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Mathieu Rouby

Les vainqueurs écrivent l’Histoire ou comment les Etats-Unis sont devenus les sauveurs de la France


Un Landing Craft Vehicle & Personnel provenant de l'USS Samuel Chase piloté par l'US Coast Guard, débarque des troupes de la 1re division d'infanterie américaine, dans la matinée du 6 juin 1944 (le D-Day, ou « Jour-J » de l'Opération Neptune) à Omaha Beach.

Crédit photo : photographe officiel de l'US Coast Guard


Ils ont beau faire régulièrement l’objet de critiques, les sondages d’opinion occupent désormais une place tout à fait importante dans la sphère politico-médiatique. C’est un fait, au-delà même des périodes électorales, ils offrent une grille de lecture intéressante du monde et se doivent d’être consultés, si ce n’est analysés. D’un point de vue sociologique, en tout cas, il serait dommage de s’en passer tant ceux-là peuvent se montrer révélateurs des logiques idéologiques et culturelles qui prévalent dans une société.


En ce sens, penchons-nous sur un sondage mené par l’IFOP auprès de la population française en 1945, puis reconduit en 1994, 2004 et 2014 sur la question : « Quelle est, selon vous, la nation qui a le plus contribué à la défaite de l’Allemagne en 1945 ? » et voyons les enseignements que nous pouvons en tirer. En 1945, les Français interrogés, tout juste libérés, répondaient majoritairement l’URSS à la question (57%), suivie des Etats-Unis (20%) et du Royaume-Uni (12%). Soixante ans plus tard – à l’occasion du soixantième anniversaire du débarquement allié en Normandie – en 2004, ils répondaient massivement les Etats-Unis (58%) devant la Russie (20%) et le Royaume-Uni (16%). Un revirement des plus étonnants qui interroge, et ce, passant outre le caractère discutable de la question posée. Comment est-il possible qu’en seulement un demi-siècle notre rapport aux forces russes et américaines de la Seconde Guerre Mondiale se soit totalement inversé ?


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On ne saurait mieux expliquer un tel revirement que par la volatilité de l’opinion et la subjectivité de l’Histoire. En effet, la maxime « les vainqueurs écrivent l’Histoire » ne relève pas du fantasme, n'en déplaise aux prédicateurs de l’objectivité de la discipline. Entre la publication et la première réédition de ce sondage, soit entre 1945 et 1994, ce sont cinquante ans discontinus de guerre froide qui se sont déroulés. Cinquante ans d’opposition entre un bloc occidental libéral bien-pensant et un bloc de l’Est empreint de communisme et de sang. Certes, le vocabulaire utilisé ici est extrêmement provocateur et dépourvu de nuances. Néanmoins, il est révélateur d’un fait : si l’URSS et les Etats-Unis ont remporté la guerre sur le terrain en 1945, seuls les Américains se sont imposés sur le terrain idéologique ensuite. Ainsi, après un demi-siècle d’opposition idéologique stricte, les Etats-Unis se sont progressivement érigés en libérateurs du monde. La mémoire collective fait fi de l’histoire. Il faut se ranger derrière le leader américain. Il faut se ranger derrière le sauveur américain.


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L’idée, ici, n’est pas de nier le rôle décisif des Etats-Unis dans la victoire des Alliés en 1945, mais plutôt d’inviter à la réflexion sur les bouleversements idéologiques et sociologiques induits par la guerre froide. Francis Fukuyama l’avait bien compris en publiant dès 1992 La Fin de l’histoire et le Dernier Homme où il développait la thèse selon laquelle la fin de la guerre froide avait marqué la victoire idéologique de la démocratie et du libéralisme. S’il est aisé aujourd’hui de critiquer le caractère fataliste de l’ouvrage, à l’époque Francis Fukuyama était bien l’un des premiers à évoquer la diffusion effective de la culture et de l’idéologie américaine partout en Occident. Culture dont s’est effectivement imprégnée et s’imprègne encore aujourd’hui l’Europe et plus particulièrement l’Europe occidentale.


Il faut dire que le processus de diffusion de la culture américaine est le fruit de plus d’un demi-siècle d’une agressive stratégie de soft power. L’accord franco-américain Blum-Byrnes, signé en 1946, en est un excellent exemple. Celui-ci prévoyait par exemple l’effacement de la dette française et la mise en place de prêts avantageux en échange de la fin du régime de quotas imposé aux films américains. Hollywood faisait alors son retour dans l’Hexagone ! Or, on le sait, le cinéma est l’un des vecteurs de formatage idéologique les plus puissants. Il n’y a qu’à voir comment sont représentés les Etats-Unis dans les films américains traitant de la Seconde Guerre mondiale… Entre autres, le film Il faut sauver le soldat Ryan (qui a réalisé près de 200 000 entrées au box-office en France) fait partie des œuvres culturelles qui ont participé à altérer notre vision de l’Histoire. Une vision tronquée qui se répercute sur le sondage IFOP de 2015 affirmant que 58% des moins de 34 ans attribuent la défaite de l’Allemagne à l’effort décisif des Américains. Parmi eux, combien, pensez-vous, ont vu Seuls les vieux vont au combat de Leonid Bykov, le film russe le plus connu sur la période ?


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Attention néanmoins, le cinéma est loin d’avoir été la seule arme à disposition des Américains pour pénétrer l’appareil idéologique occidental. On pourrait d’ailleurs conclure en étudiant le revirement à l’œuvre au sein même du Parti Communiste Français, autrefois premier soutien de l’Union Soviétique, puisqu’en 2004, le troisième sondage de l’IFOP affirmait que 49% de ses partisans érigeaient les Etats-Unis en sauveurs de l’Europe en 1945. Mais, cela demanderait une analyse complète et non biaisée – évoquant l’histoire du Parti, en passant par l’engouement pour le gaullisme et la désillusion d’Yves Montand - à laquelle nous ne nous livrerons pas. Ceci dit, la pénétration idéologique au sein même du parti d’opposition n’est-il pas le symbole ultime de la victoire américaine sur l’Union Soviétique ?




Sources


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