic de drogue qui gangrène le pays depuis plus de vingt ans (le Myanmar est en effet le deuxième producteur au monde de pavot à opium avec 10% de la production mondiale derrière l’Afghanistan), et de sortir le pays de la pauvreté.
Sources :
Rapport mondial sur les drogues 2015, Résumé analytique, Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONDUC)
https://www.unodc.org/documents/wdr2015/WDR15_ExSum_F.pdf
Le Bilan du Monde 2016 & 2015, article « Myanmar »
Dossier pays, « Birmanie » du Ministère des Affaires étrangères,
http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/birmanie/presentation-de-la-birmanie/
« Aung San Suu Kyi entre au parlement birman », Le Monde, 17.11.2015
Encyclopédie Larousse en ligne, Article « Birmanie », Histoire
http://www.larousse.fr/encyclopedie/pays/Birmanie/108937
Image du bandeau : Mediapart, journal d’information numérique, indépendant et participatif