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Clément Visbecq

République "démocratique" du Congo


RDC

« La démocratie, ce n’est pas la foire ». C’est dans ces termes que s’est exprimé Joseph Kabila, vendredi 26 janvier, lors d’une conférence de presse, alors qu’il était invité à répondre à une question sur les récentes manifestations demandant la tenue de nouvelles élections. Celui qui est au pouvoir depuis 2001 envisagerait même une loi recadrant le droit de manifester. Il faut dire que le président de la République Démocratique du Congo semble déterminé à se maintenir au pouvoir : alors que son mandat prenait officiellement fin en décembre 2016, la constitution lui interdisant de se représenter pour une troisième fois consécutive, Joseph Kabila n’a pas renoncé à ses fonctions et continue, de fait, de diriger le pays. En dépit de ses grandes richesses minières, la République Démocratique du Congo, qui n’a jamais connu l’alternance politique depuis son indépendance en 1960, s’enfonce dans la pauvreté et la répression. Comment éviter l’engrenage du pire ?

Un pays en ébullition

C’est avec l’espoir de lendemains meilleurs que les Congolais avaient fêté l’arrivée de la nouvelle année. « L’accord de la Saint-Sylvestre » conclu, le 31 décembre 2016, entre l’Église catholique et le pouvoir en place avait fait naître, dans une population privée d’alternance politique depuis son accès à l’indépendance en 1960, l’idée selon laquelle la démocratie pouvait aussi avoir sa place en R.D.C. Il prévoyait un scrutin fin 2017 au plus tard, et l’assurance que le chef de l’État ne briguerait pas un troisième mandant. Pourtant, une année plus tard, à l’image de plusieurs de ses homologues africains aux désirs de pouvoir (Blaise Compaoré au Burkina Faso, Paul Kagamé au Rwanda, etc.), Joseph Kabila semble être déterminé à ne pas raccrocher, en témoigne un nouveau report des élections par la Commission électorale au 23 décembre 2018.

Depuis 2016 et les premiers signes d’un non-respect de la Constitution, la violence politique et les mesures de répression du gouvernement ne cessent de se poursuivre. Dans un récent rapport sur la situation en République Démocratique du Congo, l’ONG Human Rights Watch dressait un constat alarmant : « alors que les autorités retardaient les projets d’organisation d’élections, des agents gouvernementaux et des membres des forces de sécurité ont systématiquement cherché à faire taire, réprimer et intimider l’opposition politique, les défenseurs des droits humains et les activistes pro-démocratie, les journalistes et les manifestants pacifiques. […] Les forces de sécurité gouvernementales et de nombreux groupes armés ont attaqué des civils à travers le pays. » Il faut dire que les chiffres sont accablants : 171 personnes ont perdu la vie lors de manifestations en 2015 et 2016, 300 dirigeants, partisans de l’opposition, journalistes ou défenseurs des droits humains étaient détenues de manière arbitraire en 2017. Dimanche dernier, encore, 150 personnes ont été blessées et 6 autres ont été tuées (selon le bilan officiel) lors de répressions à balles réelles de marches d’opposition à Kinshasa. À ces violences commises par l’État, s’ajoutent celles perpétrées par d’anciens combattants rebelles du M23 mobilisés officieusement par des officiers supérieurs des forces de sécurité congolaises depuis l’Ouganda et le Rwanda afin de protéger Joseph Kabila, et celles impliquant des milices et groupes armés locaux soutenus par le gouvernement. Rien que dans la région du Kasaï, au sud du pays, 600 écoles ont été attaquées ou détruites et 5000 autres ont trouvé la mort entre août 2016 et septembre 2017.

Dans un pays composé à 80% de chrétiens – véritable héritage de la colonisation belge – l’Église catholique tente d’agir en tant que médiateur et ne cesse d’inviter le président Kabila à la raison. En l’absence d’une véritable opposition, parce que discréditée par ses pourparlers permanents avec le pouvoir et son manque de courage physique, et face au refus de Joseph Kabila de quitter le pouvoir, les autorités catholiques semblent être devenues les principales forces de résistance au régime. Soutenues par le Pape François – l’archevêque de Kinshasa n’est autre que le conseiller du pape –, en témoigne son « inquiétude » après les dernières répressions, elles agissent comme véritables fers-de-lance des manifestations.

Malédiction des matières premières

Cette crise politique intervient alors que la situation économique de la République Démocratique du Congo est au plus mal. Considérée par de nombre de personnes comme « un scandale géologique et minéralogique », la R.D.C. dispose de nombreuses ressources : 60% des réserves mondiales en cobalt, 50% des réserves forestières d’Afrique, 6e producteur de cuivre, 3e extracteur de diamants, etc. Pourtant, la croissance du pays ne cesse de ralentir (9% en 2014, 7% en 2015, 2% en 2016 et 2017). Si la Banque mondiale estime que la croissance devrait repartir à la hausse en 2018 (3%), le choc économique provoqué par la baisse des cours et de la demande mondiale des matières premières exportées, notamment du cuivre et du cobalt qui assurent 80% de ses recettes d’exportation, a laissé l’économie congolaise en piteux état : effondrement de 31% du taux de change du Franc congolais par rapport au dollar, inflation de 24%, déficit budgétaire de -1,65% en 2016, baisse de 5 milliards du budget de l’État en 7 ans (de 10 milliards en 2010 à 5 milliards en 2017), etc.

L’avenir est de plus en plus sombre pour les Congolais, ce qui explique, en partie la forte mobilisation de la rue. À ce titre, il convient d’ajouter que 90% des Congolais vivent sous le seuil de pauvreté et que le pays est classé au 176e rang (sur 187 pays) du dernier indice de développement humain. Cette situation n’incite donc pas à l’optimisme, d’autant plus que la croissance démographique est explosive (+3% - 15 millions d’habitants en 1960, 80 aujourd’hui, 200 en 2050). Alors que 55% de la population Congolaise a moins de 18 ans et est sans perspective d’avenir (chaque année 500 000 jeunes rentrent sur le marché de l’emploi), le taux de natalité continue d’avoisiner les 6 enfants par femme. Ce n’est, dès lors, pas un hasard de voir la population congolaise manifester pour du changement après 17 années de gouvernance Joseph Kabila (sans compter les 4 années durant lesquelles Kabila père, assassiné en 2001, était au pouvoir). Un sentiment de ras-le-bol exacerbé par une corruption généralisée. À cet égard, les chiffres du secteur minier sont frappants : si celui-ci représente 30% du PIB congolais, il ne représente que 10% des recettes du pays, la différence étant le fruit de l’évasion et de la fraude fiscales.

Une communauté internationale muette

Bien étrangement, la communauté internationale ne joue qu’un rôle mineur dans le dossier congolais. Si 18000 casques bleus sont, certes, présents sur le sol congolais dans le cadre de la MONUSCO – mission prolongée en 2010 dont le but est de permettre « la stabilisation en République Démocratique du Congo et de tenir compte de l’entrée du pays dans une nouvelle phase » – toutefois, les choix stratégiques entrepris sont vivement critiqués, les forces onusiennes n’étant pas présentes dans les lieux de fortes tensions (dans la province du Kasaï, au sud du pays). À bien des égards, la crise congolaise pâtit de l’agenda international et est reléguée au second plan derrière le conflit syrien, la crise ukrainienne ou la crise nord-coréenne. Chose plus surprenante et inquiétante, cependant, la crise congolaise lasse et nombre d’organisations humanitaires peinent à récolter des fonds pour intervenir en R.D.C…

Casques bleus en RDC

Il faut dire, aussi, que les grandes puissances occidentales sont loin d’être actives. L’Union européenne a toutefois annoncé l’imposition de sanctions ciblées à l’encontre de huit hauts responsables de la sécurité et du gouvernement congolais et d’un chef de milice. Les États-Unis, quant à eux, ont prononcé des sanctions ciblées à l’encontre du général François Olenga, chef d’état-major personnel du Président Kabila. Les sanctions se cantonnent, pour le moment, à des interdictions de voyager, des gels d’avoirs et une interdiction de mettre des fonds ou des ressources économiques à la disposition de personnes ou de l’entité inscrites sur la liste, ou de se livrer à des transactions avec elle. Des mesures qui sont jugées peu efficaces par les experts. Le dossier congolais est donc loin d’être un dossier prioritaire, à tel point que la communauté internationale a accepté la proposition de Joseph Kabila de repousser les élections à la fin de l’année 2018 – au grand bonheur de la Chine, désormais l’un des principaux partenaires économiques du pays.

La crise en République Démocratique du Congo risque donc de s’enliser, d’autant plus qu’il est peu probable que la présidence rwandaise de l’Union Africaine se saisisse du dossier, une coalition de despotes apportant son soutien à Joseph Kabila. En attendant, les violations des droits de l’homme ont augmenté de 25% en un an. Un chiffre qui vient s’ajouter aux 1,3 millions de déplacés et aux 1200 exécutions extra-judiciaires depuis la fin 2016…

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