Rafale : histoire d'une success story à la française
COCORICO
« Rien ne sert de courir, il faut partir à point ». La Fontaine peut souffler. Il s’en est fallu de peu pour que la tortue française rejoigne les collections du Museum d’histoire naturelle aux côtés de ces pièces de collection que sont ces grands programmes français dotés des technologies de pointe mais sans débouchés, à l’image du Concorde, du TGV, ou du réacteur nucléaire de troisième génération, l’EPR. On le disait invendable, frappé d’une malédiction. Que nenni. Les 3 derniers mois auront suffi à faire taire tous les contempteurs de l’avion multi-rôle français, successeur du Mirage 2000 et du Tornado. Près de 30 ans après le premier vol du Rafale A depuis la base d’Istres, le 4 Juillet 1986, cet avion de chasse produit par Dassault Aviation s’est enfin ouvert au grand marché de l’exportation. Il était temps. Oubliés les 6 échecs consécutifs, l’enfant maudit de l’aéronautique française a finalement trouvé des parents d’adoption. Après l’Egypte (24 avions), le Qatar a signé un contrat portant sur la vente de 24 appareils. En tout, cela représente un gâteau de 11,5 milliards d’euros à se partager pour les acteurs de la « team Rafale ». Et ce n’est pas tout. Bien que toujours en négociation, un contrat portant livraison de 36 avions à l’Inde pourrait aboutir dans les prochaines semaines. Sans parler des pourparlers en cours avec la Malaisie, les Emirats Arabe Unis, l’Indonésie ou encore le Koweït. Éric Trappier, le big boss de Dassault Aviation se dit même « optimiste » concernant la signature de nouveaux contrats avant la fin de l’année. Ce succès du Rafale est une bonne nouvelle pour l’ensemble de la filière aéronautique et de la défense française. Car derrière les principaux maîtres d’œuvre –Dassault Aviation, Safran (à travers sa filiale SNECMA qui conçoit les moteurs de l’appareil), Thales (électronique embarquée), MBDA (armement en missiles)- se cache une forêt de sous-traitants (plus de 500) qui participent à la conception de l’aéronef. Ce sont près de 7000 emplois qui sont directement concernés et des milliers d’autres pourraient être créés pour suivre la cadence de fabrication. C’est une aubaine car la promulgation de la dernière LPM (Loi de Programmation Militaire) portant sur la période 2014-2019 impliquait qu’au moins 40 Rafale soient exportés sur ces 5 années, sauf à mettre en danger les emplois de la filière. Les récents contrats sont donc une bulle d’air salutaire qui permet de rester dans les clous de la LPM et de sécuriser l’ensemble de la chaîne de production de l’avion, tout en créant de l’emploi. Que demande le peuple ?
Les raisons d’un tel engouement pour l’avion français sont multiples. Ce dernier est tout d’abord « le meilleur avion du monde » si l’on en croit les dires de Dassault Aviation. Bien qu’il faille tempérer ce constat (le Rafale n’est en effet ni le plus puissant, ni le plus sophistiqué des avions de chasse), il n’en reste pas moins qu’il domine l’ensemble de ses concurrents par son extraordinaire polyvalence, que ce soit en chasse, en reconnaissance, en attaque au sol, en police de l’air, en dissuasion nucléaire ou en bombardement stratégique pour ne citer que quelques-unes des missions que l’appareil est capable de remplir. Il est capable de décoller d’un porte avion ou d’une base aérienne. Il faut dire que lorsque le programme Rafale a été lancé à la fin des années 80, l’appareil devait être capable de remplacer à lui seul 7 types de chasseur. Rien que ça... Par ailleurs, l’avion de combat français est un concentré de technologies « critiques » (entendez par la badass) : il est équipé de l’avionique la plus moderne au monde, ses radars sont ultrasophistiqués, il bénéficie de nombreuses innovations avant-gardistes et pour donner un exemple il est capable d’emporter en vol 1,5 fois son poids en carburant et en armement. Enfin et surtout, le Rafale s’est distingué en passant avec brio l’épreuve du feu. Du ciel de Centrafrique au désert libyen, du Mali à l’Afghanistan en passant par l’enfer irakien, le Rafale reste l’avion européen le plus déployé en opérations extérieures. Il s’est révélé un soutien des troupes française particulièrement efficace et a pu démontrer au monde (et à ses futurs acquéreurs en passant) ses performances et sa fiabilité.
Sous un autre angle, il convient d’admettre que ces contrats ont une nature autant géopolitique et diplomatique qu’économique. Il faut savoir que pour chaque contrat, Dassault Aviation était en concurrence directe avec les avionneurs américains (Boeing, Lockheed Martin…) et que ce n’est pas un hasard, malgré les qualités intrinsèques de l’appareil, que le Rafale ait été préféré à ses homologues outre-Atlantique. Prenons l’Inde par exemple. Véritable bête noir des Indiens, le Pakistan est l’allié principal des Etats Unis dans la région. L’Inde n’a donc autant intérêt à acheter américain, pour le plus grand malheur de l’Oncle Sam. L’Egypte, quant à elle, n’a pas oublié le ralliement tardif des Etats Unis au Maréchal Sissi, ni le fait qu’ils contestent la classification des « Frères Musulmans » au titre des organisations terroristes. Enfin, la France jouit au Qatar d’une bonne image favorisée par sa fermeté à l’égard des chiites, alors que les Etats Unis sont accusés d’entretenir une certaine ambiguïté à ce sujet. De quoi ravir les industriels français.
D’aucuns soulignent également qu’avec l’Egypte et le Qatar, le Rafale effectue sa percée la plus
forte au Moyen-Orient, zone d’instabilité notoire. Il est d’autant plus troublant que l’Egypte, un pays en faillite, cherche à moderniser sa flotte aérienne, au lieu d’investir prioritairement pour le mieux être de sa population. Et devinez qui finance ce contrat égyptien? L’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis, deux pays qui entretiennent un certain déséquilibre dans la région.
Pour couronner le tout, ces contrats dont les montants se chiffrent en milliards seraient assortis pour certains de contreparties. Ce n’est pas étonnant quand on considère que le Qatar a moins besoin de nos avions que nous de son argent. Ainsi, la compagnie Qatar Airways a reçu le jour de la signature de la vente de nouveaux droits de trafics afin de développer son activité en France, au grand dam d’Air France qui se voit sacrifié sur l’autel de la diplomatie économique et de l’intérêt supérieur du porte- monnaie.
Malgré tout et je terminerai par là, il ne faut minimiser notre satisfaction de voir le Rafale prendre son envol. Il y aurait évidemment bien des choses à dire sur cet appareil qui coûte cher (mais le F-35 américain est plus onéreux et n’a pas fait ses preuves sur le terrain), est plutôt ancien (les premiers avions ont été livrés en 2001), équipe des Etats pas toujours très démocratiques, et n’est pas un succès commercial si l’on compare les 84 commandes et engagements d’achat du Rafale aux 4500 commandes du F16 américain, pour ne citer que lui. Il n’en reste pas moins que son ultra-polyvalence et sa conception font du Rafale l’un des meilleurs avions de chasse au monde. Il est un bel ambassadeur de l’excellence de la filière aéronautique française et de notre capacité à vendre des produits hautement technologiques dans le monde entier. La gageure est d’autant plus remarquable quand on sait que Dassault Aviation est le dernier avionneur au monde détenu par la famille de son fondateur et portant son nom. Il n’est pas anodin de constater que les principaux responsables du french bashing qui a frappé le Rafale ces dernières années était le fait… des français eux-mêmes ! Ces derniers auraient du croire en la bonne étoile de cet avion qui pourrait bien essaimer dans un avenir proche. Il faudra désormais assumer notre place de 3ème exportateur d’armes dans le monde juste après les Etats-Unis et la Russie. Mais il faut reconnaître que ces contrats soulagent l’économie française, favorisent l’emploi et consacrent un savoir-faire qui contribue à placer la France au 6e rang des plus grandes puissances mondiales. Notre influence est à ce prix. Un prix s’élevant à 150 millions d’euros par unité.